vendredi 8 juillet 2022

EL BUEN PATRON de Fernando León de Aranoa (2022) par Luc B.

Le film a triomphé aux Goyas, équivalents de nos Césars, avec notamment meilleur scénario, réalisation et film pour Fernando León de Aranoa, qui tournait pour la troisième fois avec Javier Bardem (LES LUNDIS AU SOLEIL, ESCOBAR).

L’acteur, de tous les plans mais entouré de savoureux seconds rôles, y interprète Julio Blanco, le patron d’une PME spécialisée dans les balances électroniques, Basculas Blanco. Comme on l’apprendra lors d’une catastrophique scène de dîner, il a hérité de l’entreprise par son père. Et cette entreprise est sa famille, il dirige ses employés en mode paternaliste, qui sont ses fils et filles. Julio Blanco ne se dépare jamais de son calme, de son sourire, une façade qui cache une certaine angoisse : il attend la venue d’une commission chargée d’élire la meilleure entreprise locale. Tout doit être net, clean, aucun accroc.

Évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Le film est découpé en chapitre, les jours de la semaine, compte à rebours avant l’audit. Ce patron charismatique et prévenant, qui affiche sa gentillesse à tous bout de champ, va peu à peu être contraint à quelques coup de canifs dans la morale. Ca va même aller plus loin que la morale…

Le film est très bien écrit, un tissu de sous-intrigues qui génèrent drôlerie et suspens, des retournements de situation inattendus, la réplique récurrente de sa femme « Fallait que je te dise un truc, mais j’ai oublié… ». Tout ce que Julio Blanco entreprend se retourne contre lui, le contraignant à s’enfoncer un peu plus dans la crasse.

Il y a Alejandro, fraîchement licencié qui entre en résistance en installant un campement aux portes de l’usine, avec banderoles et brasero. Une présence fâcheuse que le gardien est sommé de régler. Sauf que le vigile, bonhomme rondouillard un peu bas du front, apprécie Alejandro, l’aide à trouver des slogans revendicatifs, en rimes riches si possible. Il y a Miralles, chef de production qui commet bourdes sur bourdes, l’esprit ailleurs, soupçonnant sa femme d’adultère, alors qu’il couche lui même avec la secrétaire du patron.

Et puis Fortuna, vieil employé dont le fils bastonne des arabes, que Blanco sauve de la police en faisant jouer ses relations, et le place comme stagiaire dans la boutique de sa femme. Et puis il y a la jeune et pétillante Liliana, stagiaire au marketing, pas insensible au charme du patron, qui en retour lui fera une cour lourdingue.

Ce sont toutes ses histoires que Julio Blanco va devoir gérer, sans doute anecdotiques au départ, mais qui vont devenir son cauchemar.

Sans être une satire virulente du capitalisme paternaliste, EL BUEN PATRON est une farce, aux accents parfois chabroliens dans la manière dont le réalisateur traite cette bourgeoisie de province, l’entente entre classe, patron, journaliste, maire, persuadée d’être dans leur bon droit. La réalisation est à l’image du personnage, propre et sans tâche, une jolie palette de couleur savamment étudiée, chaque cadre est soigneusement composé, la symétrie de certains plans peut rappeler Wes Anderson, en moins maniaque. Le comique vient de ce qui se passe dans ce cadre si structuré.

Javier Bardem est sur tous les fronts, social, familial, sentimental, professionnel, obnubilé par l’esprit de justice et d’équilibre, pas un grain de poussière ne doit enrayer la belle machine, rayer la façade. Ce que le réalisateur symbolise bien sûr par cette balance de Roberval qui trône à l’entrée de l’usine, dont Blanco règle les plateaux à chaque fois qu’il passe.

L’acteur est impérial, on l’a rarement vu dans le registre comique, le visage serein en toutes circonstances, mais où pointe furtivement dans le regard la lassitude, l’inquiétude, la cocotte minute prête à sauter. Il n’est jamais dans le registre de la grimace, de l’outrance (aux antipodes d’OSCAR d’Edouard Molinaro) tout est subtil et feutré, alors que les évènements sont de plus en plus catastrophiques. Il ne se permet d’un écart, devant le miroir des toilettes, où la rage semble vouloir exploser, et puis non… on se reprend, on reste digne… Très joli dernier plan, long, fixe, énigmatique, avant de découvrir le contre-champs.

couleur  -  2h00  -  format scope 1:2.39


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