mercredi 6 juillet 2022

EL PERRO " Hair Of " (2022), by El Bruno



     Et la pédale wah-wah fut. [chœurs célestes]. Alléluia !! Alléluia ! Alléluia !!! Non, mes frères et mes sœurs, ce n'est aucunement un blasphème, car une telle invention, aussi essentielle, ne peut être qu'un don de Dieu. Ou celle d'une quelconque divinité pleine de bonté, soucieuse du bien être des hommes. Toutefois, il faut bien reconnaître qu'une entité maléfique, ou simplement taquine, a aussi mis son grain de sel, puisque, malheureusement, cet objet merveilleux a ce gros défaut d'avoir généralement une durée de vie limité, par faute d'un potentiomètre qui finit par crachoter comme un asthmatique en pleine crise. 


     La wah-wah... Depuis que Jimi Hendrix, Clapton et Earl Hooker ont branché leur guitare dans cette pédale d'expression, le monde n'a plus jamais été pareil. A l'écoute de son utilisation par ses apôtres, l'engouement fut si fort que rares sont les disques de musique populaire sortis entre 1968 à 1972 à ne pas receler une once de cet engin fabuleux. Las, lors des années suivantes, tout donnait à croire que progressivement elle allait être remisée, délaissée par les nouveaux arrivants puis moquée par la génération Punk (à l'exception de Brian James). Jusqu'à ce qu'un quintet sorti de sombres rues londoniennes, vêtu de jeans et de cuir, la remette au goût du jour ; l'intronisant dans le monde du Heavy-metal avec un titre : "Prowler". Depuis, l'objet est devenu un accessoire quasi indispensable d'un nombre incroyable de pedal-boards. Certains en faisant un outil indissociable de leur son. Jusqu'à en utiliser deux en parallèle, quand d'autres pouvaient s'en servir en position fixe, comme d'un filtre-booster pour sculpter leur son. Absolument indispensable pour quelques intégristes, on est allé jusqu'à estimer d'un Ecossais frisé, que s'il perdait un pied, il en jouerait encore avec son moignon.

     Une remarque que l'on pourrait tout aussi bien attribuer à Parker Griggs, ce grand fan des Led Zeppelin, Cream, Hendrix et Blue Cheer, insatiable chercheur de raretés rock-psyché et autres hard-blues halluciné, et surtout et fondateur et leader de Radio Moscow. Groupe dédié aux univers de la fuzz et de la wah-wah. Là, avec son nouveau projet, El Perro, il en remet une couche. Une bien épaisse chargée de fuzz donc, et de wah-wah de toutes les couleurs. Pourvu qu'elles œuvrent dans un registre rugueux, plus ou moins sale. Aujourd'hui, il est assez rare que la wah-wah occupe autant d'espace sur un album. C'est à croire qu'il les achète par paquets de douze.


     Là, sur ce premier essai d' El Perro, on en a pratiquement à toutes les sauces. Pourvu que cela soit cru, mordant et organique. C'est du sans filtre - outre celui de la wah-wah -. La sensation d'écoute est souvent celle d'une jam session, où de solides squelettes sont rapidement et copieusement charpentés, développant parfois quelques excroissances fabuleuses. La voix grave, puissante et un peu écorchée, résonnant dans un écho d'outre-tombe, participe à ce coup de massue. On en sort exsangue. A un tel point que les deux ou trois premières écoutes peuvent s'avérer difficiles à digérer. Et puis, doucement, "Hair Of El Perro" séduit. Par son approche sans fard, authentique, absolument sans concession; par son aptitude à évoquer de vieux fantômes de talentueux excités issus de la fameuse décennie des années soixante-dix - et même d'avant. Et puis par une certaine classe, celle de musiciens jouant comme ils respirent, avec fluidité et nonchalance. C'est que ça joue. 

     Taquins, Griggs et Lonnie Blanton (également ex-Radio Moscow) et leurs sbires démarrent doucement, bien doucement. Dans des vapeurs psychédéliques où l'on perd ses repères. Et puis soudainement, ça explose dans une effusion de blues-rock irradié qui renvoi au proto-Stoner de Buffalo. "No Harm" suit le même chemin avec un surplus de sauvagerie ; Griggs y chante comme un dément en pleine extase mystique, tandis que le titre s'étire dans des circonvolutions corrosives. On pourrait faire un parallèle avec Howlin' Rain (👉 lien). Après ces deux coups de semonce, on peut déjà en ressortir rincé, défait. Surtout si on a  été éduqué seulement à coups de pop lustrée et de rock édulcoré - ou de r'n'b ?? 😨


   Toutefois, si l'on possède de solides esgourdes, que l'on ne craint pas de rester à bord du vaisseau "El Perro" pour 
poursuivre l'aventure, d'autres fenêtres s'ouvrent, libérant d'autres couleurs chatoyantes. A commencer par le fumant "Take Me Away" qui brutalise le funk en l'offrant en pâture à un jeune Nugent affamé, revenant bredouille d'une longue chasse, qui a troqué son arc à poulies contre une wah-wah léthale (on retrouve sur ce morceau quelques petits larsens hérités de "Hibernation" 😊). Ensuite par "K. MT", un instrumental trépidant, ode à la wah-wah (ouais, y'en a de partout, des tonnes), où Hendrix se serait joint à la section rythmique du Santana "première saison". 

   Cette précédente pièce est plutôt binaire, mais "Breaking Free" profite de l'apport d'une nouvelle fenêtre pour s'immerger dans la Soul. Celle frite dans une onctueuse "pâte Rock", suivant la recette des premiers albums du groupe de Yankees de la Motown, Rare Earth (👉 lien). Avec "Crazy Legs", ce sont les plates bandes d'Aerosmith que l'on vient piétiner ; celles des morceaux de funk lourd et déjanté, presque bancals, chers à Joe Perry.


    Griggs a dû mettre la main sur une des pédales d'émulations d'Electro Harmonix, et faire joujou avec, jusqu'à en sortir cette chanson en roue libre, "Sitar Song", sans grand intérêt. Moment dispensable, comme tournant en boucle sans but, mais voilà qu'El Perro sort un as de sa manche avec le formidable "Black Days". Instant de pure bravoure, où l'on tente de réveiller les fantômes du Santana première mouture, avec un Carlos sous mescaline, se servant de sa SG pour communier avec des mondes parallèles. Probablement pas le fruit du hasard puisqu'on y retrouve des bribes de "Toussaint L'Overture" et de "Jingo". Le break mêlant percussions et batterie, invitant à la danse et à la transe, assure la comparaison. Sur le dernier solo, Parker - alias Carlos - imite Jeff Beck à l'époque des Yardbirds / Jeff Beck Group. Seul morceau long de l'album, avec ses près de douze minutes, on n'en perd pas une miette, tant le mets est savoureux.

     Tout au long de l'album, la parenté avec Radio Moscow est évidente. Déjà, bien sûr, par le chant possédé et sauvage de Griggs, même s'il semble s'être désormais paré d'un voile sombre - premiers symptômes de l'âge à force de s'écorcher les cordes vocales ? L'enregistrement du chant réalisé outre-tombe, ou dans une crypte humide, renforce cette sensation. La structure des morceaux, échafaudage brinquebalant fait de couplets chantés les doigts dans la prise (que certains n'hésiteraient pas à qualifier de criaillés), de brasiers instrumentaux et de breaks en transe psychédélique, est toujours de mise. Tout comme le jeu de guitare organique, synthèse  "garage" des Stratocasteriens les plus fous et allumés des 60's et 70's. De même que le timbre qui n'a pas vraiment changé, si ce n'est d'avoir poli les aspérités des fuzz et lâcher les chiens - ou les wah-wah 😁. Le pedal-board composé de Fuzz-face, de Tube-screamer, de MXR Phase 90, d'Hybrid-fuzz, de Danelectro Coolcat Delay, d'Electro-Harmonix Echo, de wah-wah Vox ou BBE, de Boss DD-7, n'a pas dû vraiment évoluer. De même que sesauthentiques Marshall vintage élimés, sa tête d'ampli Gibson Titan et Danelectro ou Orange. Pas totalement dépaysé donc. C'est juste que Griggs a injecté une triple dose de funk latino à son rugueux et brutal Blues-rock irradié de psychédélisme et saupoudré de stoner. Désormais il a des fourmis dans les jambes et son cœur bat la chamade au son chaleureux du Funk et de la Soul psyché qui ont explosé au début des années 70. 

     El Perro ressuscite la Soul sulfureuse de Black Merda (👉 lien), passe aux rayons gamma celle des Rare Earth et Undisputed Truth (1), charge de plomb le funk de Funkadelic, et agrémente généreusement, au gré de ses humeurs, de Rock latin fortement connecté au Santana première ère (d'où l'ajout de percussions). Le tout avec un chant sombre et orageux, plus en lien avec le stoner qu'avec quoi que se soit de Soul ou de funk. 


(1) Avant que le groupe ne flirte avec le funk et le Disco - toujours avec une certaine classe.



🎼🐖🚗

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire