vendredi 4 novembre 2022

LA CONSPIRATION DU CAIRE de Tarik Saleh (2022) par Luc B.

Avec son précédent film LE CAIRE CONFIDENTIELclic vers l'article Tarik Saleh avait épaté tout son monde. Un beau Film Noir dans la grande tradition, sur fond de corruption policière et malversations immobilières. En Egypte, ça n’avait pas trop plu… Tarik Saleh avait d’ailleurs tourné à Casablanca, indésirable sur le sol égyptien qui… ne l’a pas vu naitre, puisqu’il est né en Suède, où il réside. Pour LA CONSPIRATION DU CAIRE il a dû tourner en Turquie, menacé d’être arrêté illico à sa descente d’avion s’il filmait au Caire. Ambiance. Et ce film-là ne va pas arranger ses affaires.

Le film a reçu la palme du scénario au dernier festival de Cannes, et ce n’est pas volé. L’histoire est celle du jeune Adam, fils de pêcheur provincial, qui reçoit une bourse pour étudier à l'université Al-Azhar au Caire, temple (sic) de l’Islam sunnite. Le jour du discours inaugural, le grand Imam casse sa pipe. Au sein de la Sécurité de l’Etat, politiques et militaires complotent pour faire élire le candidat qui sied à la présidence du très démocrate maréchal Abdel Fattah al-Sissi.

La mission échoue au colonel Ibrahim, chargé de recruter une nouvelle taupe au sein de l’université, son indicateur Zizo étant à deux doigts d’être découvert. A un seul doigt d’ailleurs, une phalange, puisque Zizo sera assassiné…

Le scénario est très bien construit, respecte les codes du genre, infiltration de l’espion dans le camp adverse des Frères Musulmans, avec ce qu’il faut de rebondissements, de trahisons, et une intrigue qui se complexifie crescendo. Mais aussi parce que le film décrit le parcours initiatique du jeune homme, provincial naïf qui accède à l’élite universitaire. Tarik Saleh filme Adam découvrir la grande ville depuis le taxi, la magnificence de l’université. Plus tard Zizo l’emmènera dans une boite de nuit clandestine, et Adam découvrira ce qui se cache derrière les murs de la prestigieuse enceinte.

On a donc un personnage qui évolue, change, progresse dans sa vision des choses, gagne en maturité et assurance (on ne dévoilera pas la fin…). En parallèle on suit aussi l’évolution du colonel Ibrahim, fonctionnaire aux ordres, qu’on sent dangereux sous ses airs de clochard hirsute, qui utilise volontiers la menace pour arriver à ses fins. Il fait pression sur Adam en promettant de s’occuper de son père souffrant, ou pas. Adam, qui n’a rien demandé à personne, se retrouve lui et sa famille à la merci du colonel.

Pour montrer comment les rapports entre Ibrahim et Adam évoluent, il faut regarder comment se passe leurs rencontres. Dans un café, assis à deux tables différentes, téléphone à l’oreille pour donner le change, et au fur et à mesure des rendez-vous, ils se rapprochent pour finir assis face à face, comme deux amis qui discutent.

A l’image, Tarik Saleh filme aussi bien en plans larges et lumineux la cour de l’université qu'il balaie de travellings souples, et ses centaines de figurants. Mention spéciale pour le duel de poésie, lorsqu'Adam fend la foule, filmé de haut, ou la scène du meurtre filmée depuis le minaret. Mais on voit aussi l’exiguïté des dortoirs, des couloirs, les passages secrets menant au centre-ville. L'université Al-Azhar est vue comme un labyrinthe, un dédale, où l’on s’épie, on écoute aux portes. Le plus haut lieu de l'Islam sunnite est dépeint comme le centre de complots, malversations, jalousies, mis dos à dos avec la Sécurité de l’État, comme Coppola filmait le Vatican dans LE PARRAIN 3.

Si le départ est bien rythmé, les scènes s’enchaînent avec fluidité (la pêche, la famille, le courrier reçu, le départ et l’arrivée au Caire) on est plus tard gêné par un je ne sais quoi, un manque de tension, de noirceur. On a comparé ce film à LE NOM DE LA ROSE (1986) dont le réalisateur dit s’être inspiré, à la différence que Jean Jacques Annaud exploitait au maximum son décor, son abbaye était presque un personnage à part entière de son récit.

Tarik Saleh opte pour le non-spectaculaire. On ne lui demandait pas de nous faire du Marvel ou du James Bond, mais il y avait dans LE CAIRE CONFIDENTIEL une tension des plans que je ne retrouve pas ici, comme on en trouvait dans LA LOI DE TÉHÉRAN de Saeed Roustaee ou dans les films d’Asghar Farhadi. L'aspect thriller est tout de même mollasson. LA CONSPIRATION DU CAIRE est sans doute un film trop bavard, trop écrit, qui fourmille de références que je n’ai pas (discussion finale entre Adam et l’Imam aveugle), n’étant pas un exégète du Coran.

Il y a d’excellents moments : l’infiltration dans le clan des Frères Musulmans dirigé par Soliman (le coup de téléphone à l’oncle), lorsqu’Adam devient opportunément l’assistant du cheikh Durani dont il a mission de détruire la réputation avant les élections (scène du Dolipran pour enfant, la commande d’un McDo). Mais la sauce ne prend pas, sans doute aussi à cause de l’interprétation statique de Tawfeek Barhom (Adam) qui n’a qu’un seul registre de jeu, courber l’échine, regard vers le sol, soumis. Au contraire du formidable Fares Fares qui joue Ibrahim, (il était déjà le flic dans LE CAIRE CONFIDENTIEL) tout à fait épatant, comme l’inquiétant Sherwan Haji qui joue Soliman, qu’on avait vu dans L'AUTRE COTE DE L'ESPOIR de Aki Kaurismäki.

Pendant la séance, et ce n’est pas bon signe, plusieurs spectateurs ont allumé leur téléphone pour regarder l’heure, et quand on allume un portable dans une salle de cinéma, c’est pas discret… Sur le papier c'est un grand film, j'ai quelques doute sur le passage à l'écran. 

 couleur  -  2h00  -  scope 1:2.39

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