lundi 16 mai 2022

Thomas Augustine ARNE (1710-1778) – Concertos pour orgue 4 à 6 - Jean GUILLOU (1968) – par Claude Toon


- Sacré Claude, tu en as encore beaucoup dans ta poche des compositeurs de derrière les fagots ? Au moins Arne c'est court, pas d'aujourd'hui, tu l'as découvert récemment ?
- Oui, en 1969 ! Thomas Arne est l'un des rares compositeurs anglais du siècle des lumières, pas vraiment de premier plan mais ces concertos sont virevoltants, et puis Jean Guillou a marqué l'histoire de l'orgue français…
- On sort des sentiers battus à l'évidence… Heu, tu n'as pas déniché un disque encore plus ancien, genre… 78 tours, rouleaux de cire ?
- Très drôle Sonia. Cette gravure n'a qu'une concurrente chez Chandos… Ok Arne n'est ni Haendel ni Bach, deux allemands, mais hormis Purcell mort à 36 ans, on se demande pourquoi les compositeurs anglais de l'époque sont si rares…
- Par contre j'associe Jean Guillou aux orgues de Saint-Eustache, je me trompe… d'Eustache, ha ha ha ?
- Poilant Sonia !!! Logique, il a été titulaire de cet Orgue pendant 52 ans !!! En plus d'être compositeur, romancier, facteur d'ordre et j'en oublie… 


Thomas Arne (1710-1778)

Ah les souvenirs de jeunesse… 1969, je prépare le bac en musique. Je ne peux pas encore acheter beaucoup de disques mais la médiathèque de Suresnes me permettait de découvrir les dernières parutions vinyles, dont ce disque. (Nota à l'époque on disait bibliothèque municipale pour tous les supports.) À 17 ans, ma culture se limitait à Beethoven, Mozart, Berlioz, Schumann, Brahms mes premiers Bruckner ou Mahler… La pochette était hideuse, voir plus bas, mais la gentille dame savait acheter des disques récompensés par la presse. La location était de 1 franc, et j'essayais d'emprunter les disques les plus récents, rapport aux crachouillis… Si jeune et déjà maniaque 😊.

Thomas Arne ne me disait rien… N'ayant aucun a priori avant écoute, je reviens poser la galette sur mon électrophone La voix de son maître. J'ai l'impression de copier le style de Pat, notre conteur attitré 😊. Musique plaisante qui évoque Bach, Haendel et Vivaldi. D'ailleurs Jean Guillou enregistrera des transcriptions de concertos de Vivaldi par Bach

Hormis quelques infos sur la pochette, Thomas Arne restera un inconnu. Sa discographie ne prendra jamais de place dans ma discothèque. Je n'ai aucun CD concernant ce compositeur sur 2500 CD. Nous écoutons aujourd'hui une reprise sur CD des enregistrements de Jean-Gillou en début de sa carrière.

Et enfin, pour clore cette évocation, vers 2010 j'ai trouvé d'occasion le vinyle originel chez Paypal ou Rakuten, je ne sais plus trop, sauf que la transaction avait été homérique avec un particulier disons… particulier 😊.

En mars, nous avions écouté une intégrale des concertos de Haendel pour orgue et orchestre à cordes ; 3 CD certes. Des jolis moments de divertissement destinés à servir d'intermèdes lors de l'exécution des oratorios qui consistaient l'essentiel du travail créatif de Haendel en fin de carrière. Des concertos destinés à être joués sur des orgues positifs posés sur le sol. Le seul grand orgue existant se trouvait dans la cathédrale Saint-Paul de Londres. N'oublions pas que nous sommes à l'époque du baroque tardif et que les orgues gigantesques modernes (Cavaillé-Coll) ne verront le jour qu'au XIXème siècle.

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Jean Guillou en 1968

"Thomas Arne, né et mort à Londres (1710-1778), n'est plus guère aujourd'hui connu que de quelques musicologues […] il mérite d'être ressuscité." Ainsi débutait le texte de présentation de Louis Cognet sur la pochette du disque paru en 1968. Louis Cognet a-t-il été exaucé ? Pas sûr à voir la maigreur de la discographie de ce contemporain de C.P.E. Bach, sa vie s'étendant sur deux périodes, le baroque tardif comme Haendel et Bach, mais aussi l'âge classique qui débute vers 1750 avec des noms illustres comme Mozart et Haydn.

Thomas Arne voit le jour en mars 1710 (la méconnaissance du jour exact témoigne déjà du manque de sources très précises sur cet homme.) Il est fils d'un tapissier catholique, un handicap dans l'Angleterre anglicane. Papa Arne décide que son gamin sera avocat ! Fiston préfère la musique pour laquelle il montre jeune des dispositions certaines. Il suit en cachette des cours de clavecin et de violon. L'un de ses professeurs arrivera à persuader le paternel ombrageux que Thomas pourrait faire carrière bien que toute haute fonction lui soit interdite de par sa confession vaticane… No comment ! Il enseigne à sa sœur et à son frère le chant et le trio commence une carrière musicale, prenant en charge les rôles de son premier opéra Rosamond créé en 1733. La partition est perdue comme la plupart de la production de ce compositeur.

L'Angleterre, en ce début du siècle des lumières vit à l'heure de l'opéra. J'avais déjà mentionné ce goût à propos du parcours de Haendel qui préférera se tourner vers l'oratorio vers 1710 justement. Les anglais se lassent vite de tous ces opéras englués dans d'éternels sujets mythologiques ou inspirés de l'histoire ancienne. Néanmoins, Thomas Arne en composera une trentaine dont le plus connu reste Artaxerxès de 1762, encore une adaptation de la vie du roi perse comparable sur le fond à Xerxès, chef-d'œuvre de Haendel de 1738. Il existe au moins une gravure, celle de Roy Goodman. Autre passion de Thomas Arne pour les "masques", des spectacles scéniques de cour, à la mode depuis le règne de Elisabeth Ière. On lui doit aussi des symphonies, des concertos dont six pour orgue, des sonates, des mélodies, en fait un catalogue important mais qui a pratiquement disparu faute d'édition sérieuse sans doute. 


Orgue de la Lutherkirche

Célèbre à l'époque voire adulé du public, Arne avait la réputation d'un fâcheux. Il épouse Cecilia Young en 1736, chanteuse et fille d'un organiste élève de Geminiani, petit maître italien proche de Haendel. Un fils naîtra mais le caractère emporté du compositeur conduira à une "séparation de corps" longue de vint ans ! (Voir Paris match dans les années 1750.) Même habitude avec sa sœur et comme souvent : réconciliations générales au seuil de la mort en 1777.

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Jean Guillou appartenait à la grande école française de l'orgue, César Franck (belge d'origine), Vierne, Widor, Dupré, Cochereau, Messiaen, Alain père et fille, etc. Né à Angers en 1930, il sera l'élève de Marcel Dupré pour l'orgue et d'Olivier Messiaen pour la composition. Son activité revêtira un large éclectisme : organiste, pianiste, compositeur et improvisateur, expert auprès des facteurs d'orgue, écrivain d'ouvrages spécialisés mais aussi poète.

Son orgue d'attache, si je puis me permettre l'expression, sera l'orgue de l'Église Saint Eustache près des halles. Un instrument de prestige, très haut car niché dans une nef étroite. Jean Guillou fera installer la console au fond de la nef sur une petite estrade. Il jouera sur de nombreux instruments en Europe jusqu'à l'âge de 87 ans, un an avant sa disparition en 2019.

Dès les années 50, il enregistre pour le label Philips des gravures originales comme ces trois concertos pour orgue. Contrairement à une idée reçue, il joue non pas à Saint-Eustache, l'instrument de type romantique souvent restauré et fort de 101 jeux étant inadapté à un ouvrage d'essence baroque. Il préfère l'orgue de la LutherKirche de Berlin, plus modeste avec ses 40 jeux, donc plus proche en termes de sonorité d'un instrument baroque.

Sur cet orgue, Jean Guillou enregistrera aussi l'Offrande musicale de Bach, ou encore les quatre concertos de Bach transcrits d'œuvres de Vivaldi, travail fréquent à l'époque.

Il est accompagné pour ces réalisations de l'orchestre brandebourgeois de Berlin dirigé par René Klopfenstein, directeur du festival de Montreux, mort tragiquement dans un accident d'avion. (1927-1984)

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Les concertos pour orgue et orchestre ITA23 de Thomas Arne, au nombre de six, sont des œuvres charmantes. L'orchestre se limite comme celui de Haendel pour ses concertos identiques (Clic) à deux hautbois et à un ensemble de chambre de cordes. Aucune inventivité musicologique majeure révolutionne le genre, mais un don pour de jolies mélodies variées caractérise le discours. Le jeu de l'orgue est léger, la pédale, peu ou pas employée – de toute façon très peu d'orgues anglais en possèdent à l'époque. Le touché pétillant de Jean Guillou magnifie cette musique festive.

Jean Gillou a enregistré les trois derniers. Le style galant très apprécié du public est omniprésent. Un chouette moment de musique guillerette… La playlist comporte une vidéo par mouvement.

Concerto No. 4 en si bémol majeur, ITA 23.4

Concerto No. 5 en sol mineur, ITA 23.5

1.      Largo, ma con spirito

2.      Minuetto

3.      Giga (Moderato)

1.  Largo

2.  Allegro con spirito

3.  Adagio

4.  Vivace

 

Concerto No. 6 en si bémol majeur, ITA 23.6

 

1.      Allegro moderato

2. Minuetto - Variations I-III

 

 

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Compléments discographiques


Une intégrale des six concertos pour orgue avec Roger Bevan Williams à la console a existé… Chandos devrait la rééditer. Elle est introuvable ! Adrian Shepherd est au pupitre de l'orchestre. Disponible sur YouTube, je trouve l'interprétation moins gaillarde que celle de Jean Guillou, voire maniérée ; simple impression après une première écoute, chacun se fera un avis (Chandos – 3/6 – indisponible)

Nous reparlerons de Thomas Arne dont la discographie est bien moins pauvre qu'en 1968. Petit bémol, les labels ne maintiennent pas leurs publications très longtemps à leurs catalogues. Trois suggestions disponibles sur le marché de l'occasion, parfois en neuf :

Un album de quatre symphonies enregistrées de nouveau par Adrian Shepherd en 1985 pour le label anglais Chandos. C'est sous ce label que l'on trouve un grand nombre de gravures permettant de mieux connaître ce compositeur sans doute ronchon, mais dont la musique se révèle charmante même si sans grande profondeur métaphysique comme chez Bach ou Haendel.

L'opéra Artaxerxès dispose de deux intégrales. J'avoue rester sur ma fin à l'écoute de cette musique en regard des ouvrages majeurs de Haendel. Pour les fans, comme cité plus haut, l'enregistrement de Roy Goodman est préférable (Hypérion – 3/6)

Christopher Hogwood s'est passionné dès les années 1970 pour ce compositeur. Un album de sonates n'a jamais été réédité, dommage. Le disque paru initialement en LP en 1974, proposant 8 ouvertures bénéficiant d'une orchestration colorée, a été réédité en CD. À défaut d'une imagination mélodique folle, on appréciera la vivacité et la maestria du style galant typique du milieu du XVIIIème siècle (Oiseau-Lyre – 4/6) (Deezer)

Il existe de nombreuses anthologies comportant des airs et chansons de Thomas Arne, souvent en complicité avec ceux de Haendel, des récitals de chanteur(e)s spécialistes du baroque. On fera son marché au gré des disponibilités…





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