Il existe des hommes dont les échecs sont si retentissants, qu’ils ressemblent à une forme de triomphe. Le drame du punk consiste dans son incapacité à produire des loosers plus grandioses que leur parrain Iggy le magnifique.
Si l’on disait que Johnny Thunder "arrachait la défaite des griffes de la victoire", Iggy Pop était un empereur dont les plus grandes batailles auraient fait passer Waterloo pour une victoire grandiose. Son enfer commença lors d’une tournée des Stooges, lorsqu’une groupie vicieuse lui déclara "comment peux-tu être un monstre si tu n’as pas assez de poison en toi ?". Les rockers étaient alors les nouveaux héros Shakespeariens d’un monde qui s’enlisait dans la morosité et le conformisme, les émissaires chargés de vivre ce que le commun des mortels ne pouvait vivre. Le public va voir un concert de rock comme ses grands-parents allaient voir la femme à barbe ou l’homme tronc, pour fuir la lamentable platitude du monde.
Alors, quand des dizaines de jeunes sauvages découvrirent un Iggy convulsant avec la violence d’un gorille enragé, ils comprirent que cette homme-là allait leur donner leur dose d’exploits nihilistes. Il pouvait chevaucher ces gamins le regardant avec des yeux admiratifs, Iggy n’en était pas moins leur esclave et leur martyr. Une fois passés les hurlements bestiaux et les chevauchées de fans admirant ce fou enduit de beurre de cacahuète, Iggy faillit terminer en poussière d’étoile.
Nous arrivions alors au moment que tout fan attend sans oser l’avouer, cet instant où la mort peut faire d’un grand chanteur un chanteur mythique. Pour entrer dans l’histoire, il ne suffit pas d’écrire des titres inoubliables où d’enchaîner les concerts légendaires, il faut finir par y laisser sa peau de la façon la plus brutale et tragique possible. Mais l’Iguane sut se nettoyer du venin qui infectait son corps avant que celui-ci ne finisse par avoir sa peau. Durant sa désintoxication dans un hôpital psychiatrique, celui qui inspira le personnage Ziggy Stardust put compter sur le soutien et l’aide de celui qui était devenu le Thin White Duke.
L’histoire fut mainte fois racontée, mais on ne saluera jamais assez la générosité d’un David Bowie ayant produit deux des plus grands disques de son acolyte. Les deux albums ayant fait un honteux bide, le roi David accorda à son ami une rente impressionnante en reprenant « China girl » sur le culte « Let’s dance ». Le destin de tous amis étant de se séparer tôt ou tard, Bowie partit ensuite surfer sur l’énorme succès de son dernier album, engloutissant ainsi son génie dans les méandres de la pop FM. Pendant ce temps, le désespéré Iggy en fut réduit à imiter cette New wave qui n’était qu’une version aseptisée de la fougue stoogienne. Naquirent ainsi deux disques aussi mal vendus que désespérément plats, « Soldier » et « New value ». N’y croyant plus, Arista finit par lâcher son prestigieux looser, qui fut alors récupéré par une maison de disque plus jeune et ouverte. Libéré des considérations mercantiles imposées par les grandes majors, notre martyr increvable décida de produire lui-même ce qui devint l’album « Zombie Birdhouse ».
Ce disque est le rugissement magnifique d’un fauve blessé qui, acculé au bord de l’abîme, pousse son plus terrible et impressionnant rugissement. « Zombie Birdhouse » est si bon qu’il s’apparente à une résurgence de cette éruption incandescente qu’est « Fun house ». La rythmique de « Eat or be eaten » rappelle d’ailleurs la rage nihiliste de « TV eyes ». Là où les sifflements des synthétiseurs assagissent le swing de la plupart de ses contemporains, ceux qui accompagnent Iggy sifflent avec une stridence très agressive. Vient ensuite les bombes heavy tels que « Buldozer », prototype du renouveau ravageur que l’Iguane accomplira ensuite avec des disques tels que « Beat em up », « Skull ring » et « Brick by brick ». Les nostalgiques de la beauté pop de « The idiot » et « Lust for life » seront comblés par un « Platonic » rappelant la beauté poétique de « The passenger ». « Zombie Birdhouse » contient également son lot d’expérimentations brouillonnes, délires de vieux fou réalisés avec l’innocence d’un lapin de trois semaines.
Synthé et batterie entretiennent alors un chaos sismique, forment un déluge sonore n’obéissant à aucune loi terrestre. La folie de « Watching the news » et « Street crazy » ne peut être considérée comme grandiose que sur un tel album. Avec un déluge nihiliste pareil, Iggy Pop a retrouvé la folie barbare de ses premières heures. Après l’avoir quelque peu modernisée, il la lance à la figure de sa descendance en la défiant de faire mieux. Reconnaissant enfin le guerrier de la route qui lui donna naissance, la génération punk/New wave se jeta sur « Zombie Birdhouse » comme une horde ayant trouvé sa terre promise. L’Iguane sortit ainsi des limbes et put profiter de son prestige de survivant.
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