- Ah Claude, un nouveau compositeur Yankee dans le Blog… Vous les aimez
bien, hihi ! Waouh 84 ans, du moderne ? avec du doliprane en prime ??
- Sacrée Sonia ! Dès mes débuts dans le Deblocnot en janvier 2011, je
souhaitais parler de ce disque, une belle symphonie pour cordes très
accessible, pour tout public. Faute de vidéo, j'ai fini par oublier
alors que bingo, la musique est dispo depuis… 2014 !
- Vous avez aussi un faible pour les cordes, tant les quatuors que les
symphonies, sérénades, etc.
- Oui ma belle. D'ailleurs cette symphonie est une adaptation très
travaillée d'un quatuor à cordes, une commande de l'orchestre
symphonique de Boston lors de son centenaire…
- Ce M'sieur Corigliano a composé des musiques de films semble-t-il ?
- Exact, tu as déjà fait quelques recherches je vois, il a même reçu un
Oscar… N'oublie pas le petit rond sur le A du nom du chef
d'orchestre…
John Corigliano (°1938) |
C'est drôle l'existence d'un mélomane, enfin je parle de la musique, pour
le reste, comme pour tout le monde, il y a des hauts et des bas (je n'aurais
pas le prix Nobel de littérature avec cette phrase, même pas la moyenne au
Bac L 😊). J'ai eu ma période
Corigliano
sans doute en même temps que la découverte de la musique de
Philip Glass… Quand ? Aucune idée. On peut même parler de passion, je m'aperçois que 7
CD trônent dans la discothèque, rayon USA, plus le CD de la B.O.F. du
Le violon rouge, un superbe film de 1998 qui conte les
pérégrinations d'un violon maléfique créé à Crémone en pleine époque baroque
(1681) de sa fabrication jusqu'à nos jours. Le film fut réalisé par
François Girard, la musique ayant comme principal interprète le
virtuose
Joshua Bell, l'acteur le plus connu du casting étant Samuel L. Jackson (houlà,
74 ans le Samuel, fichtre).
Mes lecteurs savent que mon incursion dans l'univers contemporain n'a qu'un
but : démontrer que la musique classique n'est pas morte avec
Pacicific 231
d'Honegger
ou avec
Ravel, des partitions engluées dans des compositions migraineuses exploitant des
techniques d'écriture d'avant-garde pour répondre à l'obsession d'un
renouveau jusqu'au-boutiste, quoiqu'il y ait des perles dans le genre.
J'attends de la poésie, du militantisme, du "dieu sait quoi" qui au-delà des
notes nous émeut comme la musique devrait toujours le faire…
John Stogårds (°1963) |
Il y a quelques temps, nous avons découvert le
concerto pour violon
"Distant Light" de 1996, ouvrage
bouleversant de
Pēteris Vasks, compositeur letton né en 1947. La présentation de
Vasks
puis de l'œuvre était précédée de mes pensées sur l'état de l'art (sans
calembour) musical de notre temps. Je n'y reviens pas dans le détail.
(Clic)
Dans mon propos, je présumais que l'air de la mer baltique avait des vertus
inspiratrices à voir le nombre important de musiciens marquants dans la
région : Pologne,
Finlande,
pays baltes,
Scandinavie… Tous abordaient des
langages nouveaux mais sans didactisme, s'apercevant que le public ne venait
pas au concert pour chercher désespérément un fil conducteur dans des œuvres
alambiquées ou pour récolter des acouphènes ! Même remarque, moins
surprenante, pour les créateurs d'outre-Atlantique. La culture de la musique
classique aux USA n'a pas conduit à dresser des murs infranchissables entre
la musique "savante" et celle qui serait étiquetée de "divertissante".
Cohabitent ainsi
courants d'avant-garde, minimalisme répétitif, jazz,
musique de films,
comédies musicales,
Rock,
pop,
blues, etc. Dans le blog, on trouvera
côté plutôt "classique" mais ayant travaillé dans d'autres styles :
Adams,
Gershwin,
Glass,
Reich,
Nyman,
Crumb,
Goldschmidt,
Williams,
Bernstein,
Hermann,
Higdon,
Horner,
Zappa, des immigrés comme
Korngold… Et pour poursuive ce jour :
John Corigliano, lui aussi compositeur multigenre. Que les absents m'excusent…
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D'ascendance italienne, le petit
John
voit le jour à New-York en 1938 dans une famille de musiciens. Son
père occupera le poste de 1er violon de la
Philharmonie de New-York
pendant 23 ans. Sa mère de confession juive est une excellente pianiste. Il
suit sa formation musicale dans des établissements de prestige de la Grosse
Pomme : l'Université Columbia et la Manhattan School of Music. Il va
coproduire la célèbre séries "Young People's Concerts", 53 concerts pour les jeunes, commentés avec pédagogie par
Leonard Bernstein
entre 1958 et 1972. Son père,
John Corigliano senior, leader de l'orchestre de NY sera l'invité de deux sessions. L'émission,
née avec la démocratisation de la télévision, s'est poursuivie après
1972 avec la participation des artistes les plus talentueux de la
planète dont les directeurs de la Philharmonie Newyorkaise comme
Pierre Boulez,
Kurt Masur, ou encore
Michael Tilson Thomas
et d'autres…
John Corigliano
n'appartient à aucune école particulière, que ce soient celles des gourous
du sérialisme, des minimalistes, des…, partant du principe que sa musique,
sans regarder vers le passé, comprendre un postromantisme tardif, doit
cependant s'adresser au plus grand nombre.
De 1964 à 1987,
John Corigliano, comme ses camarades de la nouvelle vague musicale yankee, participe à des
expériences plus ou moins loufoques comme
The Naked Carmen
(Carme nue), un opéra rock de 1970 plus ou moins parodique inspiré de
Bizet. Dans la même période, il compose ses premiers ouvrages de styles plus
contemporains dont deux
concertos, l'un pour
hautbois, l'autre pour
clarinette, en 1975 et 1977. (Consulter son catalogue).
En 1987, il est le premier compositeur en résidence auprès de l'Orchestre Symphonique de Chicago. L'une des phalanges les plus cotées américaines. Son directeur de l'époque est Georg Solti depuis 1969, qui cédera le poste en 1991 à Daniel Barenboïm qui enregistrera la 1ère symphonie de Corigliano dédicacée à Solti, un ouvrage en hommage à des amis victimes de la première vague du SIDA.
John Corigliano
favorise l'orchestre dans ses compositions. Néanmoins, son catalogue
mentionne de nombreux genres hors des sentiers battus, exemple : des
"mélodies" titrées
Mr. Tambourine Man,
mise en musique de sept Poèmes de Bob Dylan pour soprano et piano.
Citons l'opéra
Ghosts of Versailles, opéra bouffe fantasmagorique, inspiré de Beaumarchais, mettant en
scène la fin du règne de Louis XVI. Une commande du Mertropolitan
pour son centenaire.
Et n'oublions pas quelques musiques de films dont la plus réussie est celle
pour Le violon rouge oscarisée en 1998.
John Corigliano
est un pédagogue de renom…
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New-York (Wilfred Lang) |
En 1996, un jeune quatuor s'est créé en prenant le nom
John Corigliano Quartet. À ce propos, le
quatuor
de
Corigliano
écrit en 1995 a-t-il influencé ce choix ? Ce quatuor récompensé par
le Grammy Award 1997 sera
transcrit avec nombre de modifications pour donner naissance à la
2ème symphonie
pour cordes en réponse à une commande du 100ème anniversaire du
Symphony Hall de Boston.
Seiji Ozawa
la créera le 30 novembre 2000, l'œuvre sera lauréate du
prix Pulitzer de musique 2001.
Elle est dédiée à Susan Feder, agent artistique.
Le philosophe Luc Ferry, dont je ne partage pas toutes les idées, a
dit lors d'un "billet" radiophonique une vérité à laquelle j'adhère
totalement ; en substance "il ne peut y avoir d'art sans beauté". Une citation qui s'appliquait à
tous les arts. Et cela est vrai en musique. Une idée préconçue tend à
prétendre que les musiques contemporaines ne sont pas belles, se limitant à
des successions de sons (des suites disloquées de bruits grinçants ?), peu
mélodiques et sans logique expressive, sans poésie… bref "chiantes". C'est
parfois vrai.
La
2ème symphonie
de
Corigliano
montre parfaitement, grâce à des passages méditatifs contrastant avec des
transitions fulgurantes, que l'émotion et la sensibilité peuvent jaillir
facilement d'une écriture très divergente de celle d'un
Mozart
ou d'un
Schubert.
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John Stogårds
est un violoniste et maestro finlandais originaire d'Helsinki né
en 1963. Il a commencé sa carrière comme violoniste de rang puis
a suivi sa formation de chef d'orchestre entre 1993 et 1997 à
l'université Sibelius. Il devient premier chef invité de l'orchestre philharmonique d'Helsinki
dès 2003 puis chef principal de cette formation de 2008 à
2014. De 2006 à 2009, il a également dirigé l'autre
orchestre finlandais haut de gamme, celui de
Tempere. Depuis 2011, il dirige en chef invité le
BBC Philarmonic
avec lequel il a gravé une
intégrale
des symphonies de
Sibelius
pour Chandos appréciée des critiques.
John Stogårds
a enregistré le
concerto pour violon
"distant light" de
Pēteris Vasks
chroniqué la semaine passée, en tant que violon solo et accompagné par
Juha Kangas
dirigeant le
Ostrobothnian Chamber Orchestra.
Le monde est petit, ce maestro étant déjà au pupitre pour la gravure de
Alina Pogostkina, encore un disque Ondine plébiscité, en complément la
2ème symphonie
de
Vasks.
(Deezer)
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New-York by night (Wilfred Lang) |
La
2ème symphonie
comporte cinq mouvements. Comme
Brahms, le jeune
Corigliano
pensait ne jamais écrire de symphonie pouvant rivaliser avec celles des
grands aînés. Sa révolte contre le drame du SIDA le fit changer d'avis. La
force de la forme symphonique se révélant propice à l'expression tragique
d'un tel événement : "la mort involontaire".
Pour le compositeur, le choix des cordes n'est aucunement une fantaisie
d'orchestrateur. La cohésion des timbres des quatre types instrumentaux du
groupe des cordes permet par leur similarité d'obtenir un son, soit
chaleureusement velouté, soit d'une gravité mélancolique. Propriétés
plus marquées que dans un orchestre plus coloré, incluant harmonie et
percussions. Un point de vue qui se confirme en songeant à
Métamorphosen
de
Richard Strauss,
La nuit transfigurée
de
Schoenberg
en version pour orchestre, le
divertimento
de
Bartok… ou encore le pathétique
Adagio et fugue
de
Mozart, un climat douloureux inattendu chez
Wolfgang
! Corigliano
ne donne aucun indice quant à l'inspiration qui guide sa composition, à
chacun de bâtir son espace émotionnel… La vidéo est une playlist numérotée
de V1 à V5.
L'orchestration stipulée est celle d'un orchestre de chambre pouvant être
étendue : 6 premiers violons, 5 seconds violons, 4 altos,
4 violoncelles et 2 contrebasses. Comme toute musique pure, voici juste
quelques repères à propos de l'architecture de la partition :
I. Prélude : [V1]
Hésitations et frémissements, des sonorités nocturnes et énigmatiques, rêve
ou réalité ? la première partie est un crescendo lent qui de la sérénité
prendra une tournure inquiétante, une supplication. On pourra établir un
parallèle avec
Lentano
de
Ligeti. [3:42] Les cordes aigus interrompent cette évolution anxiogène.
Corigliano
aime surprendre. [4:21] La preuve en est avec ce changement radical
d'ambiance, l'amorce d'un motif charmeur voire sensuel. Après maintes
dissonances, voici de belles couleurs chaudes aux violoncelles ; une
étreinte furtive de deux teenagers à Central Park ? Mon imaginaire
romantique prend-il la main ?
Corigliano
parle, à propos du quatuor de 1996, de notation libre sans rythme
défini, la thématique de chaque ligne musicale se superpose aux autres avec
liberté. Il parle aussi de tierces, des tonalités do, do #, sol, sol#, etc.,
le vocabulaire de la musique pure…
La technique devient plus disciplinée dans la symphonie, juste un léger
asynchronisme pour favoriser cette sonorité magique due à la continuité de
ce qui apparait comme une mélodie unique, la linéarité pour supprimer la
moindre aspérité. Le quatuor était d'après le compositeur une pièce d'adieu
au
quatuor de Cleveland
qui venait de se dissoudre (Ah leurs interprétations de
Brahms…). Mes deux tourtereaux ne se quittent pas 😊. Trop imaginaire ?
Corigliano
évoque des "chuchotements" dans les premières mesures… Donc : tourtereaux et
chuchotements, hein…
New-York (Wilfred Lang) |
II. Scherzo : [V2] Le
scherzo surgit dans toute sa violence après le calme prélude. Les traits
saccadés et morcelés agressent, curieusement sans nous convaincre d'une
réelle brutalité de par les micros-solos impertinents qui jaillissent de-ci
de-là. Le rôle prépondérant des violons dans l'aigu laisse planer le doute
entre fureur et simple frénésie des rues de la mégalopole… [2:30] Dans ce
qui s'apparente au trio, un violon solo murmure timidement, auréolé d'une
mélodie qui rappelle la tendresse conclusive du Prélude. [4:47] La musique
tente une incursion vers un léger pathétisme qui cédera le pas par une
transition de pizzicatos faussement discrets à la reprise du scherzo. Une
coda insolite (on pense à un avertisseur d'un véhicule de police, de ceux si
obsédant à NY.)
III. Nocturne : [V3] Le
titre est judicieux. Je ne commente pas cette balade onirique aux timbres
féeriques. La forme s'apparente à celle d'un concerto pour cordes avec de
nombreux dialogues élégants et poétiques.
Corigliano
nous confie avoir trouver l'inspiration de ce mouvement lors d'une nuit à
Fez en entendant les appels du Muézin, "une calme nuit marocaine".
IV. Fugue : [V4] Je cite
encore
Corigliano
: "Fugue anti-contrapunctique, syncope en homorytmie, asynchronies
satiriques…". Ah oui ? Comme moi, débrouillez-vous avec ça. Le résultat
oscille entre dramatisme et marche funèbre tendance drolatique… Surprenant
et pour le moins inventif ! Vers la fin, les archets frappent les
instruments tel le "fouet", gadget cher à
Mahler. La fin du morceau évolue en une chorégraphie sardonique…
V. Postlude : [V5] Le
final titré postlude joue la carte du secret et de l'intime en débutant par
un solo de violon nimbé par d'autres cordes très très lointaines. Je n'ai
pas la partition mais j'imagine des pppp sous les portées.
[1:58] On entend, perdu dans un rêve, des réminiscences de motifs du
prélude et du
scherzo. Peut-on encore parler de
méditation dans ce qui s'apparente quasiment à du silence ? [3:24] Mesure
par mesure, se dessine un passage plus allant émaillé par les trémolos du
premier violon. La "voiture de flics" fait son retour pour scander le flot musical (désolé pour cette métaphore
pour le moins bas de gamme). Nonobstant ces citations des mouvements 1 à 4,
Corigliano
nous fait vivre une récapitulation inversée du prélude, à savoir une quête
du silence à travers d'infimes chuchotements et frémissements.
~~~~~~~~~~~~~
Il n'existe à ma connaissance que deux gravures de cette symphonie. Pour
Chandos, l'orchestre
I Musici de Montréal
dirigé par
Yuli Turovsky nous propose une interprétation aux tempos plus vaillants et avec un
effectif plus réduit ou une prise de son plus claire… Je ne cherche pas à
départager les deux gravures, d'un intérêt égal. Ce disque comporte la suite
"Le violon rouge" interprétée par
Eleonora
Turovsky. (Deezer)
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