- Beurk Claude, je me rappelle avoir vu ce film en tremblant comme une
feuille, je n'ai pas dormi pendant trois jours ! quant à Cronenberg,
pour horrifier le public de manière hyper réaliste, il n'y va pas avec
le dos de la cuillère…
- En effet Sonia ! Tout comme John Carpenter dans The Thing… David
Cronenberg confirmait son talent dans ce film inspiré par un roman de SF
qui donna déjà lieu à une adaptation assez sympa et fidèle à l'écran en
1958. La musique de Howard Shore est flippante et a même conduit à la
composition d'un opéra commandé par l'opéra de Los Angeles en 2008…
- Bigre ! et tu l'as vu ? pour les effets spéciaux… ça dû être une
galère…
- Oui forcément, mais Howard Shore, le chef Placido Domingo et bien
entendu David Cronenberg ont dû bien se marrer. La création avait eu
lieu au Châtelet en juillet 2008 puis à l'opéra de Los Angeles en
septembre…
- Génial ?
- Mouais, ça ne faisait pas de l'ombre à Don Giovanni, Tristan ou la
Tosca, mais une soirée sympa, disons divertissante… Les critiques ont
assassiné cet opéra entre potes… Il n'a pas été édité en DVD…
- Et en plus, tu couvres tout le sujet : le livre, la première
adaptation avec Vincent Price, la B.O.F.. Tu as oublié le Baygon jaune,
hihi…
Pauvre Sonia si émotive ! Mais quel rigolo lui a fait voir ce film
terrifiant ? Enfin, si elle a tenu le coup jusqu'à la fin, c'est que ledit
rigolo en valait la peine sous certains aspects en post-projection ;
restons-en là*… Et pour se mettre dans l'ambiance du film de SF
particulièrement réussi et éprouvant, même pour les fans de SF endurcis,
commençons par regarder la bande-annonce en français :
Et pour titiller la terreur de Sonia, j'ajoute une scène clé de
La mouche noire, première adaptation en
1958, avec le plan génial de l'épouse terrorisée vue en mosaïque via
les facettes des yeux d'insecte de son mari-mouche. Film plus fidèle à
l'esprit du livre.
George Langelaan |
À l'origine, il y avait une nouvelle de George Langelaan parue en
1957 dans Playboy (😉). Drôle de personnage ce
George Langelaan, né français en 1908 et mort trop tôt en
1972 toujours français. L'espion, le journaliste et l'écrivain sera à
lui seul un personnage de fiction, un James Bond ayant des lettres…
Dès l'armistice de 1940, il rejoint Londres où, parfaitement
bilingue, on l'accepte au sein des services secrets, le SOE futur MI6. Comme
Bogart dans
Les Passagers de la nuit de
Delmer Daves (Super film de 1947), la chirurgie lui offre un
nouveau visage et la RAF le largue en France occupée qu'il parcourt en faux
pétainiste militant sous le pseudo de Georges Langdon… Arrêté,
condamné à mort par les nazis, il s'évade de nouveau pour Londres et
participera au D-Day… Après le conflit, il écrira ses mémoires, des romans,
et quelques nouvelles de SF, dont "La mouche", son plus grand succès. Je l'ai lu adolescent (pas dans un vieux Playboy
😇) mais dans un recueil de 13 histoires fantastiques s'inspirant des
découvertes de la physique moderne, les paradoxes temporels, l'équivalence
masse-énergie, la mécanique quantique, la relativité, domaines fort mal
connus du grand public à l'époque…
Nouvelles de l'Anti-Monde comportait
un autre récit mettant en scène de nouveau un cobaye victime d'une
expérience militaire de téléportation. Hélas et panique, le temps est
ralenti 200 fois pendant son transfert qui dure… un certain temps. Son
univers tourne au ralenti. Il en reviendra vivant, mais des années se sont
écoulées et son chien, son seul ami, est retrouvé momifié sous un canapé,
mort de vieillesse… Un téléfilm petit budget fut tourné par l'ORTF…
L'auteur concocte deux contes macabres de téléportation, le rêve de
pouvoir transporter immédiatement d'un point A vers un point B, en général
entre deux cabines, des objets inertes ou des êtres vivants. Des
scientifiques réalisent le cycle "matière ➨ énergie émise (quantas en paquet d'ondes) ➨ transfert en
temps nul ➨ réception quantas ➨ réorganisation matière" (Aie ! en vrac 😆). C'est sans compter sur l'obstacle prévu dans le
principe d'incertitude d'Heisenberg dans lequel le "paquet" d'ondes
énergétiques est incohérent. Stephen Hawking et d'autres chercheurs
ont contesté ceci par la théorie de la décohérence quantique et blablabla
(Pourquoi faire Sonia un doliprane ?). Le physicien allemand Günter Nimtz a transmis via un tunnel
quantique la
symphonie N°40
de
Mozart
à 4,6 fois la vitesse de la lumière
(Clic). On commence avec une symphonie, puis une merguez, on continue avec une
mouche et on transfert Sonia 😂.
Affiche 1958 |
(*) Je n'arrive vraiment pas à rester dans mon sujet. J'ai même entendu
Luc qui disait l'autre jour à Bruno dans le couloir : "Je me demande comment Claude peut écrire encore autant à un âge aussi
avancé ?". L'inconvénient de laisser les portes des bureaux ouvertes par
convivialité, sauf celle de Pat à qui on demande de s'enfermer quand il se
fait griller des merguez au grand dam des pompiers qui… Vous voyez, je
remets encore ça côté digression…
Texte originel : L'épouse d'un scientifique qui possède son propre
labo appelle la police. Elle a volontairement tué son mari en lui écrasant
la tête et un bras sous une puissante presse hydraulique, son époux ne peut
plus être identifié. Le savant travaillait sur la téléportation de la
matière, concept expliqué au mieux avant. Après quelques vagues réussites,
il décide par orgueil d'expérimenter son propre transfert. On n'est jamais
trop prudent… Il s'enferme dans une cabine et réapparait dans la seconde…
avec une tête et une patte de mouche, l'insecte avait pénétré dans la cabine
avant l'expérience. Toute tentative de correction échouera. Il y aura même
un peu du chat de la maisonnée en prime, le pauvre félin étant une victime
collatérale d'un essai précédent foireux ! L'épouse mettra fin à la
souffrance de son mari et à cette folie en utilisant la presse avant
d'intégrer un asile où elle observe une mouche à tête blanche voleter sur la
fenêtre…
En 1958, Kurt Neumann né en 1908, spécialiste de film
de SF meurt juste après le dernier tour de manivelle de
La mouche noire, une première
adaptation assez fidèle de la nouvelle. En tête d'affiche,
Vincent Price (légende des rôles des
séries B fantastiques et policières, plus de 130), qui interprète le rôle du
frère du professeur Delambre (incarné par
David Hedison, un débutant), et
commercialement, sert par sa notoriété la promotion du film. Variante finale
bien glauque : dans le jardin,
Vincent Price et un policier entendent
des petits cris… Ils proviennent d'une mouche prisonnière d'une toile
d'araignée et dont la tête hurlante n'est autre que celle miniaturisée de
Delambre, fou de terreur car face à l'araignée gourmande qui
approche… Écraser le tout avec une pierre mettra fin à l'épouvantable
situation… Une chouette réussite en cinémascope qui connut deux ou trois
suites de peu d'intérêt…
~~~~~~~~~~~
C'est parti ! (Pourquoi à poil ?) |
David Cronenberg reprend la trame générale, mais je ne voudrais pas
spoiler le suspense et encore moins la conclusion très différente de la
nouvelle… Lors d'une soirée mondaine entre savants, l'arrogant physicien
Seth Brundle (Jeff Goldblum) qui
se voit déjà lauréat du Nobel aborde la journaliste fort séduisante
Veronica Quaife (Geena Davis) et
la persuade de venir à son labo installé dans un loft isolé, non pas pour la
bagatelle, mais pour lui présenter ses télépods, une machine complexe qui
permet de transférer la matière de A vers B (je ne détaille plus). Il la
persuade de son succès à venir en transférant l'un de ses bas, l'érotisme
est une nouvelle constante dans cette version de 1986. Par contre un
malheureux babouin se rematérialise sous forme d'une bouillie biologique
écœurante ! Objets inanimés : 1, vivants : 0 ! Même un steak est restitué
mais se révèle immangeable… La problématique de l'incertitude quantique est
à l'évidence non complètement résolue.
Passons sur quelques péripéties dont une nuit coquine entre
Seth et
Véronica qui part, fâchée par le manque
de rigueur méthodologique de
Seth…
Mouais... restons calme !!! |
Seth Brundle résout petit à petit les
problèmes et, enorgueilli par la réussite de la téléportation d'un second
babouin, il tente son propre transfert… Une réussite totale… en apparence
comme toujours dans ce genre de scénario.
Seth et
Véronica se réconcilie, mais la
journaliste constate des anomalies discrètes tant dans la physiologie que le
comportement encore plus autoritaire de
Seth… Nouvelle dispute et
séparation…
David Cronenberg surfe sur un phénomène biologique au lieu de
mélanger "les pièces détachées" comme dans le récit de La mouche noire, à savoir : exploiter la vitesse de renouvellement de nos cellules (à
partir de 2 jours pour l'intestin, 28 jours pour la peau, mais des années
pour le cerveau ; ça serait dommage que notre savant imprudent ne jouisse
pas avec lucidité des conséquences de sa précipitation).
Seth Brundle doit admettre que ses
performances physiques s'améliorent de manière exponentielle, des poils très
durs apparaissent, les problèmes de peaux aussi… Inquiet, il consulte ses
données informatiques qui lui révèlent que lors de son transfert une mouche
a pénétré avec lui dans le pod de départ !
La métamorphose commence pour
Seth qui, cellule par cellule, se
transforme en une chimère repoussante mi-homme mi-mouche, une créature
sortie de l'imaginaire dément de Jérôme Bosch. Un exploit d'acteur
pour Jeff Goldblum et une performance de mise en scène où le réalisme
horrifique atteint des sommets qui rivalisent avec les effets spéciaux de
The Thing de
John Carpenter tourné six ans auparavant.
~~~~~~~~~~~
Howard Shore |
Pour revenir à l'opéra après le film et avant la B.O., l'échec relatif chez
les fans d'art lyrique exigeants (ils le sont toujours, et jamais contents
😊) tient au fait qu'une musique de film a pour fonction d'exacerber les
émotions du public lors des différents plans-séquence. Elle doit donc être
conçue pour à la fois séduire tous les genres de public et surtout ne pas
prendre la place de la narration visuelle. En déduire qu'une B.O.F doit se
concevoir comme une musique décorative au rabais ? surtout pas ! Mais
chanter les répliques du livret, inspirés des dialogues du film - même
modifié en profondeur par David Henry Hwang - sur une scène d'opéra
présente un risque d'affectation presque inévitable. La diction des acteurs,
surtout dans un film de terreur, doit rester naturelle et abrupte et non
extatique, pathétique, fantasque comme dans l'opéra classique.
Le Monde, dans une critique mesurée de Renaud Machart rappelait ces difficultés de transposition, d'autant que Howard Shore a réécrit nombre de passages musicaux pour soutenir de manière cohérente les airs des chanteurs. Placido Domingo, ténor de génie devant l'éternel souhaitait diriger un opéra original car nouvellement nommé à la tête de l'opéra californien. il commanda l'œuvre au duo canadien. Et Renaud Machart de conclure "Les interprètes sont très bons vocalement et physiquement. Placido Domingo est peu précis, mais expressif." Quant aux effets spéciaux à la limite du vomitif du film, les reproduire en live sur scène était un défi insurmontable." Les chairs décomposées et lubriques de la créature nous manquent." Et moi j'aime ces critiques nuancées.
Parlons de musique de film et de
Howard Shore, auteur de près d'une centaine de B.O dont celles pour le
Seigneur des anneaux qui remportera au
cours de la réalisation de la saga trois Oscars.
~~~~~~~~~~~~~~~~~
David Cronenberg |
La complicité entre
Howard Shore
et David Cronenberg est un exemple de longévité rare dans le milieu :
17 films entre 1979 et 2021. Pas une infidélité entre
Chromosome 3 et un film en cours
de tournage. Historiquement, il y a eu d'autres collaborations étroites
comme celle entre Alfred Hitchcock et
Bernard Hermann
(dix films dont Psychose -
Clic
- 1955),
Mais qui a tué Harry ?, et 1966,
Le Rideau déchiré, B.O. refusée par
Hitchcock et les studios. L'affaire rendra furieux
Bernard Hermann
qui quittera Hollywood pour Londres… En conséquence : dernière partition
Hitchcockienne :
pas printemps pour Marnie en
1964. Une dizaine d'année d'amitié qui finit en eau de boudin, ça
arrive. L'association Sergio Leone, comme réalisateur ou producteur,
avec
Ennio Morricone
et sans embrouille, conduira à la composition de huit B.O.F..
Howard Shore, né au Canada en 1946 fait partie de ces compositeurs qui ne
dressent aucune barrière entre les genres. Attitude anglo-saxonne mal vue en
France, (paraphrasons Léo Ferré dans Poète vos papiers "Poète… doit être d'un parti ou du Tout-Paris"). Après ses études, il cofonde un groupe de Rock et écrit des chansons.
La rencontre avec Cronenberg en 1979 révèlera sa passion pour
le cinéma. Le style sombre et atonal de son écriture se marie parfaitement
aux univers sinistres et aux angoisses viscérales, les thèmes de
prédilection du réalisateur…
Le générique est caractéristique de cette osmose entre les effrois visuels
et le trouble sonore. Sur l'écran : une mosaïque de tâches colorées agitées
d'un mouvement brownien, s'agit-il des quantas indisciplinés causes de la
tragédie ? La musique : d'énigmatiques cliquetis de percussions opposés à
des thrènes lugubres qui préfigurent le tragique expiatoire de la chute en
enfer de Seth Brundle. Les tâches
s'organisent, le flou se dissipe ; les têtes des invités à la soirée,
apparaissent…
Howard Shore
confirme sa passion pour la musique atonale, les dissonances féroces qui
vous glaceront le sang dans les scènes les plus gores. Ceux qui suivent la
filmographie de Cronenberg savent que le réalisateur ne se fixe
aucune limite dans le réalisme de la bestialité et de la description de la
violence, une forme d'hyperréalisme visuel.
Howard Shore
atteint les mêmes frontières dans certains morceaux : l'élégie d'une
tristesse infinie lors du départ de
Veronica (V3) de forme classique, les
jeux de timbres mystérieux lors des transferts (V6 & V8), la frénésie
dodécaphonique qui accompagne
Seth devenu une créature agressive
(V18). Comme toujours, il n'y a pas de chronologie dans la production du
disque et le montage…
Relaxe Bartok, c'est juste une danse hongroise… |
Une suite réalisée en 1989 par Chris Walas avec mollesse ne
fera pas d'ombre à ce hit de la SF terrifiante. Un scénario très banal :
Veronica a mis au monde un fils conçu
lors de ses étreintes avec Seth,
Martin Brundle. Elle ne survit pas et
Martin grandira, a priori en bonne
santé, dans un labo secret où un certain
Bartok essaye de réitérer sans grands
succès les expériences de téléportation…
Un beau labrador, seul ami du jeune
Martin qui a dix ans
sera transformé par Bartok lors d'un
échec de plus, à l'insu du gosse, en
une aberration biologique hideuse végétant dans un cul basse-fosse…
rampant vers sa gamelle…
Martin apprendra cette trahison
infâme de la bouche d'une jolie laborantine pour qui il en pince,
Beth Logan.
Martin abrège le supplice du chien et
découvre ainsi la haine et le désir de vengeance !
À l'adolescence,
Martin Brundle mutera en une
effroyable chimère humanomouchomorphe ("non Sonia, ce n'est pas dans le dico"). Martin ayant hérité du génie du
paternel, mais pas de son orgueil, pourra réactiver le matériel, régler
ses comptes avec Bartok, pas Bela,
mais un salaud qui pensait se faire du blé avec
Martin, Bartok ne sera plus
présentable après son transfert en duo avec
Martin 😊
qui, lui, retrouve son aspect de beau
gosse et reprendra sa liaison avec la jolie
Beth Logan. Ils vécurent heureux,
etc. Une série B convenue et une B.O. de Christopher Youg honnête,
mais désincarnée et juste utilitaire (présente sur le second CD).
- Oh Claude, ce n'est pas une chronique, c'est un dossier…
- Ouais Sonia ! Bzzzzz c'est zaaaaaa Bzzzzzzzzz…
- Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
La Mouche - Cronenberg / Shore |
The Fly II - Walas / Young |
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