vendredi 20 janvier 2023

NEW YORK NEW YORK de Martin Scorsese (1977) par Luc B.

- Sonia, je vous entends fredonner la chanson « New York New York »...

- Bah oui, j'adore Sinatra, quel mec !

- Mais c'est Liza Minnelli qui a crée la chanson.

- Ah bon, c'est pas un vieux standard de jazz ?

- Non, la chanson a été écrite pour le cinéma, une comédie musicale qui porte le même nom, avec Robert de Niro.

- de Niro ?! le gangster grimaçant qui dit "fuck" tout le temps, pffff, et pourquoi pas réalisé par Scorsese pendant qu'on y est !

- Bah justement, oui...

On a un peu oublié que NEW YORK NEW YORK est le film que Martin Scorsese a réalisé juste après le triomphe de TAXI DRIVER. Un film qui prend le contre-pied de tout ce qu’il avait fait jusqu’à présent, lui qui ne jurait que par les tournages en décors réels, in situ, le voici enfermé dans les studios de la MGM. Une décision guidée par le sujet, hommage à la comédie musicale hollywoodienne, sur fond de fin des big band de swing et l’avènement du Be Bop. 

On parle souvent de ce film comme un bide, un raté, une erreur d'aiguillage, un gouffre financier. Le film sera tout juste bénéficiaire, la chanson-titre ayant rapporté plus gros que le film ! NEW YORK NEW YORK n’est pas le titre qu’on cite en premier quand on évoque la carrière du petit Martin, je parle de la taille, pas du talent. Tournage douloureux, complexe, engueulades avec de Niro, d’autant qu’à l’époque Scorsese avait le pif dans un sac de coke.

Le film a coûté cher, oui, mais contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas à cause des multiples décors. Puisqu’il n’y en avait qu’un seul, que le chef décorateur Boris Leven s’amusait à transformer, un club ici, une boite de nuit là-bas, un dancing, il suffisait de bouger les cloisons, déplacer les meubles, modifier les éclairages pour récréer un nouveau lieu.

Ce qui a coûté le plus cher c'est la méthode de tournage, basée sur l’improvisation. Si Scorsese / de Niro ont toujours improvisé pour construire leurs personnages, ils le faisaient en répétition. Là c'était pendant le tournage. Le script de base ne convient pas à Scorsese qui remanie l'intrigue au jour le jour avec Mardik Martin (scénariste de MEAN STREETS, RAGING BULL) et lui donne une tonalité plus personnelle. En plateau, de Niro se cherche, propose sans cesse du nouveau (la vitre cassée, le train qu'il pousse, s'allonger sous le taxi...), Scorsese chope les idées, modifie les décors, et grille des kilomètres de pellicules.

Sur le papier l’histoire est toute simple, la rencontre du saxophoniste Jimmy Doyle (Robert de Niro) et de la chanteuse Francine Evans (Liza Minnelli). Leur relation passe de personnelle à professionnelle, et vice et versa. Ils auront du succès ensemble, puis séparément, leur amour tiendra-t-il face à la pression de la célébrité ? On pense beaucoup au sublime A STAR IS BORN (chroniqué en son temps ici : clic vers l'article) Doyle découvre le talent de Francine (en réalité ils se découvrent mutuellement) mais finira par tout gâcher, par aigreur, jalousie, à cause d’un tempérament de merde, il est odieux. Francine Evans deviendra une star par elle-même.

Il y a cette scène où Doyle joue en concert, Francine est dans le public, reconnaît l’air et s’avance pour monter sur scène. Il la voit arriver et change tempo et tonalité d’un coup, empêchant Francine de rejoindre la jam. C'est comme lui claquer une porte dans la gueule. Odieux, je vous dis.  

Martin Scorsese a avoué avoir revu trois fois UNE ÉTOILE EST NÉE pendant le tournage, la version de George Cukor (la plus belle) avec Judy Garland, maman à la ville de Liza Minnelli. Le film tient aussi beaucoup de UN AMÉRICAIN A PARIS ou TOUS EN SCÈNE, chefs d’œuvre de la comédie musicale signés Vincente Minnelli, le papa de… Dans certains numéros, Scorsese reprend ainsi l’idée des décors peints sur des tentures, comme dans la très belle séquence nocturne de la forêt.

Il y a un gros travail sur les couleurs, des scènes monochromes, des rouges éclatants, ou au contraire toute une palette de couleurs dans la même image, comme ce plan dans la chambre à coucher, contrastes intenses, volontiers criards, comme dans le cabaret où Doyle complote au téléphone, sur fond d’escalier violet et de murs jaune vif. Évidemment, Scorsese s’amuse comme un fou avec les possibilités d’un studio, comme le fera plus tard Coppola avec COUP DE CŒUR ou COTON CLUB

La neige est fausse, la pluie est fausse, les trains sont des maquettes dont les passagers sont des nains, comme chez Murnau dans L'AURORE pour respecter l'échelle ! Il y a ce plan célèbre de Doyle jouant du sax épaule contre un réverbère, dans un halo de lumière artificiel, filmé en travelling descendant des cintres. Le plan d'ouverture est à lui seul un morceau de bravoure, un long mouvement de grue sur une foule dans une rue, la caméra s'élève jusqu'à un néon en amorce du cadre, une flèche, qui pointe juste sur de Niro

Comme dans les films de Minnelli ou Stanley Donen, Scorsese s’offre une longue séquence chorégraphiée, « happy endings », un ballet de 12 minutes, avec ce travelling arrière vertigineux sur une table longue comme une autoroute, et de chaque côté des gars qui se lèvent au passage de la caméra. Si le plan final montre Doyle marchant sur un trottoir trempé, un parapluie à la main, nulle allusion à CHANTONS SOUS LA PLUIE, dixit Scorsese. Qui s'est rendu compte après coup de la ressemblance (la came devait être bonne !). Quand on tourne en studio dans une fausse rue, autant rajouter de la fausse pluie !      

NEW YORK NEW YORK est un film personnel au sens où son réalisateur et son acteur principal ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans le scénario, tous les deux avaient alors une femme qui attendait un enfant. Le film parle de la complexité à gérer sa vie personnelle et professionnelle. Souvent ce qui arrive au protagoniste de l’histoire est calqué sur ce qui était arrivé deux jours plus tôt au réalisateur (comme chez le couple Godard / Karina). Comment concilier la création d’une œuvre avec une autre création, la mise au monde d’un enfant. 

Francine Evans est enceinte de Jimmy Doyle, d’abord hésitant (plan où il monte et redescend l’escalier) puis qui accepte l’idée avec joie, comme un nouveau défi. Il abandonnera femme et enfant finalement plus tard. Le personnage de Doyle est assez irritant, comme souvent les personnages incarnés par Robert  "you’re talking to me ?" de Niro. A l’image de la rencontre des deux protagonistes dans un dancing, lui en chemise hawaïenne, elle en uniforme militaire (nous sommes en 1945) très longue suite de plans redondants qui donnerait presque envie d’arrêter les frais après la première bobine. On rétorquera que c’est le personnage qui veut ça, un bipolaire changeant d’humeur, adorable, amoureux puis destructeur et vilain.

Dans l’ensemble je trouve le film trop long, les boulons pas assez resserrés, les numéros de Robert de Niro (au début à l’hôtel quand il joue les boiteux) sont un brin surjoués. Je crois surtout que Scorsese, empêtré dans la dope et son couple, a laissé son acteur en roue libre. LES AFFRANCHIS ou CASINO sont aussi longs mais autrement plus nerveux, la narration-turbo empêchaient les acteurs de cabotiner.

La monteuse Marcia Lucas, femme de George Lucas, donnera les premiers coups de ciseaux pour raccourcir le bout à bout de 5 heures, puis repartira bosser sur LA GUERRE DES ÉTOILES qui sort la même année que NEW YORK NEW YORK. D'après vous, lequel des deux films le public a couru voir ?

Pendant le tournage, Robbie Roberston, leader du groupe The Band (qui deviendra conseiller musical sur ses autres films) demande à Scorsese de venir filmer leur dernier concert, ce qui donnera le documentaire THE LAST WALTZ. Fait assez inédit d'un réalisateur qui abandonne pour un temps un tournage pour un autre (lui aussi sacrément saupoudré de coke) ce qui n'arrange pas la cohérence du premier.

Le spectacle vaut pourtant le coup d’œil, d'abord parce que Scorsese est évidemment très doué, son style est là, il y a des séquences très réussies et la musique y est fameuse. En bonus, on appréciera ce clin d'oeil : le rôle du trompettiste Cecil Powell est  tenu par le saxophoniste Clarence Clemons, le "Big Man" du E Street Band de Springsteen.

couleur  -  2h35 (à l'origine)  - format 1.1:85

2 commentaires:

  1. Pas vu souvent et surtout depuis longtemps ... il me semble que j'avais trouvé ça pas mal, même si c'est c'est pas pour celui-là que scorsese et de niro sont le plus connus ...
    Me souviens du petit rôle du gros Clarence Clemons ... Assez crédible sans qu'il crève l'écran ... Bien mieux en tout cas que son compère le miami à bandana dans les Soprano ... Je sais pas quel genre de contrat il avait pour qu'ils le gardent jusqu'à la dernière saison ...

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  2. L'un des films de Scorsese que j'aime le moins. Très déçu par la mise en scène.

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