mercredi 26 octobre 2022

HARDLINE " Double Eclipse " (1992), by Bruno



     Puisque l'automne ne semble pas parvenir à imposer ses journées pluvieuses, peinant à dégager un été résistant, irradiant encore un peu de sa chaleur, autant poursuivre dans le chapitre consacré aux groupes de Hard FM, entamé cet été. Cette fois ci, un pas trop connu, dont la carrière de la première mouture fut de courte durée, principalement par la faute des médias pour qui désormais, le rock devait se limiter au guitares déchirées du grunge. Par la faute aussi de son image qui était alors plus en accord avec celle d'un Glam-rock US - par la suite nommée ironiquement Hair-metal - jugée dépassée par les tenants du bon goût et des suiveurs. Les exemples sont nombreux et ne se limitent hélas pas qu'aux derniers soubresauts du Hard FM. Indéniablement, commercialement, en 1992, il n'était pas bon de ne pas se rallier à la tribu du Grunge 


     Pourtant, avoir Neal Schon dans ses rangs aurait dû ouvrir bien des portes. Certaines l'ont été, mais pas suffisamment. La rapide signature avec une major en fait partie. Tout comme deux clips vidéos - bien neuneu et qui n'ont dû coûter que des clopinettes 🥴 -, mais surtout l'insertion de chansons dans le film "Rapid Fire" avec Brandon Lee. Hélas, ce qui aurait pu être une excellente vitrine, se révèle être un film d'action typé années 80, apparemment miné par une production pressée se satisfaisant d'un scénario prévisible, d'un cadrage synthétique et d'un jeu d'acteur, outre le personnage principal, des plus figé et inexpressif. D'un autre côté, à l'exception de clips - sans aucune originalité -, le label, A & M, ne semble pas avoir fait beaucoup d'efforts pour la distribution (difficile de dénicher le disque). Bref, 
en regard de la qualité de l'album, ce quintet américain n'a pas reçu le succès qu'il était en droit d'escompter. Certes, il a légitimement fait une bonne petite percée dans les charts mais sans s'y attarder. Et si on fait la comparaison avec Bad English, le précédent groupe auquel à participé Schon, qui a profité d'un meilleur retour (avec deux singles dans le top 10, dont un n° 1), il n'est pas juste que Hardline n'ait pas reçu le même accueil. Sinon plus, car, effectivement, ce dernier est d'une qualité supérieure.

     Hardline, c'est d'abord le groupe des frères Gioeli, Johnny et Joey. Deux New-Yorkais (Brooklyn) qui, dès le début des années 80, n'ont pas cessé d'écumer les clubs de la côte Est à travers divers groupes sans grand lendemain. Initialement, Johnny tape sur des caisses, mais il finit par prendre le devant de la scène et se consacrer au chant - empoignant à l'occasion une guitare- Le frérot, Joey, est guitariste, et le reste. A l'aube de la décennie suivante, les deux frangins décident de monter leur propre groupe, afin évidemment d'en être les leaders. Il ne manque plus qu'à trouver des musiciens assez bons. Le boy-friend de la sœur Gioeli a en évidemment vent. Lui-même musicien et compositeur, et tout récemment au chômage (en pause largement méritée), il aimerait bien faire partie de l'aventure. Pour les Gioeli, cette proposition est une aubaine qu'ils s'empressent d'accepter, car le compagnon de sœurette n'est autre que Neal Schon. Ex-jeune prodige embarqué au sein du groupe de Santana, l'un des membres fondateurs de Journey, poids lourds du Hard FM américain, et donc de Bad English (après une courte parenthèse avec Sammy Hagar et Michael Shievre).   


    D'autant que l'ami Schon ramène avec lui Deen Castronovo, le batteur du défunt Bad English, qui devient alors rapidement une valeur sûre du gros Rock (mais pas que). Dans le rôle du bassiste, ils embauchent Todd Jensen, qui vient d'accompagner en tournée David Lee Roth.

     Bien que solidement affilié au Hard FM, Hardline se situerait plutôt à un carrefour menant également à un gros heavy-rock US et au Classic-rock - tendance velue. Déjà, à l'exception de quelques infimes et très occasionnels  bidouillages de studio, les claviers - habituellement indissociables du Hard FM - sont proscrits. Et puis les guitares de Schon et Gioeli sont puissantes, bodybuildées par une épaisse disto XXXL (peu ou pas compressée), le côté hargneux rivalisant sérieusement avec la mélodie. Peut-être encouragé par les frérots, poussé par leur jeunesse (Johnny n'a que 24 ans alors que Schon en a 38 à la sortie de l'album), Schon semble s'en donner à cœur joie, donnant corps avec son acolyte à une saine explosion de soif de vivre - il "kiffe la life" -. Parallèlement, alors qu'en solo, depuis quelques années, il a parfois tendance à en faire trop en matière de descente de manche à toute berzingue, là, à une exception près, il se contient, préférant se délecter des riffs percutants qu'il ponctue d'incisifs petits chorus. Ou de soli tout en feeling, comme sur celui un rien bluesy du slow "Can't Find my Way". A croire que lorsque ça s'avère plus ou moins sirupeux, il a besoin de relâcher la pression. Ce qui n'est pas le cas ici. [à moins que sœurette veille à ce qu'on ne fasse pas d'ombre aux frangins. Qui sait ?]

     Devant, le chanteur, Johnny Gioeli, se révèle être un sacré shooter. Un peu poseur, oui, mais apparemment doté d'un sacré coffre, capable d'être mélodique avec un timbre rugueux, rauque, sans partir dans l'ostentatoire avec d'inutiles vocalises - ou de cris perçants vrilleurs de tympans et briseurs de ... -. Quasiment la fusion de Steve Perry, l'ex-chanteur de Journey (au cas où) et de Kelly Jones, celui de Stereophonics.

     Il y a bien un travail au niveau des mélodies qu'on peut rallier à un rock FM puissant, écartelé entre un puissant Glam-rock et le penchant Van Halen de l'ère Hagar, cependant le quintet aime assez que ça cogne.  D'ailleurs, ils entament les festivités sur un "Life's a Bitch" percutant et un "Dr Love" (lorsque l'un de ses géniteurs, Mike Slamer, reprendra la chanson avec le groupe Steelhouse Lane, il sera bien en peine de faire aussi bien) soutenu par un riff en béton armé - qui "fait Mururoa dans ta tête à toi" (a). Pour ce dernier on pense aussi bien à Damn Yankees (1) qu'à Def Leppard, mais en mieux. "Rhythm from a Red Car" semble avoir emprunté le matos de Billy Gibbons période "Expandora" (2) pour traverser, non pas le sempiternel Sunset Bv., mais une pluie de météorites, à bord d'une voiture customisée pour affronter l'espace (3). Après deux chapitres plus posés, mainstream, ils remettent le couvert avec un "Everything" entre Glam US et Whitesnake période bouclettes. Là où la plupart des formations de Rock FM se crashent dans une sortie de route dès qu'ils essayent de passer la cinquième, Hardline fait une démonstration réussie avec le nerveux "Bad Taste". Pour conclure avec les titres rentre-dedans"I'll Be There", plus tempéré, évoque beaucoup le Bryan Adams de "Cuts Like a Knife" et "Reckless", le son maousse en sus.


L'album comporte aussi son lot de slows, cependant, bien que quelques mouvements ne parviennent pas à sortir des sentiers battus, on évite soigneusement de tomber dans le lacrymal forcé ou la guimauve. Les grosses grattes - encore elles - 
pourvoient, ainsi que le chant puissant et expressif de Gioeli. "Change of Heart" étant certainement le plus commercial ; il a d'ailleurs quelques airs du "High Enough" de Damn Yankees (meilleur succès de leur courte carrière) tout en étant plus solide. En final, un plus prétentieux, "In the Hands of Time", introduit par un bel interlude de guitare acoustique signé Schon ("31-91"), s'inscrit dans le registre de la power-ballad de classe ; ça frôle presque le rock-progressif 80's avec un chant aux intonations typées Ronnie James Dio.

On note que "Can't Find my Way" paraît se servir de "Take my Breathe Away" (de Berlin repris pour le gentil nanar "Top Gun") comme d'un starting-block, tandis que Schon récupère et adapte judicieusement des plans du fameux "Look into the Future". 

Bien sûr, il y a aussi quelques chansons plus ouvertement calibrées "FM". En l'occurrence, "Everything", la reprise "Hot Cherie", et le bonus qui est inclus dans les dernières éditions CD, "Love Leads the Way". C'est du bon, seulement, en comparaison du reste, ça manque de piquant.

    Finalement, ce premier et unique essai de ce Hardline première formule, est bien plus dans la continuité d'un Paul Sabu que d'un Journey. Hélas, en dépit d'une honorable percée dans les charts, de clips vidéos et d'une invitation dans un film "grand public", le public ne se presse pas aux concerts. Ce qui n'a pourtant rien d'étonnant pour un groupe sorti de nulle part, même si l'un des membres se nomme Neal Schon. Ce dernier, après un second opus en solo, va finalement relancer Journey. Dommage ? Avec le temps, cet album va progressivement gagner une place de choix par les amateurs du genre - et même chez ceux plus friands de sonorités plus corsées -. Ce qui permet, plus de dix ans plus tard, à Johnny Gioeli de remonter le groupe. Malheureusement, il n'y a plus que lui de la monture originale, et malgré tous les efforts et l'indéniable qualité des musiciens, le nouveau groupe ne parvient pas à renouer avec la qualité de ce "Double Eclipse".


     Une fois de plus, le label Bad Reputation a effectué une sérieuse réédition, avec une remasterisation digne de ce nom, quelques bonus (la chanson "Love Leads the Way" autrefois seulement disponible en édition japonaise et trois excellents morceaux lives) et un livret comportant les paroles des chansons.

(a) référence cinématographique - film de Hervé Palud (au cas où)

(1) Super groupe réunissant Tommy Shaw (Styx), Jack Blades (Nightranger) et Ted "super ego - frappadingo" Nugent, pour deux albums (en 1990 et 1992).

(2) La Bixonic Expandora, une pédale japonaise entre la fuzz et la distorsion, très prisée par le Révérend, qui en avait fait un stock et en en stackant parfois jusqu'à trois. Il y avait puisé son inspiration pour l'album "Rhythmeen". En fait, des petits switchs à l'intérieur permettaient de pencher vers l'overdrive ou la distorsion, plutôt que la fuzz.

(2) C'est un Roadster rouge qu'Elon Musk a catapulté dans l'espace, non ? Ou bien est-ce la décapotable du chapitre d'introduction du film "Heavy Metal" ?


🎶🌌
Autres articles liés à  Neal Schon (liens) :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire