- Salut M'sieur Pat, Claude est en vacances, vous pouvez me rendre un
service en m'aidant pour la mise en page ?
- Ouaip ma puce… Commence déjà par me tutoyer – au bout de dix ans, ça
s'impose – C'est quoi le billet du Toon ?
- Oui M'sieur Pat, pardon Pat, une chanson d'un Monsieur Jean-Roger
Caussimon chantée par lui et par Léo Ferré, tu connais ?
- Caussimon, Caussimo… houlà, c'est loin ça, l'époque de la chanson à
texte tendance anar… tu veux quoi côté coup de main ?
- ben quelques tuyaux et puis je mets le texte avant ou après les vidéos
?
- Bof, plutôt avant… fait voir, on redécouvre tout cela ensemble, il a
bien dû faire un pt'i texte d'intro de 8713 mots, haha…
XXXXX |
Bonjour à tous. Quand j'entends des chanteurs par hasard sur les médias,
j'ai la larme à l'œil. J'ai grandi avec Ferré, Ferrat,
Barbara, Brassens, Brel, d'autres que j'oublie de
citer, des interprétations de textes de Prévert et ses potes comme
Aragon. Des poèmes avec des phrases poignantes ou sensuelles ou des
interprètes qui chantaient voire gueulaient leurs tripes, a contrario de
susurrer de manière quasi incompréhensible… Je dois être d'une autre époque,
peut-être même un fossile. Ferré chantait déjà en 1971 "Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique / La
musique se vend comme le savon à barbe / Pour que le désespoir même se
vende il ne reste qu'à en trouver la formule / Tout est prêt / Les
capitaux / La publicité / La clientèle / Qui donc inventera le désespoir
?"
Alors quoi ? je suis snob ? trop lettré ? Devant ma télé, ado, on les voyait et entendait ces gens-là… Maintenant entre Booba (le Rocky Balboa des aéroports 😆) et Christophe Maé, on a de la prose au top (rigolo le néologisme "prosotope", ne pas confondre avec isotope 😊). Deux choix, d'abord "il est où le bonheur" par le crooner à la voix de Mauriac :
"J'ai fait l'amour, j'ai fait la manche /J'attendais d'être heureux /
J'ai fait des chansons, j'ai fait des enfants / J'ai fait au mieux /
J'ai fait la gueule, j'ai fait semblant / On fait comme on peut /
J'ai fait le con, c'est vrai ; j'ai fait la fête, ouais ! / Je
croyais être heureux / Mais, y a tous ces soirs sans potes". Les cinq verbes utilisés en tout et pour tout sont : avoir, faire,
attendre, pouvoir, croire. Même dans le BLED de la classe de CE2, on
travaille sur dix verbes…
Ah, et l'ami Booba (rien à voir avec
Houba Houba
du Marsupilami) : "Les négros veulent prendre ma place, ma tek, mes rimes au plasma ; mec
on est àl quoi wesh arrête de m’check / Le choc débute et y aura pas
qu’moi, mac les putes à chaque beat j’déboule". Mon commentaire : le mystère de l'origine de l'orthographe
déliquescente de nos chers ados est enfin révélé… et la syntaxe foutraque
associée avec… Je n'ai pas tout pané mec' dans ta jactance de niqueur de la
rhétorique…
J'arrête de passer mes nerfs sur la médiocrité de la chanson médiatisée.
Pat Slade nous tuyaute à longueur de chroniques pour nous
mettre l'eau à la bouche et écouter des valeurs sûres qui arrivent encore à
nous enchanter dans les cabarets et les MJC. Vous l'avez déjà vu chez
Drucker l'ami Hubert-Félix Thiéfaine chanter
La ruelle des morts, hein ?
J'attaque. Je ne présente pas Léo Ferré à nos lecteurs, ça serait
insultant. Aller voir mon billet pour deux chansons :
Avec le temps et
La mémoire et la mer, à mon sens la plus belle chanson écrite en français, simple avis… Et
Pat a rédigé un papier sur une soirée au Déjazet avec entre autres
les anarchistes et
L'affiche rouge… Ce jour, encore un grand moment avec
Ne chantez pas la mort composée
par son ami Jean-Roger Caussimon. Là, je m'attends, peut-être à tort,
à "c'est qui ce gars-là" ?
Caussimon et son ami Ferré |
Caussimon Ferré |
J-R Caussimon l'oublié. Il a fait tous les métiers : auteur
compositeur interprète et acteur. Il faudra que je me fende d'une chronique
plus étendue. Né bordelais en 1918, l'adolescent est fan de
poésie : Villon, Marot, Rimbaud, Verlaine, La Fontaine, Dante, Heine… mais ne se sentant aucun talent pour les égaler et gratouiller ses
propres vers. Un peu de théâtre chez
Dullin et même Jouvet
qu'il amuse (il faut le faire). Puis la guerre, la captivité, du papier et
les premiers textes… Le retour en 1942 et les débuts dans les
cabarets, le Lapin agile, les trois baudets, toute une époque.
Suivront trente ans d'écriture, entre des rôles au cinéma (Fantômas pour
Franju), des chansons pour des pointures :
Catherine Sauvage, Les Frères Jacques, Serge Gainsbourg, et plus
tard : Julien Clerc, Bernard Lavilliers et
Catherine Ringer. Il est édité par Seghers…
Dans les années 70, José Arthur persuade
Pierre Barouh, producteur, de convaincre
Caussimon d'enregistrer son catalogue… Le bonhomme n'a pas la voix du
siècle, quoique, au moins c'est juste et viril, plutôt du chanté-parlé
rocailleux, mais une fougue bien adaptée à son style. Pour la mise en
musique, on assure avec des noms comme
Maurice Jarre, Francis Lai, André Popp, Philippe Sarde… Les albums s'enchaînent jusqu'en 1980 date à laquelle le
patrimoine est réuni dans un coffret de 93 titres
(Youtube)
:
Les deux interprétations écoutées ce jour montrent la forte primauté du
texte sur la musique pourtant si touchante, un poème aussi lyrique que
pathétique. Les styles interprétatifs sont très opposés. J-R
Caussimon nargue la mort après une intro style jazzy ironique, mort
inévitable, intrigante et dérisoire, la quintessence de sa vision est celle
des vers : "Il semble que la Mort est la sœur de l´amour / La Mort qui nous attend
et l´amour qu´on appelle / Et si lui ne vient pas, elle viendra
toujours". Alors là, les amis, on n'est pas en CE2…
Pour Ferré, avec près de trois minutes de plus et un arrangement plus symphonique, changement de registre total. La chanson devient complainte pathétique portée par la voix chaude et mélancolique de Ferré. Je ne détaille pas en alignant des phrases creuses, écoutez… Dément ! Ferré nous hypnotise par une languissante noirceur et une mélancolique acceptation portées notamment par les vers "La mienne n´aura pas, comme dans le Larousse / Un squelette, un linceul ; dans la main, une faux / Mais fille de vingt ans à chevelure rousse…"
Ne chantez pas la Mort, c´est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu´il est dit Les gens du show-business vous prédiront le bide
C´est un sujet tabou pour poète maudit
La Mort
La Mort
Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l´amour
La Mort qui nous attend et l´amour qu´on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La Mort
La Mort
La mienne n´aura pas, comme dans le Larousse
Un squelette, un linceul ; dans la main, une faux
Mais fille de vingt ans à chevelure rousse
En voile de mariée, elle aura ce qu´il faut
La Mort
La Mort
De grands yeux d´océan, une voix d´ingénue
Un sourire d´enfant sur des lèvres carmin
Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue
Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin
La Mort
La Mort |
Requiem de Mozart et non Danse Macabre
Pauvre valse musette au musée de Saint-Saëns
La Mort c´est la beauté, c´est l´éclair vif du sabre
C´est le doux penthotal, de l´esprit et des sens
La Mort
La Mort
Et n´allez pas confondre et l´effet et la cause
La Mort est délivrance, elle sait que le Temps
Quotidiennement nous vole quelque chose
La poignée de cheveux et l´ivoire des dents
La Mort
La Mort
Elle est euthanasie, la suprême infirmière
Elle survient à temps, pour arrêter ce jeu
Près du soldat blessé dans la boue des rizières
Chez le vieillard glacé dans la chambre sans feu
La Mort
La Mort
Le Temps c´est le tic-tac monstrueux de la montre
La Mort, c´est l´infini dans son éternité
Mais qu´advient-il de ceux qui vont à sa rencontre ?
Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter
La Mort
La Mort
La Mort ? |
J'ai revu l'autre soir "Tout le monde il est beau..." de Jean Yanne, où Jean René Caussimon fait une savoureuse apparition dans le rôle d'un prêtre qui absout les pêchers des auditeurs à l'antenne (!) et reluque avec gourmandise le joli derrière d'une assistante...
RépondreSupprimer"Reluquer avec gourmandise le joli derrière d'une assistante", voila une de ces choses qui ne sont plus permises aujourd'hui...
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