Pour ce faire, il part démarcher à Seattle le claviériste et chanteur de Santana, Gregg Rolie, qui a pris une pause pour aider son père à ouvrir un restaurant. Tous deux rallient à leur cause le bassiste du Steve Miller Band, Ross Valory, et l'ex-Bluesbreaker, Frank Zappa et Bowie (et Aysnley Dunbar Retaliation), Aynsley Dunbar lui-même. Un seconde guitariste est dépêché mais ce dernier ne reste que le temps d'un premier album.
C'est d'abord Golden Gate Rhythm Section, qui est choisi pour nommer la formation, avant de rapidement sélectionner le court Journey. Un nom plus en phase avec leur musique qui ne s'autorise aucune frontière, voguant indifféremment au gré de l'inspiration dans le Rock progressif, le heavy-rock et le Jazz-rock velu, jusqu'au Blues-rock hendrixien avec le monumental « Look Into the Future » (1). Trois bons albums, techniquement de haute volée, certes parfois aventureux mais inégaux, mais injustement occultés par la période faste du groupe. La raison principale étant la quasi absence d'éléments commerciaux (bien que l'album « Look Into the Future » paraît faire quelques efforts en ce sens, dont l'équivoque « Saturday Nite ») la durée des morceaux ne facilitant pas non plus le passage radio. La dure vie du musicien qui espérait pouvoir vivre confortablement et sans contrainte de sa musique.
La maison de disque qui croyait avoir senti le bon coup en signant deux ex-Santana, commençait à faire la gueule. Probablement que des responsables, pensant avoir été suffisamment patients et indulgents jusqu'à présent, estimaient qu'il était temps d'avoir enfin une rentabilité nettement plus consistante. Avec l'aval du management, ils imposent la rencontre avec un jeune chanteur dont la démo en avait laissé plus d'un sur le fion.
En aparté, la genèse du Hard-FM/AOR ne peut se résumer aux groupes susnommés. Comme bien généralement en musique, les sources sont floues et éparses. Dans ce cas, il convient de mentionner le travail de Chicago ainsi que l'évolution progressive de Grand Funk Railroad qui, parti d'un Hard-rock de Cro-magon, peu ou prou mâtiné de Soul malaxé au pilon, arrive à un Heavy-rock relativement raffiné, avec l'apport incontournable d'un clavier, et aux refrains inspirés par la Motown.
Désormais, Neal Schon a mit de l'eau dans guitare, réduisant son taux de phaser et d'overdrive, freinant ses pulsions hendrixiennes, pour adopter une tonalité plus policée et un jeu plus mesurée. En contrepartie, c'est aussi le début de ses soli nerveux et speedés, shredders avant l'heure (et plus tard, pas toujours en adéquation avec la chanson). Et Gregg Rolie en plus d'avoir considérablement réduit ses interventions d'orgues Hammond, pour laisser une plus grande place au piano, ne laisse plus qu'occasionnellement vibrer sa voix Soul de doux ours (du moins de front). Tandis que Schon, qui tentait timidement de faire ses preuves au chant, est relégué en division d'honneur. Car il a fallu faire de la place à la voix claire et puissante, relativement haut perchée, du nouvel élément : Steve Perry.
Étonnamment, malgré l'incorporation récente de Perry, Journey réalise là un de ses meilleurs disques. C'est bien simple, malgré les ans, « Infinity » a tous les attributs d'un « Best of ». A croire que le groupe – ou Steve Perry – avait déjà ce matériel sous le coude, et n'attendait plus qu'un effet déclencheur, le déclic, pour lui donner sa forme définitive. La signature de Robert Fleischman, le chanteur éphémère de Journey (futur chanteur du Vinnie Vincent Invasion), sur trois des chansons, corroboreraient cela. Et puis cette mouture garde encore un certain attachement à une musique organique, et ainsi se défend de tomber dans l'ampoulé, l'aseptisation par l'utilisation de synthétiseurs. Pour assurer le coup, on a aussi dépêché le producteur Roy Thomas Baker qui a prouvé son talent pour allier clarté et puissance avec les albums de Queen.
Sur « Lights », rien
que les arpèges crunchy de Schon sont chaloupés et invitent à une valse. Sur
cet allegro, Perry dépose sa voix limpide mais solide. Il en joue comme s'il
était un oiseau fabuleux virevoltant entre les cimes et les nuages, s'abreuvant
de liberté. « Feeling That Way » est introduit par la voix plus
limitée, mais plus chaude, de Rolie, avant de partager les couplets avec Perry.
La cohabitation est savoureuse, l'un apportant des ingrédients de Soul et de
Blues un brin rugueux, tandis que le second injecte un lyrisme fédérateur. Dans
cet élan festif, Schon développe un superbe et expressif solo bluesy. « Anytime » est quasiment enchaîné
a capella par le duo Perry-Rolie. De
nouveau, les deux chanteurs travaillent en bonne intelligence ; ce qui
donne plus de couleurs et de consistance à ce morceau déjà bien soutenu par la
guitare égrenant un arpège – habillé d'un léger chorus – entrecoupé d'un gros
et sombre bend de la corde de mi grave.
Intarissable, le groupe délivre encore une nouvelle perle, un autre classique, « Wheel in the Sky ». Perry se fait plus crooner, aidant le groupe à taquiner une forme de Pop-rock disons un peu plus adulte. Le refrain, repris en chœur par le groupe (seul Aynsley ne chante pas), est immédiatement mémorisable et fait la force de ce morceau qui va longtemps rester un incontournable de leurs concerts.
Ce n'est qu'à partir de la septième pièce que le groupe montre quelques signes de faiblesse, avec « Somethin' To Hide » assez consensuel (quoique, peut-être pas à l'époque). Et « Can Do » qui se vautre radicalement en tentant une percée dans un Rock lourd. Mais auparavant, « Winds of March » qui, après une intro mielleuse, les musiciens poussent les potards à onze (ou plutôt à 8/9 😁), et Neal et Gregg en profitent pour mettre le feu ; ça fume encore lorsque Perry fait de son mieux pour revenir à un ton plus en adéquation avec le sujet de la chanson qui porte sur l'amour que l'on porte à son enfant.
Journey conclut ce premier
chapitre « ère Perry » avec un bien beau « Opened the
Door » qui renoue quelque peu avec les velléités progressives des albums
précédents. Perry s'accroche à une coloration plutôt Blue-eyed Soul - avec des paroles des plus niaises -, tandis que
l'orchestre, progressivement, l'en extirpe pour se parer d'une sombre
coloration, tel une caravane se perdant dans le crépuscule d'une terre
hostile... où semble poindre, à l'horizon, une oasis salvatrice.
Cinq des chansons de cet album se retrouvent sur leur premier (double) live : " Captured ". Preuve en est de la qualité de cet album, d'autant que lors de la tournée qui servit à réaliser ce live, le groupe était déjà riche de six galettes. Ce premier album avec Steve Perry, dont trois singles en sont extraits (on aurait pu en sortir six ), marque une confortable entrée du groupe dans le billboard et autre charts. Même si l'on est encore loin des résultats effarants de la décennie suivante, avec notamment "Escape" et "Frontiers", Journey rejoint le giron des formations (très) rentables, et la maison de disque va désormais être aux petits soins.
(1) Qui... n'a jamais eu
l'opportunité de délecter ses esgourdes avec cette magnifique pièce, ne peut se
prétendre amateur – mélomane – de bonne musique organique à base de Soul et de
Rock bluesy.
🎶🌌
Hello mon gars Bruno, j'étais passé à coté de ton article cet été. Me suis régalé à le lire et je vais m'écouter "patienly"....Kénavo, mon poto.
RépondreSupprimerPS : encore un disque qu'on a en commun : HARDLINE " Double Eclipse"
Yo, Philou.
SupprimerCe premier Journey avec Steve Perry est, à mon sens, une franche réussite. Peut-être même la plus belle du groupe.
Quant à Hardline, malheureusement un peu étouffé par la vague Grunge, demeure - trente plus tard - un sacré morceau.
A prestu
yes, un bien bel album. Est que que tu as écouté le live "Neal Schon's Journey Through Time" ?
RépondreSupprimerUn concert de 2019, pendant lequel Neal Schon revisite le répertoire de Journey, (bien) épaulé par Gregg Rolie, Deen Castronovo, Marco Mendoza, Marti Frederiksen, et Chris Collins.
j'ai oublié de te dire que cet album ("Neal Schon's Journey Through Time"), n'est pas sorti officiellement, mais tu peux l'écouter sur YouTube. A plus, amigo.
SupprimerNon, aucunement. C'est une découverte. Une belle brochette de musicos 😲
SupprimerJ'écoute ça en ce moment. Apparemment, un concert pour le fun, en petit comité. Une prestation sans fard et de haute volée.
Deen est surprenant au chant 😳 Et sans lâcher ses baguettes !
Cette réunion semblerait confirmer que Neal Schon, dans la mesure du possible, ait souvent gardé des liens avec les musiciens qu'il a côtoyé.
Gregg Rolie qui revient fait des apparitions ; Michael Shrieve appelé pour l'éphémère HSAS ; Deen Castronovo joint pour Hardline, puis Journey, puis Soul SirkUS ; Jonathan Cain occasionnellement sollicité pour aider dans les compositions, voire quelques notes de claviers - sans oublier l'aventure Bad English ; Steve Smith pour donner un coup de main sur les disques solos. Comme s'il aimait bien de tâter de divers projets, mais couper tous les liens avec les potos.