vendredi 21 février 2020

A STAR IS BORN de George Cukor (1954) par Luc B.


Quel titre mythique ! Cette version est la deuxième sur les quatre réalisées à ce jour, c’est vous dire la force de l’histoire qui nous est racontée. Des histoires d’ascension et de chute (rise and fall of...), y’en a eu pas mal. BARRY LYNDON (1975) par exemple, THE ROSE (1979), ou même THE RISE AND THE FALL OF ZIGGY STARDUST, l’album de David Bowie, sans compter tous les polars de SCARFACE aux AFFRANCHIS. C’est évidemment un schéma dramatique largement utilisé.  Mais ici, il y a un double engrenage : la découverte d’un talent qui deviendra star, et en parallèle le déclin de celui qui a propulsé la star en haut de l’affiche.
C’était le sujet du film de William A. Wellman (1937) co-écrit par lui-même, immense succès à l’époque, inspiré de la carrière de John Barrymore, acteur célèbre détruit par l’alcoolisme. Suivront les versions de George Cukor (1954) puis de Franck Pierson (1976) avec Barbara Streisand et Kris Kristofferson, puis de Bradley Cooper (2018) avec Lady Gaga. On pourrait citer aussi AASHIQUI (2013) pour une version bollywood, ou même THE ARTIST d’Hazanavicius. Clint Eastwood en avait annoncé une version avec Beyoncé, annulée pour cause de grossesse de la Queen B.
Attardons nous sur le film de George Cukor, sans doute le plus célèbre, avec James Mason et Judy Garland. Un scope couleur flamboyant, écran hyper large (1:2.55), une mise en scène qui donc privilégie les plans d’ensemble, intégrant dans le cadre de multiples personnages et éléments de décor, c’est un éblouissement de chaque instant, à l’image de la première scène ou Norman Maine (James Mason) déboule depuis les coulisses totalement bourré à un gala de charité, y met un souk pas possible (les chevaux) une honte humaine sur pattes. Mais comment contenir un acteur alors au panthéon du box-office dont on pardonne tous les excès ?
C’est à cette soirée que Norman Maine découvre la jeune chanteuse Esther Blodgett, qu'il retrouve dans un club avec son groupe. Cukor filme la scène en plan séquence, une caméra très mobile, va et vient, hésitations. La chanson qu’interprète Esther ce soir-là est chantée en entier. Car A STAR IS BORN s’apparente aussi à la comédie musicale (livret d’Harold Arlen « Over the rainbow » et Ira Gershwin) à tel point qu’on pense parfois que Vincente Minnelli en est l’auteur (mari de Judy Garland), les deux réalisateurs apportant un soin tout spécial aux cadres, aux couleurs, aux mouvements de caméra.
L’histoire, on la connait : Norman Maine fera d’Esther Blodgett une star. Magnifique plan de nuit ou il lui montre la ville illuminée en lui disant « Tout est à toi ! ». Elle tombe amoureuse, il l’épouse. Mais son alcoolisme le ronge. Plus elle devient célèbre, moins il ne travaille. Il est ingérable sur un plateau, on le fuit comme la peste. Il faut voir cette scène aux Oscars où Esther (rebaptisée par les Studios Vicki Lester) y décroche une récompense, quand Norman déboule et perturbe la cérémonie en hurlant « je veux un job ! ». Elle devra aller chercher son mari en taule, chez le juge, promettre de veiller sur lui, quitte à sacrifier sa carrière. C’est dans le croisement symétrique de ces deux carrières à Hollywood que le film prend toute son ampleur.
Cukor montre l’envers du décor. Le film commence d’ailleurs par des images d’archives donnant un aspect très documentaire. Cukor montre la mainmise des Studios sur les acteurs, réduits à du bétail. Changement de nom, de visage, publicité, mariage supervisé par les pontes de la communication. Il y a de grands numéros musicaux, dont un qui se rapproche de CHANTONS SOUS LA PLUIE avec une longue séquence faite de différents tableaux, décors géométriques à la Mondrian, de Chirico, récital lyrique ou cariocas. Ou cette scène lors d’une soirée où Vicki passe de la chinoise (abat-jour sur la tête) à l’africaine (peau de tigre), Brésil, western…     
Il y a une chose qui rend cette version de Cukor encore plus prenante. C’est Judy Garland. Enfant star, comme Mickey Rooney avec qui elle partagera huit fois l’affiche, elle explose dans LE MAGICIEN D’OZ (1939). La machine à broyer se met en route. Pour supporter la cadence infernale des tournages (elle joue, chante, danse) on la bourre d’amphétamines, et comme elle n’en dort plus, elle pique du nez dans les barbituriques et les bouteilles d’alcool. Les cures de désintox n’y feront rien, elle replonge aussi sec. Janis Joplin, à côté, c’est Bambi. Le public doit retrouver à l’écran la jeune et fluette Dorothy, alors que l’actrice est boulimique et se détruit un peu plus à chaque tournage, sans cesse en retard, sans cesse remplacée, doublée. En fait, le parcours de Norman Maine joué par James Mason, est celui de Judy Garland, ébranlée par l’homosexualité de son mari Vincente Minnelli (ils sont les parents de Liza Minnelli) qui ensuite fera 6 ou 7 mariages !

Avoir choisi cette actrice-là pour ce film-là est juste une idée de génie. 
Norman Maine, conscient de ce qu’il lui inflige voudra se séparer de Vicki. « Tout ce que je touche, je le détruis » se lamente-t-il. Mais elle l’aime… Et c’est tout le drame de la dernière séquence, sublime, la maison sur la côte, Norman Maine filmé au crépuscule dans les reflets de la baie vitrée, fantomatique, en peignoir blanc, comme un esprit sorti de son corps, qui demande à sa femme de chanter depuis la fenêtre de la cuisine pour l’entendre quand il va se baigner. Sublime. Comme la dernière réplique, où Vicki Lester face à la profession commence son laïus en disant : « Bonsoir, je suis madame Norman Maine » 
Le film est long, 2h40, mais passionnant de bout en bout. Le premier montage faisait plus de 4 heures (!) mais Cukor a dû couper sous peine de ne pas être distribué, la Warner n'avait franchement envie qu'un tel pamphlet sorte intact sur les écrans.
Même si on connait l’histoire, même si on pense en connaitre la fin, A STAR IS BORN est une grande tragédie au sens théâtrale du terme, un modèle de construction scénaristique, un enchantement de cinéma, un regard acéré sur Hollywood, porté par Judy Garland et James Mason, dont vous savez - parce que je ne cesse de le hurler au fil de mes chroniques - que je le considère comme un des plus grands acteurs du cinéma.  
Superbe.


 couleur  -  2h40  -  format cinémascope 1:2.55
La bande annonce d'origine, qualité d'image médiocre :

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