mercredi 13 avril 2022

TED NUGENT " Scream Dream " (1980), by Bruno



     Est-ce que Ted Nugent est un gros barjaque ? Un sérieux frappa-dingue ? Bon, certes, pour une partie de la population mondiale, écouter et encore plus jouer du "harderoque" implique forcément une déficience de jugement ou de santé mentale - généralement, les trois à la fois. Quand, pour les plus extrémistes ou naïfs, cela ne traduit pas une quelconque possession ou un penchant pour le satanisme 😂. Evidemment, en ce qui concerne les professionnels, il convient de faire la distinction entre l'homme de scène et celui de la maison. 


   Mais, pour en revenir à ce singulier Nugent, avant de s'étioler dans une musique plus policée, de glisser dans la caricature et de, malheureusement, se perdre un moment dans quelques ridicules et grossiers discours politiques sur scène, c'était un drôle de phénomène se démarquant radicalement dans la famille du rock dur. Totalement à l'opposé de certains forçant le trait pour asseoir une réputation de dément ou d'extravagant. Déjà, il ne boit pas, ne fume pas, une exception dans le milieu. Et pendant ses rares temps morts - Nugent faisant partie à ce moment des forçats de la scène avec une moyenne de plus de 300 concerts annuels -, plutôt que de prendre d'assaut les bars, il préfère partir à la chasse, s'immergeant parfois plusieurs jours dans la nature sauvage, ne se sustentant que des fruits de la récolte et de la chasse, essayant de retrouver l'esprit des pionniers et des Amérindiens d'antan (probablement le premier rocker américain blanc à se présenter avec des attributs des natifs - autres que la veste ou tunique à franges -, des bottes-mocassins à la coiffe). Sinon, passer du temps libre dans son ranch, auprès de ses deux (premiers) enfants, et de son studio personnel. Dans un métier où tout un aéropage incite à boire et à s'envoyer divers trucs sans ordonnance, il est l'un des rares à rester imperméable à toute tentation. A l'exception de celle des filles faciles (mais il est lui-même un "gars facile", dixit "Cat Scratch Fever"). Ce qui ne l'empêche nullement de fréquenter et de s'amuser lors des afters et autres fiestas rock'n'roll.

     Il est même apprécié des journalistes, qui n'ont aucun mal à noircir leurs pages tant il aime discourir - généralement dans un débit quasi frénétique. Cela peut même s'avérer ardu de l'arrêter dans son élan. Ce zigoto est intarissable sur la musique, mais aussi sur sa personne, son long parcours, ses hobbies, sur la chasse à l'arc, ses enfants, sa personne (bis repetita car c'est ce dont il parle le mieux ). Le journaliste doit user de stratagèmes pour en placer une s'il ne veut pas finir l'interview en n'ayant pu glisser que trois ou quatre de ses questions mûrement préparées. Paradoxalement, alors que dans les 70's, il n'a de cesse de clamer haut et fort qu'il est l'un des meilleurs guitaristes du monde - en fait, une manière d'attirer l'attention, espérant éveiller la curiosité et remplir les salles -, une fois lancé, il ne tarit pas d'éloges envers ses pairs. Une fois passées les fanfaronnades, il peut déballer une liste longue comme l'Ambassador Bridge des guitaristes qu'il apprécie. Bien que pouvant parfois se révéler hâbleur, jamais il ne dénigre un collègue. Et surtout, jamais il ne cherche à singer qui que se soit (1). D'ailleurs, c'est bien le seul gars du Hard-rock et consorts à avoir jeté son dévolu sur une guitare de Jazz, l'imposante Gibson Byrdland. Un choix singulier qui lui confère un son et une apparence immédiatement reconnaissables.


   Derrière donc ses apparences trompeuses de hippie-survivaliste, se cache une sérieuse bête de scène qui impose un certain archétype du guitar-hero - modèle "Rock fort". Avec sa crinière léonine, ses larges poignets de force cloutés, se fûtes moulants, ses colliers de Rahan, et ses postures de cow-boy de rodéo essayant de dompter une furieuse et puissante monture - ici, en l'occurrence, une capricieuse Gibson Byrdland -, Uncle Ted va servir d'exemple à toute une génération . Aujourd'hui encore, un Jared James Nichols (👉 lien) a tout du fils caché tant les points communs sont nombreux ; même si ce dernier est moins hâbleur. Ses prestations scéniques lui valent le surnom de "motor city madman", en référence à "Motor City Madhouse", chanson speedée, pré-heavy-metal, tirée de son premier album solo. Lui qui paraissait plutôt timide aux débuts des Amboys Dukes (il n'avait pas vingt ans) est devenu une bête de scène, libérant une sauvagerie héritée du MC5 et de Grand Funk Railroad, exacerbée par une énergie de psychopathe. C'est un des derniers représentant du Detroit Rock Sound, et entre son amour indéfectible de la guitare, des décibels (il s'est flingué un tympan en fourrant régulièrement sa caboche dans la sono), et l'envie irrépressible d'attirer les regards, les concerts de Theodore Anthony Nugent sont réputés. La folie qui va avec également. Même quelques années plus tard, alors qu'on le croyait assagi, nombre de spectateur imprudents et naïfs sont revenus éberlués, les cheveux ébouriffés et les esgourdes en mode sécurité sur deux jours.

     Toutefois, sur disque, depuis le séminal "Cat Scratch Fever", soit depuis 1977, le Nuge semblait ne se plier au passage des séances studio que pour honorer son contrat. Avec pour résultats deux disques pas très représentatifs et mal dégrossis. Certes bons mais en deçà du formidable triptyque gagnant qui a entamé de manière exemplaire sa carrière solo. Avec "State of Shock", il paraît même essayer de donner une nouvelle image - plus commerciale ? - recherchant peut être l'assentiment d'une presse et d'un public qui regardaient d'un œil torve sa virulence, sa guitare toute en feedback, et ses hurlements de dément enfermé en salle capitonnée. D'où une reprise des Beatles, "I Want to Tell You", et un slow (le second sur cinq disques studio, le premier étant "Together" chanté par Meat Loaf). Deux genres inhabituels chez ce grand escogriffe. 


   Toutefois, chasser le naturel et il revient au galop. Et c'est effectivement ce qui arrive à ce grand malade en 1980, lorsqu'il enregistre son sixième disque. De toute façon, remplissant aisément les salles, et alors les stades, il n'a plus rien à prouver. Et puis n'ayant pas d'addictions onéreuses, il est suffisamment à l'aise financièrement pour assurer l'avenir de ses enfants et assouvir sa passion de la chasse (et celle, moindre, des courses de voitures dans le désert). Il laisse libre cours à sa douce folie avec ce "Scream Dream" qui en a laissé plus d'un pantois. A commencer par le classique "Wango Tango" dont le titre est repris par un animateur radio passionné de Hard-rock et de Heavy-metal, pour une émission vite devenue virale, rendez-vous incontournable des ramoneurs de menhirs et des petits graisseux. Il faut tout de même avoir du culot - ou un pète au casque - pour offrir une pièce aussi simpliste à une époque où les guitaristes du corpus "Hard-rock / guitar heroes et consorts" se devaient de sortir le grand jeu à chaque morceau. D'autant que là, il s'agit de la pièce ouvrant le bal, emplacement stratégique car première écoutée chez le disquaire, et qui généralement conditionne l'avis du curieux. Déjà présent auparavant mais sans être évident, voire perceptible, l'humour prend ici une place prépondérante, faisant cause commune avec l'esprit grivois dont abuse parfois Nugent. De plus, il s'octroie une longue plage sans guitare pendant laquelle il continue son délire cru, limite lubrique.

   Après l'enjoué "Wango Tango" où le Nuge paraît plus improviser sous un excès élevé de caféine que chanter, il explose les tympans avec un "Scream Dream" foncièrement Heavy-metal et un chant qui élime les esgourdes telle une tronçonneuse négligée. Fortement déconseillé après une pénible séance chez le dentiste ou de retour d'un stupide concours de comptoir 🍻. Nugent vit depuis quelques années à l'écart des centres urbains, et désormais l'agitation et la violence latente des grandes villes telles que Chicago, New-York et Detroit, l'indisposent, lui faisant passer des nuits agitées, le faisant se réveiller alors en hurlant. "Yaaaaahhh" 😬  Précaution : un hurlement de Nugent peut occasionner une perte d'audition temporaire, ou des acouphènes de 24 à 72 heures

   Après un "Hard as Nails" des plus classiques - dans le style Nugent -, le taré dégaine un "I Gotta Move", sorte de Rock'n'roll passé aux électrodes. C'est gentillet. Mais voilà qu'il dégaine un fulgurant "Violent Love" propulsé à toute berzingue par un duo Nugent-Byrdland déchaîné, assommant plus surement l'auditeur qu'un uppercut. "Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux" clame Nugent. Ha ouais, d'accord. Mais là c'est du raide, patron.


   Avec "Flesh and Blood", on ne sait pas trop si Ted rend hommage aux Vampires de la Hammer, ou bien si c'est juste un prétexte pour parler de sexe d'une façon détournée. Même si sur le dernier couplet, la voix est transformée, saturée, formant des sons d'outre-tombe, comme déformée par des crocs protubérants et un gosier desséché. Cependant, les mugissements obscènes et les effets de guitare du break ne font aucun doute sur l'hommage rendu aux studios Bray du bord de la Tamise. L'aspect ventripotent de "Spit it Out" qui traîne un peu des savates, met un frein brutal à l'élan de l'album. C'est sympa mais ça casse le rythme. Toutefois, c'est pour mieux repartir avec "Come And Get It" qui retrouve toute la verve de son fameux triptyque initial, avec ses licks et ses riffs de guitares rageuses, puisant son inspiration dans le Rock'n'roll et le British-blues qu'il carrosse de métal (c'est traditionnel à Detroit) et qu'il délivre avec l'énergie d'un V8 piloté par un psychotique affublé de tics nerveux.

   Autre forme de chanson atypique pour Super-Nugent, avec "Terminus El Dorado", où, sur un tempo de Funk lourd et implacable, on chante la tentation d'une pauvre fille faisant le mur en dépit d'une interdiction du père, piquant sa voiture et finissant par une douloureuse rencontre avec un camion. "Terminus, terminus ! Terminus El Doraaadoooo ! Terminus ! Terminus ! C'est fini pour toi, baby. Tu aurais dû écouter ton père, bitch ! Les corbeaux s'attaquent à ta chair... Bon débarras, baby. Bye, bye". Etonnant non ? Bien souvent, c'est lorsque Nugent sort de sa zone de confort, de son trademark, qu'il délivre des pépites.

   Final sur un rockabilly trépidant, "Don't Cry (I'll Be Back Before You know it Baby)" est du Stray Cats des plus hargneux avant l'heure. Nugent cache derrière ses fanfaronnades un grand cœur et ne supporte pas de voir les larmes dans les yeux d'une femme 🙄. "Don't Cry" et "I Gotta Move", résurgence et brutal recyclage de rock'n'roll, sont les deux seuls morceaux chantés par Charlie Huhn. Soit une présence bien moindre de Huhn que sur les deux précédents, qui semble relégué au rang d'invité (bien qu'il soit toujours crédité comme faisant partie de la team, en qualité de guitariste rythmique et de chanteur), et pour cause. Les chansons de cet album nécessitent bien moins d'aptitude au chant qu'à de la rage, de la folie, et une disposition particulière à hurler comme un dingo 😁. 

     Un disque à faire écouter en intégralité à tous ceux qui sont convaincus qu'il faut être sous l'influence de stupéfiants ou d'alcool pour composer et/ou jouer du hard-rock. Voilà un sacré énergumène, totalement sain de corps, qui n'a guère besoin de substances pour réaliser un disque de malade.  🤪

     Avec le pagne abordé sur la pochette, et lors de la tournée qui s'ensuivit, l'enragé de Detroit gagne un nouveau surnom : Guitarzan. D'autant plus approprié qu'il surgit alors sur la scène accroché à une corde, tel Tarzan à une liane. Et pour ceux qui prennent tout au premier degré, Nugent rappelle avec le verso de la pochette où il fait le nigaud accoutré en hidalgo, qu'en dépit de ses rodomontades, il ne se prend pas toujours au sérieux. Hélas, cela va s'estomper avec le temps.

(1) Plus tard, il concèdera que lors d'une tournée commune avec Van Halen, il resta à l'affût dans l'espoir de dénicher quelques secrets du "brown sound". Finalement, un jour, profitant du retard au soundcheck d'Eddie, et avec l'acquiescement du guitar-tech, il joua avec l'intégralité du matériel du hollandais volant. Déception, c'était toujours du Nugent qui sortait d'une des "stratoïdes" bariolées et des amplis modifiées. Confirmation que le son est d'abord dans les doigts ?



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