jeudi 28 avril 2022

John CORIGLIANO – Symphonie N°2 (2000) - John STOGÅRDS (2004) – par Claude Toon


- Ah Claude, un nouveau compositeur Yankee dans le Blog… Vous les aimez bien, hihi ! Waouh 84 ans, du moderne ? avec du doliprane en prime ??
- Sacrée Sonia ! Dès mes débuts dans le Deblocnot en janvier 2011, je souhaitais parler de ce disque, une belle symphonie pour cordes très accessible, pour tout public. Faute de vidéo, j'ai fini par oublier alors que bingo, la musique est dispo depuis… 2014 !
- Vous avez aussi un faible pour les cordes, tant les quatuors que les symphonies, sérénades, etc.
- Oui ma belle. D'ailleurs cette symphonie est une adaptation très travaillée d'un quatuor à cordes, une commande de l'orchestre symphonique de Boston lors de son centenaire…
- Ce M'sieur Corigliano a composé des musiques de films semble-t-il ?
- Exact, tu as déjà fait quelques recherches je vois, il a même reçu un Oscar… N'oublie pas le petit rond sur le A du nom du chef d'orchestre…


John Corigliano (°1938)

C'est drôle l'existence d'un mélomane, enfin je parle de la musique, pour le reste, comme pour tout le monde, il y a des hauts et des bas (je n'aurais pas le prix Nobel de littérature avec cette phrase, même pas la moyenne au Bac L 😊). J'ai eu ma période Corigliano sans doute en même temps que la découverte de la musique de Philip Glass… Quand ? Aucune idée. On peut même parler de passion, je m'aperçois que 7 CD trônent dans la discothèque, rayon USA, plus le CD de la B.O.F. du Le violon rouge, un superbe film de 1998 qui conte les pérégrinations d'un violon maléfique créé à Crémone en pleine époque baroque (1681) de sa fabrication jusqu'à nos jours. Le film fut réalisé par François Girard, la musique ayant comme principal interprète le virtuose Joshua Bell, l'acteur le plus connu du casting étant Samuel L. Jackson (houlà, 74 ans le Samuel, fichtre).

Mes lecteurs savent que mon incursion dans l'univers contemporain n'a qu'un but : démontrer que la musique classique n'est pas morte avec Pacicific 231 d'Honegger ou avec Ravel, des partitions engluées dans des compositions migraineuses exploitant des techniques d'écriture d'avant-garde pour répondre à l'obsession d'un renouveau jusqu'au-boutiste, quoiqu'il y ait des perles dans le genre. J'attends de la poésie, du militantisme, du "dieu sait quoi" qui au-delà des notes nous émeut comme la musique devrait toujours le faire…


John Stogårds (°1963)

Il y a quelques temps, nous avons découvert le concerto pour violon "Distant Light" de 1996, ouvrage bouleversant de Pēteris Vasks, compositeur letton né en 1947. La présentation de Vasks puis de l'œuvre était précédée de mes pensées sur l'état de l'art (sans calembour) musical de notre temps. Je n'y reviens pas dans le détail. (Clic)

Dans mon propos, je présumais que l'air de la mer baltique avait des vertus inspiratrices à voir le nombre important de musiciens marquants dans la région : Pologne, Finlande, pays baltes, Scandinavie… Tous abordaient des langages nouveaux mais sans didactisme, s'apercevant que le public ne venait pas au concert pour chercher désespérément un fil conducteur dans des œuvres alambiquées ou pour récolter des acouphènes ! Même remarque, moins surprenante, pour les créateurs d'outre-Atlantique. La culture de la musique classique aux USA n'a pas conduit à dresser des murs infranchissables entre la musique "savante" et celle qui serait étiquetée de "divertissante". Cohabitent ainsi courants d'avant-garde, minimalisme répétitif, jazz, musique de films, comédies musicales, Rock, pop, blues, etc. Dans le blog, on trouvera côté plutôt "classique" mais ayant travaillé dans d'autres styles : Adams, Gershwin, Glass, Reich, Nyman, Crumb, Goldschmidt, Williams, Bernstein, Hermann, Higdon, Horner, Zappa, des immigrés comme Korngold… Et pour poursuive ce jour : John Corigliano, lui aussi compositeur multigenre. Que les absents m'excusent…

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D'ascendance italienne, le petit John voit le jour à New-York en 1938 dans une famille de musiciens. Son père occupera le poste de 1er violon de la Philharmonie de New-York pendant 23 ans. Sa mère de confession juive est une excellente pianiste. Il suit sa formation musicale dans des établissements de prestige de la Grosse Pomme : l'Université Columbia et la Manhattan School of Music. Il va coproduire la célèbre séries "Young People's Concerts", 53 concerts pour les jeunes, commentés avec pédagogie par Leonard Bernstein entre 1958 et 1972. Son père, John Corigliano senior, leader de l'orchestre de NY sera l'invité de deux sessions. L'émission, née avec la démocratisation de la télévision, s'est poursuivie après 1972 avec la participation des artistes les plus talentueux de la planète dont les directeurs de la Philharmonie Newyorkaise comme Pierre Boulez, Kurt Masur, ou encore Michael Tilson Thomas et d'autres…

John Corigliano n'appartient à aucune école particulière, que ce soient celles des gourous du sérialisme, des minimalistes, des…, partant du principe que sa musique, sans regarder vers le passé, comprendre un postromantisme tardif, doit cependant s'adresser au plus grand nombre.

De 1964 à 1987, John Corigliano, comme ses camarades de la nouvelle vague musicale yankee, participe à des expériences plus ou moins loufoques comme The Naked Carmen (Carme nue), un opéra rock de 1970 plus ou moins parodique inspiré de Bizet. Dans la même période, il compose ses premiers ouvrages de styles plus contemporains dont deux concertos, l'un pour hautbois, l'autre pour clarinette, en 1975 et 1977. (Consulter son catalogue).

En 1987, il est le premier compositeur en résidence auprès de l'Orchestre Symphonique de Chicago. L'une des phalanges les plus cotées américaines. Son directeur de l'époque est Georg Solti depuis 1969, qui cédera le poste en 1991 à Daniel Barenboïm qui enregistrera la 1ère symphonie de Corigliano dédicacée à Solti, un ouvrage en hommage à des amis victimes de la première vague du SIDA.      

John Corigliano favorise l'orchestre dans ses compositions. Néanmoins, son catalogue mentionne de nombreux genres hors des sentiers battus, exemple : des "mélodies" titrées Mr. Tambourine Man, mise en musique de sept Poèmes de Bob Dylan pour soprano et piano. Citons l'opéra Ghosts of Versailles, opéra bouffe fantasmagorique, inspiré de Beaumarchais, mettant en scène la fin du règne de Louis XVI. Une commande du Mertropolitan pour son centenaire.

Et n'oublions pas quelques musiques de films dont la plus réussie est celle pour Le violon rouge oscarisée en 1998. John Corigliano est un pédagogue de renom…

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New-York (Wilfred Lang)

En 1996, un jeune quatuor s'est créé en prenant le nom John Corigliano Quartet. À ce propos, le quatuor de Corigliano écrit en 1995 a-t-il influencé ce choix ? Ce quatuor récompensé par le Grammy Award 1997 sera transcrit avec nombre de modifications pour donner naissance à la 2ème symphonie pour cordes en réponse à une commande du 100ème anniversaire du Symphony Hall de Boston. Seiji Ozawa la créera le 30 novembre 2000, l'œuvre sera lauréate du prix Pulitzer de musique 2001. Elle est dédiée à Susan Feder, agent artistique.

Le philosophe Luc Ferry, dont je ne partage pas toutes les idées, a dit lors d'un "billet" radiophonique une vérité à laquelle j'adhère totalement ; en substance "il ne peut y avoir d'art sans beauté". Une citation qui s'appliquait à tous les arts. Et cela est vrai en musique. Une idée préconçue tend à prétendre que les musiques contemporaines ne sont pas belles, se limitant à des successions de sons (des suites disloquées de bruits grinçants ?), peu mélodiques et sans logique expressive, sans poésie… bref "chiantes". C'est parfois vrai.

La 2ème symphonie de Corigliano montre parfaitement, grâce à des passages méditatifs contrastant avec des transitions fulgurantes, que l'émotion et la sensibilité peuvent jaillir facilement d'une écriture très divergente de celle d'un Mozart ou d'un Schubert.

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John Stogårds est un violoniste et maestro finlandais originaire d'Helsinki né en 1963. Il a commencé sa carrière comme violoniste de rang puis a suivi sa formation de chef d'orchestre entre 1993 et 1997 à l'université Sibelius. Il devient premier chef invité de l'orchestre philharmonique d'Helsinki dès 2003 puis chef principal de cette formation de 2008 à 2014. De 2006 à 2009, il a également dirigé l'autre orchestre finlandais haut de gamme, celui de Tempere. Depuis 2011, il dirige en chef invité le BBC Philarmonic avec lequel il a gravé une intégrale des symphonies de Sibelius pour Chandos appréciée des critiques. John Stogårds a enregistré le concerto pour violon "distant light" de Pēteris Vasks chroniqué la semaine passée, en tant que violon solo et accompagné par Juha Kangas dirigeant le Ostrobothnian Chamber Orchestra. Le monde est petit, ce maestro étant déjà au pupitre pour la gravure de Alina Pogostkina, encore un disque Ondine plébiscité, en complément la 2ème symphonie de Vasks. (Deezer)

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New-York by night (Wilfred Lang)

La 2ème symphonie comporte cinq mouvements. Comme Brahms, le jeune Corigliano pensait ne jamais écrire de symphonie pouvant rivaliser avec celles des grands aînés. Sa révolte contre le drame du SIDA le fit changer d'avis. La force de la forme symphonique se révélant propice à l'expression tragique d'un tel événement : "la mort involontaire".

Pour le compositeur, le choix des cordes n'est aucunement une fantaisie d'orchestrateur. La cohésion des timbres des quatre types instrumentaux du groupe des cordes permet par leur similarité d'obtenir un son, soit chaleureusement velouté, soit d'une gravité mélancolique.  Propriétés plus marquées que dans un orchestre plus coloré, incluant harmonie et percussions. Un point de vue qui se confirme en songeant à Métamorphosen de Richard Strauss, La nuit transfigurée de Schoenberg en version pour orchestre, le divertimento de Bartok… ou encore le pathétique Adagio et fugue de Mozart, un climat douloureux inattendu chez Wolfgang ! Corigliano ne donne aucun indice quant à l'inspiration qui guide sa composition, à chacun de bâtir son espace émotionnel… La vidéo est une playlist numérotée de V1 à V5.

L'orchestration stipulée est celle d'un orchestre de chambre pouvant être étendue : 6 premiers violons, 5 seconds violons, 4 altos, 4 violoncelles et 2 contrebasses. Comme toute musique pure, voici juste quelques repères à propos de l'architecture de la partition :

 

I. Prélude : [V1] Hésitations et frémissements, des sonorités nocturnes et énigmatiques, rêve ou réalité ? la première partie est un crescendo lent qui de la sérénité prendra une tournure inquiétante, une supplication. On pourra établir un parallèle avec Lentano de Ligeti. [3:42] Les cordes aigus interrompent cette évolution anxiogène. Corigliano aime surprendre. [4:21] La preuve en est avec ce changement radical d'ambiance, l'amorce d'un motif charmeur voire sensuel. Après maintes dissonances, voici de belles couleurs chaudes aux violoncelles ; une étreinte furtive de deux teenagers à Central Park ? Mon imaginaire romantique prend-il la main ? Corigliano parle, à propos du quatuor de 1996, de notation libre sans rythme défini, la thématique de chaque ligne musicale se superpose aux autres avec liberté. Il parle aussi de tierces, des tonalités do, do #, sol, sol#, etc., le vocabulaire de la musique pure…

La technique devient plus disciplinée dans la symphonie, juste un léger asynchronisme pour favoriser cette sonorité magique due à la continuité de ce qui apparait comme une mélodie unique, la linéarité pour supprimer la moindre aspérité. Le quatuor était d'après le compositeur une pièce d'adieu au quatuor de Cleveland qui venait de se dissoudre (Ah leurs interprétations de Brahms…). Mes deux tourtereaux ne se quittent pas 😊. Trop imaginaire ? Corigliano évoque des "chuchotements" dans les premières mesures… Donc : tourtereaux et chuchotements, hein…


New-York (Wilfred Lang)

II. Scherzo : [V2] Le scherzo surgit dans toute sa violence après le calme prélude. Les traits saccadés et morcelés agressent, curieusement sans nous convaincre d'une réelle brutalité de par les micros-solos impertinents qui jaillissent de-ci de-là. Le rôle prépondérant des violons dans l'aigu laisse planer le doute entre fureur et simple frénésie des rues de la mégalopole… [2:30] Dans ce qui s'apparente au trio, un violon solo murmure timidement, auréolé d'une mélodie qui rappelle la tendresse conclusive du Prélude. [4:47] La musique tente une incursion vers un léger pathétisme qui cédera le pas par une transition de pizzicatos faussement discrets à la reprise du scherzo. Une coda insolite (on pense à un avertisseur d'un véhicule de police, de ceux si obsédant à NY.)

 

III. Nocturne : [V3] Le titre est judicieux. Je ne commente pas cette balade onirique aux timbres féeriques. La forme s'apparente à celle d'un concerto pour cordes avec de nombreux dialogues élégants et poétiques. Corigliano nous confie avoir trouver l'inspiration de ce mouvement lors d'une nuit à Fez en entendant les appels du Muézin, "une calme nuit marocaine".

 

IV. Fugue : [V4] Je cite encore Corigliano : "Fugue anti-contrapunctique, syncope en homorytmie, asynchronies satiriques…". Ah oui ? Comme moi, débrouillez-vous avec ça. Le résultat oscille entre dramatisme et marche funèbre tendance drolatique… Surprenant et pour le moins inventif ! Vers la fin, les archets frappent les instruments tel le "fouet", gadget cher à Mahler. La fin du morceau évolue en une chorégraphie sardonique…

 

V. Postlude : [V5] Le final titré postlude joue la carte du secret et de l'intime en débutant par un solo de violon nimbé par d'autres cordes très très lointaines. Je n'ai pas la partition mais j'imagine des pppp sous les portées. [1:58] On entend, perdu dans un rêve, des réminiscences de motifs du prélude et du scherzo. Peut-on encore parler de méditation dans ce qui s'apparente quasiment à du silence ? [3:24] Mesure par mesure, se dessine un passage plus allant émaillé par les trémolos du premier violon. La "voiture de flics" fait son retour pour scander le flot musical (désolé pour cette métaphore pour le moins bas de gamme). Nonobstant ces citations des mouvements 1 à 4, Corigliano nous fait vivre une récapitulation inversée du prélude, à savoir une quête du silence à travers d'infimes chuchotements et frémissements.

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Il n'existe à ma connaissance que deux gravures de cette symphonie. Pour Chandos, l'orchestre I Musici de Montréal dirigé par Yuli Turovsky nous propose une interprétation aux tempos plus vaillants et avec un effectif plus réduit ou une prise de son plus claire… Je ne cherche pas à départager les deux gravures, d'un intérêt égal. Ce disque comporte la suite "Le violon rouge" interprétée par Eleonora Turovsky. (Deezer)




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