lundi 11 avril 2022

LA MOUCHE de D. CRONENBERG (1986), Nouvelle de G. LANGELAAN & B.O.F. de Howard SHORE – par Claude Toon


- Beurk Claude, je me rappelle avoir vu ce film en tremblant comme une feuille, je n'ai pas dormi pendant trois jours ! quant à Cronenberg, pour horrifier le public de manière hyper réaliste, il n'y va pas avec le dos de la cuillère…
- En effet Sonia ! Tout comme John Carpenter dans The Thing… David Cronenberg confirmait son talent dans ce film inspiré par un roman de SF qui donna déjà lieu à une adaptation assez sympa et fidèle à l'écran en 1958. La musique de Howard Shore est flippante et a même conduit à la composition d'un opéra commandé par l'opéra de Los Angeles en 2008…
- Bigre ! et tu l'as vu ? pour les effets spéciaux… ça dû être une galère…
- Oui forcément, mais Howard Shore, le chef Placido Domingo et bien entendu David Cronenberg ont dû bien se marrer. La création avait eu lieu au Châtelet en juillet 2008 puis à l'opéra de Los Angeles en septembre…
- Génial ?
- Mouais, ça ne faisait pas de l'ombre à Don Giovanni, Tristan ou la Tosca, mais une soirée sympa, disons divertissante… Les critiques ont assassiné cet opéra entre potes… Il n'a pas été édité en DVD…
- Et en plus, tu couvres tout le sujet : le livre, la première adaptation avec Vincent Price, la B.O.F.. Tu as oublié le Baygon jaune, hihi…

Pauvre Sonia si émotive ! Mais quel rigolo lui a fait voir ce film terrifiant ? Enfin, si elle a tenu le coup jusqu'à la fin, c'est que ledit rigolo en valait la peine sous certains aspects en post-projection ; restons-en là*… Et pour se mettre dans l'ambiance du film de SF particulièrement réussi et éprouvant, même pour les fans de SF endurcis, commençons par regarder la bande-annonce en français :

Et pour titiller la terreur de Sonia, j'ajoute une scène clé de La mouche noire, première adaptation en 1958, avec le plan génial de l'épouse terrorisée vue en mosaïque via les facettes des yeux d'insecte de son mari-mouche. Film plus fidèle à l'esprit du livre.



George Langelaan

À l'origine, il y avait une nouvelle de George Langelaan parue en 1957 dans Playboy (😉). Drôle de personnage ce George Langelaan, né français en 1908 et mort trop tôt en 1972 toujours français. L'espion, le journaliste et l'écrivain sera à lui seul un personnage de fiction, un James Bond ayant des lettres…

Dès l'armistice de 1940, il rejoint Londres où, parfaitement bilingue, on l'accepte au sein des services secrets, le SOE futur MI6. Comme Bogart dans Les Passagers de la nuit de Delmer Daves (Super film de 1947), la chirurgie lui offre un nouveau visage et la RAF le largue en France occupée qu'il parcourt en faux pétainiste militant sous le pseudo de Georges Langdon… Arrêté, condamné à mort par les nazis, il s'évade de nouveau pour Londres et participera au D-Day… Après le conflit, il écrira ses mémoires, des romans, et quelques nouvelles de SF, dont "La mouche", son plus grand succès. Je l'ai lu adolescent (pas dans un vieux Playboy 😇) mais dans un recueil de 13 histoires fantastiques s'inspirant des découvertes de la physique moderne, les paradoxes temporels, l'équivalence masse-énergie, la mécanique quantique, la relativité, domaines fort mal connus du grand public à l'époque…

Nouvelles de l'Anti-Monde comportait un autre récit mettant en scène de nouveau un cobaye victime d'une expérience militaire de téléportation. Hélas et panique, le temps est ralenti 200 fois pendant son transfert qui dure… un certain temps. Son univers tourne au ralenti. Il en reviendra vivant, mais des années se sont écoulées et son chien, son seul ami, est retrouvé momifié sous un canapé, mort de vieillesse… Un téléfilm petit budget fut tourné par l'ORTF…

L'auteur concocte deux contes macabres de téléportation, le rêve de pouvoir transporter immédiatement d'un point A vers un point B, en général entre deux cabines, des objets inertes ou des êtres vivants. Des scientifiques réalisent le cycle "matière ➨ énergie émise (quantas en paquet d'ondes) ➨ transfert en temps nul ➨ réception quantas ➨ réorganisation matière" (Aie ! en vrac 😆). C'est sans compter sur l'obstacle prévu dans le principe d'incertitude d'Heisenberg dans lequel le "paquet" d'ondes énergétiques est incohérent. Stephen Hawking et d'autres chercheurs ont contesté ceci par la théorie de la décohérence quantique et blablabla (Pourquoi faire Sonia un doliprane ?). Le physicien allemand Günter Nimtz a transmis via un tunnel quantique la symphonie N°40 de Mozart à 4,6 fois la vitesse de la lumière (Clic). On commence avec une symphonie, puis une merguez, on continue avec une mouche et on transfert Sonia 😂.


Affiche 1958

(*) Je n'arrive vraiment pas à rester dans mon sujet. J'ai même entendu Luc qui disait l'autre jour à Bruno dans le couloir : "Je me demande comment Claude peut écrire encore autant à un âge aussi avancé ?". L'inconvénient de laisser les portes des bureaux ouvertes par convivialité, sauf celle de Pat à qui on demande de s'enfermer quand il se fait griller des merguez au grand dam des pompiers qui… Vous voyez, je remets encore ça côté digression…

 

Texte originel : L'épouse d'un scientifique qui possède son propre labo appelle la police. Elle a volontairement tué son mari en lui écrasant la tête et un bras sous une puissante presse hydraulique, son époux ne peut plus être identifié. Le savant travaillait sur la téléportation de la matière, concept expliqué au mieux avant. Après quelques vagues réussites, il décide par orgueil d'expérimenter son propre transfert. On n'est jamais trop prudent… Il s'enferme dans une cabine et réapparait dans la seconde… avec une tête et une patte de mouche, l'insecte avait pénétré dans la cabine avant l'expérience. Toute tentative de correction échouera. Il y aura même un peu du chat de la maisonnée en prime, le pauvre félin étant une victime collatérale d'un essai précédent foireux ! L'épouse mettra fin à la souffrance de son mari et à cette folie en utilisant la presse avant d'intégrer un asile où elle observe une mouche à tête blanche voleter sur la fenêtre… 

En 1958, Kurt Neumann né en 1908, spécialiste de film de SF meurt juste après le dernier tour de manivelle de La mouche noire, une première adaptation assez fidèle de la nouvelle. En tête d'affiche, Vincent Price (légende des rôles des séries B fantastiques et policières, plus de 130), qui interprète le rôle du frère du professeur Delambre (incarné par David Hedison, un débutant), et commercialement, sert par sa notoriété la promotion du film. Variante finale bien glauque : dans le jardin, Vincent Price et un policier entendent des petits cris… Ils proviennent d'une mouche prisonnière d'une toile d'araignée et dont la tête hurlante n'est autre que celle miniaturisée de Delambre, fou de terreur car face à l'araignée gourmande qui approche… Écraser le tout avec une pierre mettra fin à l'épouvantable situation… Une chouette réussite en cinémascope qui connut deux ou trois suites de peu d'intérêt…

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C'est parti ! (Pourquoi à poil ?)

David Cronenberg reprend la trame générale, mais je ne voudrais pas spoiler le suspense et encore moins la conclusion très différente de la nouvelle… Lors d'une soirée mondaine entre savants, l'arrogant physicien Seth Brundle (Jeff Goldblum) qui se voit déjà lauréat du Nobel aborde la journaliste fort séduisante Veronica Quaife (Geena Davis) et la persuade de venir à son labo installé dans un loft isolé, non pas pour la bagatelle, mais pour lui présenter ses télépods, une machine complexe qui permet de transférer la matière de A vers B (je ne détaille plus). Il la persuade de son succès à venir en transférant l'un de ses bas, l'érotisme est une nouvelle constante dans cette version de 1986. Par contre un malheureux babouin se rematérialise sous forme d'une bouillie biologique écœurante ! Objets inanimés : 1, vivants : 0 ! Même un steak est restitué mais se révèle immangeable… La problématique de l'incertitude quantique est à l'évidence non complètement résolue.

Passons sur quelques péripéties dont une nuit coquine entre Seth et Véronica qui part, fâchée par le manque de rigueur méthodologique de Seth

Mouais... restons calme !!!

Seth Brundle résout petit à petit les problèmes et, enorgueilli par la réussite de la téléportation d'un second babouin, il tente son propre transfert… Une réussite totale… en apparence comme toujours dans ce genre de scénario.

Seth et Véronica se réconcilie, mais la journaliste constate des anomalies discrètes tant dans la physiologie que le comportement encore plus autoritaire de Seth… Nouvelle dispute et séparation…

 

David Cronenberg surfe sur un phénomène biologique au lieu de mélanger "les pièces détachées" comme dans le récit de La mouche noire, à savoir : exploiter la vitesse de renouvellement de nos cellules (à partir de 2 jours pour l'intestin, 28 jours pour la peau, mais des années pour le cerveau ; ça serait dommage que notre savant imprudent ne jouisse pas avec lucidité des conséquences de sa précipitation). Seth Brundle doit admettre que ses performances physiques s'améliorent de manière exponentielle, des poils très durs apparaissent, les problèmes de peaux aussi… Inquiet, il consulte ses données informatiques qui lui révèlent que lors de son transfert une mouche a pénétré avec lui dans le pod de départ !

La métamorphose commence pour Seth qui, cellule par cellule, se transforme en une chimère repoussante mi-homme mi-mouche, une créature sortie de l'imaginaire dément de Jérôme Bosch. Un exploit d'acteur pour Jeff Goldblum et une performance de mise en scène où le réalisme horrifique atteint des sommets qui rivalisent avec les effets spéciaux de The Thing de John Carpenter tourné six ans auparavant.  

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Howard Shore

Pour revenir à l'opéra après le film et avant la B.O., l'échec relatif chez les fans d'art lyrique exigeants (ils le sont toujours, et jamais contents 😊) tient au fait qu'une musique de film a pour fonction d'exacerber les émotions du public lors des différents plans-séquence. Elle doit donc être conçue pour à la fois séduire tous les genres de public et surtout ne pas prendre la place de la narration visuelle. En déduire qu'une B.O.F doit se concevoir comme une musique décorative au rabais ? surtout pas ! Mais chanter les répliques du livret, inspirés des dialogues du film - même modifié en profondeur par David Henry Hwang - sur une scène d'opéra présente un risque d'affectation presque inévitable. La diction des acteurs, surtout dans un film de terreur, doit rester naturelle et abrupte et non extatique, pathétique, fantasque comme dans l'opéra classique.

Le Monde, dans une critique mesurée de Renaud Machart rappelait ces difficultés de transposition, d'autant que Howard Shore a réécrit nombre de passages musicaux pour soutenir de manière cohérente les airs des chanteurs. Placido Domingo, ténor de génie devant l'éternel souhaitait diriger un opéra original car nouvellement nommé à la tête de l'opéra californien. il commanda l'œuvre au duo canadien. Et Renaud Machart de conclure "Les interprètes sont très bons vocalement et physiquement. Placido Domingo est peu précis, mais expressif." Quant aux effets spéciaux à la limite du vomitif du film, les reproduire en live sur scène était un défi insurmontable." Les chairs décomposées et lubriques de la créature nous manquent." Et moi j'aime ces critiques nuancées.

Parlons de musique de film et de Howard Shore, auteur de près d'une centaine de B.O dont celles pour le Seigneur des anneaux qui remportera au cours de la réalisation de la saga trois Oscars.

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David Cronenberg

La complicité entre Howard Shore et David Cronenberg est un exemple de longévité rare dans le milieu : 17 films entre 1979 et 2021. Pas une infidélité entre Chromosome 3 et un film en cours de tournage. Historiquement, il y a eu d'autres collaborations étroites comme celle entre Alfred Hitchcock et Bernard Hermann (dix films dont Psychose - Clic - 1955), Mais qui a tué Harry ?, et 1966, Le Rideau déchiré, B.O. refusée par Hitchcock et les studios. L'affaire rendra furieux Bernard Hermann qui quittera Hollywood pour Londres… En conséquence : dernière partition Hitchcockienne : pas printemps pour Marnie en 1964. Une dizaine d'année d'amitié qui finit en eau de boudin, ça arrive. L'association Sergio Leone, comme réalisateur ou producteur, avec Ennio Morricone et sans embrouille, conduira à la composition de huit B.O.F..

 

Howard Shore, né au Canada en 1946 fait partie de ces compositeurs qui ne dressent aucune barrière entre les genres. Attitude anglo-saxonne mal vue en France, (paraphrasons Léo Ferré dans Poète vos papiers "Poète… doit être d'un parti ou du Tout-Paris"). Après ses études, il cofonde un groupe de Rock et écrit des chansons. La rencontre avec Cronenberg en 1979 révèlera sa passion pour le cinéma. Le style sombre et atonal de son écriture se marie parfaitement aux univers sinistres et aux angoisses viscérales, les thèmes de prédilection du réalisateur…

 

Le générique est caractéristique de cette osmose entre les effrois visuels et le trouble sonore. Sur l'écran : une mosaïque de tâches colorées agitées d'un mouvement brownien, s'agit-il des quantas indisciplinés causes de la tragédie ? La musique : d'énigmatiques cliquetis de percussions opposés à des thrènes lugubres qui préfigurent le tragique expiatoire de la chute en enfer de Seth Brundle. Les tâches s'organisent, le flou se dissipe ; les têtes des invités à la soirée, apparaissent…

Howard Shore confirme sa passion pour la musique atonale, les dissonances féroces qui vous glaceront le sang dans les scènes les plus gores. Ceux qui suivent la filmographie de Cronenberg savent que le réalisateur ne se fixe aucune limite dans le réalisme de la bestialité et de la description de la violence, une forme d'hyperréalisme visuel. Howard Shore atteint les mêmes frontières dans certains morceaux : l'élégie d'une tristesse infinie lors du départ de Veronica (V3) de forme classique, les jeux de timbres mystérieux lors des transferts (V6 & V8), la frénésie dodécaphonique qui accompagne Seth devenu une créature agressive (V18). Comme toujours, il n'y a pas de chronologie dans la production du disque et le montage…




Relaxe Bartok, c'est juste une danse hongroise…

Une suite réalisée en 1989 par Chris Walas avec mollesse ne fera pas d'ombre à ce hit de la SF terrifiante. Un scénario très banal : Veronica a mis au monde un fils conçu lors de ses étreintes avec Seth, Martin Brundle. Elle ne survit pas et Martin grandira, a priori en bonne santé, dans un labo secret où un certain Bartok essaye de réitérer sans grands succès les expériences de téléportation…

Un beau labrador, seul ami du jeune Martin qui a dix ans sera transformé par Bartok lors d'un échec de plus, à l'insu du gosse, en une aberration biologique hideuse végétant dans un cul basse-fosse… rampant vers sa gamelle… Martin apprendra cette trahison infâme de la bouche d'une jolie laborantine pour qui il en pince, Beth Logan. Martin abrège le supplice du chien et découvre ainsi la haine et le désir de vengeance !

À l'adolescence, Martin Brundle mutera en une effroyable chimère humanomouchomorphe ("non Sonia, ce n'est pas dans le dico"). Martin ayant hérité du génie du paternel, mais pas de son orgueil, pourra réactiver le matériel, régler ses comptes avec Bartok, pas Bela, mais un salaud qui pensait se faire du blé avec Martin, Bartok ne sera plus présentable après son transfert en duo avec Martin 😊 qui, lui, retrouve son aspect de beau gosse et reprendra sa liaison avec la jolie Beth Logan. Ils vécurent heureux, etc. Une série B convenue et une B.O. de Christopher Youg honnête, mais désincarnée et juste utilitaire (présente sur le second CD).

 

- Oh Claude, ce n'est pas une chronique, c'est un dossier…
- Ouais Sonia ! Bzzzzz c'est zaaaaaa Bzzzzzzzzz…
- Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii

La Mouche - Cronenberg / Shore

The Fly II - Walas / Young


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