mercredi 11 mai 2022

Sunset Heights "Texas Tea" (1994), by Bruno

 


   Des groupes Texans talentueux, il y en a à la pelle. C'est comme ça, c'est culturel. Et cela ne date pas d'aujourd'hui. Déjà, dans les années 70, les membres de Thin Lizzy eux-mêmes, lors d'une de leurs premières tournées américaines, alors qu'ils déambulaient dans les grandes rues d'Austin, avaient été éberlués de trouver autant de musiciens fort compétents ; selon eux, il suffisait de tendre l'oreille, la musique émergeait de toute part des clubs de la cité. Une de leurs chansons rend d'ailleurs hommage à cette expérience et notamment à Rocky Athas (ou Marc Benno), qui jouait là, tranquillement, dans un certain anonymat, alors qu'à leur sens, ses capacités auraient dû l'envoyer faire le tour du monde.


   Bref, depuis longtemps, le Texas est une contrée riche en matière de musiciens, et bon nombre d'entre eux se sont révélés être parmi les meilleurs. Particulièrement ceux qui sont, de près ou de loin, affiliés au Blues. L'idiome étant bien ancré dans la tradition - les membres de ZZ-Top n'avaient t'il pas été sacrés ambassadeurs de la culture de l'état ? Le revers de la médaille est que la concurrence est rude, laissant dans l'ombre bien des méritants. 

     Le trio Sunset Heights était l'un de ceux étant parvenus à s'extirper de ce riche terreau. Toutefois, malgré l'engouement généré par son premier essai, des problèmes internes ont rendu la suite chaotique. 

     Le groupe se forme autour de deux jeunes amis, réunis par la passion commune du Blues. Vince Converse et Jason Youngblood, deux potes de bahut, embarquent à leur suite le batteur Little Joe Frenchwood.

     Cependant, initialement, ce qui propulse médiatiquement cet album, ce n'est pas la musique mais la présence de Pete Brown. Le poète, parolier et chanteur, qui s'est fait connaître pour avoir écrit une petite poignée de chansons emblématiques pour Cream et pour Jack Bruce. Le fait que ce vieux loup anglais se soit investi dans ce trio Texan, en produisant leur premier disque et en participant à quelques chansons, a inévitablement éveillé la curiosité de la presse musicale internationale. Probablement que sans ça, ce rayonnement éphémère du disque n'aurait jamais eu lieu. D'autant que Pete Brown prétendait que s'il avait donné de son temps à ce groupe, c'est parce qu'il croyait en son potentiel, qu'il y retrouvait une ferveur, un talent et une authenticité qui, à son sens, subissaient depuis des années une nette diminution, jusqu'à se faire rare. Pourtant, cet album n'a nullement besoin de la présence de Pete Brown pour susciter de l'intérêt. Ce serait même l'une des meilleures productions de Blues-rock de l'année. Ce n'est pas sans raison qu'en dépit de sa rareté, il est resté positivement dans les mémoires 

   Sans rien révolutionner, cet album, sorti innocemment en pleine vague grunge, mais profitant aussi d'un salvateur revival du Blues (que les puristes jugent - jugeaient ? - généralement FM), est une bulle de fraîcheur. Notamment parce qu'avant tout , il s'agit bien plus de la réalisation d'un groupe que d'une production égocentrique d'un énième prétendant au titre de "guitar-hero". Attribut allant trop souvent de pair avec des débordements guitaristiques entachant la cohésion et la bonne tenue d'une chanson. Certes, dans la figuration d'un trio, et plus particulièrement celle de la sous-catégorie "power trio"  - devenue obsessionnelle pour certains depuis l'avènement de Cream et de l'Experience - difficile de passer outre les soli. Cependant, ici, ce trio texan s'échine d'abord à pondre de solides chansons, plutôt que des rampes de lancement pour soli démonstratifs et sans réelle chaleur. Le mixage équilibré, ne lésant personne, participe à cette sensation de cohésion. Dans un beau relief ravissant les esgourdes, il faut noter un soin particulier porté à la stéréophonie de la batterie, qui paraît papillonner d'une enceinte à l'autre et la basse qui procure une belle ampleur à l'ensemble.

     Dans la forme, Ce "Texas Tea" pourrait être une fusion entre un Stevie Ray Vaughan musclé et Robin Trower. Un rapprochement étonnant dans le sens où la légende voudrait que les frères Vaughan ne pouvaient souffrir cet anglais, maître de la Stratocaster bariolée de bouillante wah-wah et de phaser volcanique. Serait-ce la raison - réponse ironique - pour laquelle le disque débute sur "Man of the World", une chanson de Trower ? (1) Comme une défiance à la forte influence de la fraternité sur la scène de l'état à l'étoile solitaire. Néanmoins, pour être plus précis, il faudrait également joindre un troisième larron pour cerner le style ; un autre Texan, bien peu connu hors des frontières du pays, voire de l'état, Rocky Athas.

     Si la section rythmique, à l'image d'un Double Trouble, est excellente, toujours prête à rebondir, à porter le morceau sur ses épaules et à le propulser, c'est bien Vince Converse qui se démarque. Déjà par son poste de chanteur, mais aussi par sa guitare expressive et virevoltante. Jeune prodige pouvant se targuer d'une bonne réputation dans un état où les gratteux talentueux courent les rues, il n'a qu'une vingtaine d'années lorsqu'il enregistre les premières chansons de cet album. Il est initié très tôt à la musique par une mère chanteuse, un peu hippie, et un beau père guitariste. Se forgeant à l'écoute de Kiss, il étudie pourtant à l'école le saxophone et intègre une formation de jazz, un big band de l'établissement. Puis, il plonge intégralement dans les formations de rock psychédélique et tombe dans la drogue. Se disant "sauvé par la weed" (?), il se tourne alors vers Hendrix, Stevie Ray Vaughan, Cream, Albert Collins, Freddie King, réapprenant la guitare, tout en gardant une oreille attentive aux nouvelles sonorités. En particulier celles de Satriani et de Soundgarden ; ce qui, pour ces deux derniers, ne transparait nulle part dans la musique du trio. 


     Ce premier essai studio, et dernier de cette mouture, est dans les grandes lignes une résurgence inespéré du Blues-rock des années 70, principalement celui des Fleetwood Mac, Derek & The Dominoes, Cream et Robin Trower, boosté par l'aura du phénomène Stevie Ray Vaughan. Avec en sus, la fougue et l'insouciance de la jeunesse. Un disque qui anticipe la venue des Lance Lopez et Anthony Gomez. Blues-rock puissant, consistant, sans être empâté par une disto mastoc, encore moins noyé sous une ribambelle d'effets. Même si la Strato de Vince doit probablement être renforcée par une subtile Tube Screamer, et parfois une once de Phaser, - peut être occasionnellement d'un truc genre Boss D-1, utilisée alors modestement et avec parcimonie, ou une douce et antique fuzz -, ça se maintient souvent dans un puissant crunch, mariage de Fender Stratocaster et de vieux Marshall les potards entre midi et 14/15 heures. Malin, parfois c'est la vieille recette d'une guitare saturée doublée à l'unisson par une acoustique ou une clean, pour allier puissance et définition.

     L'album déborde de précieux joyaux de Blues-rock fougueux, tel que le speedé "Runnin' Blind", locomotive folle aux réminiscences hendrixiennes, où Vince chante avec désinvolture tandis que la section rythmique sue sang et eau. La ballade bluesy "Missing Young" ... L'instrumental aux couleurs latines "Sally Jo", bariolé sauvagement de jets de Peter Green et d'Hendrix. "Tableau de maître" véritable régal pour les esgourdes. Funk brutal et percutant avec "Different Colored Dancer". Et puis ce slow-blues "Dreamin' Girl (part 1)", à l'ambiance tamisée, griffée de vapeurs mauves, jouant sur la retenue, les silences, un peu à la manière du "Tin Pan Alley" version Stevie Ray, bien que vaguement plus Blues psyché que ce dernier.


   "She Left Me" s'érige en pièce maîtresse. Chanson venant du cœur narrant les déboires sentimentaux. Expression de l'âme à travers un Blues-rock racé,  en droite ligne du Robin Trower des "Long Misty Days" et "Caravan to Midnight", voire du "Victim of the Fury". Un bijou.

   Cependant, la jeunesse du groupe fait que parfois les influences jaillissent, trop évidentes, lourdes à porter. Tant bien même ces trois jeunots ont suffisamment de bagages pour les assumer et les honorer avec classe et appoint. Ainsi que le shuffle moderato "Movin' On", et le très marqué "Only Time Will Tell" transpirent le Blues à la Stevie Ray. Néanmoins, il n'y a là aucun plagiait, juste une sensation qui surnage, évoquant le lourd patrimoine de l'étoile filante texane.

     Malgré les années, ce "Texas Tea" n'a pas pris une ride. Mieux, il est devenu depuis longtemps un classique du Blues-rock texan. Incontournable. Une véritable quintessence d'une fusion Trower-Hendrix-Vaughan.

     Malheureusement, alors que même quelques détracteurs (qui reprochaient au groupe de ne rien inventer... 🙄) leur prévoyaient un certain succès et une carrière à l'avenant, le groupe n'arrive pas à confirmer. La faute à Converse qui, après un live sorti à la hâte pour surfer sur l'engouement suscité par le premier album, décide d'aller voir ailleurs. Stoppant ainsi le groupe dans son élan. Pour le remplacer, Younblood et Frenchwood (sympa les noms) doivent recruter deux très bons guitaristes pour poursuivre l'aventure. S'ensuit deux disques de bonne tenue, qui malgré leur indubitable qualité, ne parviennent pas à renouer avec la popularité du premier. De son côté, Converse réalise un album solo magistral : "One Step Ahead" (👉 lien). Cependant, instable, il succombe à la pression générée par l'accroissement d'une notoriété qui, peut être, ne souhaitait pas aussi forte et pesante. L'homme se renferme sur lui-même et disparait du circuit avant de réapparaître, méconnaissable. La boule à zéro, les épaules voutées et une nouvelle surcharge pondérale. Il ne se produit plus que localement, et régionalement dans un rayon restreint, en quatuor ou quintet, se limitant à un Blues nettement plus traditionnel, désormais dépourvu des feux d'artifices multicolores qui éclairaient dans des spasmes de tonalités flamboyantes sa musique bouillonnant de vitalité. Toutefois, il semblerait que depuis quelques années, il ait vaincu ses démons intérieurs. D'apparence requinqué, affichant une nouvelle jeunesse, il a ressuscité Sunset Heights et aborderait de nouveau la scène en pleine possession de ses moyens. 


    C'est que Vince Converse est un homme simple mais honnête, sans filtre. Il avoue d'ailleurs sans ambages avoir des difficultés à lire des choses relativement complexes, qu'il ne parvient pas dans une conversation à user d'ironie ou d'intelligence. Qu'il ne sait pas intégrer des messages et des doubles-sens dans ses chansons ; et c'est pourquoi qu'il accepte bien volontiers de l'aide (c'est loin d'être le seul, mais lui, probablement par humilité, l'avoue sans détours). On le dit fragile psychologiquement, perturbé par son enfance et traînant probablement un manque de confiance. Difficile à croire lorsqu'on écoute sa période dans Sunset Heights et son album solo. 


(1) Sur le premier essai de Robin Trower, "Twice Removed From Yesterday", de 1973. La chanson est également parue en 45 tours, dans le courant de la même année.


🎶🎸🌟

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