C’est un classique, un petit bijou de Film Noir. Mon genre de prédilection, avec le western, dont je vous ai souvent parlé. Le Film Noir naît à la fin de la guerre (la deuxième) est se décline en sous-genres, film de détective, de gangsters, drame criminel, polar, thriller carcéral mais aussi film de boxe. Dans le genre, on avait vu GENTLEMAN JIM (1942, Raoul Walsh), BODY AND SOUL (1947, Robert Rossen), KILLER’S KISS (1955, Stanley Kubrick), PLUS DURE SERA LA CHUTE (1956, Mark Robson). RAGING BULL de Scorsese et ROCKY de Stallone tiennent à mon sens davantage du mélodrame sportif, que du Film Noir.
Le réalisateur Robert Wise devait aimer la boxe pour avoir tourné plus tard MARQUE PAR LA HAINE (1957, avec Paul Newman) biopic d’un certain Rocky… Pour l’heure, il suit le parcours cabossé de Stoker Thompson, boxeur en fin de course qui, promis-juré, cette fois-ci va gagner son combat. « Ce soir je battrai ce gosse, j’en suis sûr » annonce-t-il à sa femme, Julie, comme pour mieux s’en persuader, sa femme qui est lassée de le voir humilié matchs après matchs et revenir au bercail la gueule cassée.
Même si on a vu des scènes comme celle-ci cent fois, il y a une réelle sincérité dans ce couple, il sonne vrai. La vie du couple tourne autour de la boxe. La mise en scène de Wise nous le dit par la situation du décor : depuis les vestiaires Stoker voit son immeuble, peut guetter si Julie sort venir le regarder combattre. Dans la première scène c'est l'axe inverse, on voit la salle de boxe depuis la fenêtre de l'appart. Quand Stoker voit les lumières de son appartement s’éteindre, il en déduit que sa femme est sortie le rejoindre. Il lui a laissé un billet.
On est arrivé dans le petit appartement par un mouvement de caméra qui cadre d’abord la façade, se rapproche de la fenêtre en travelling, passe les rideaux, entre et cadre le lit ou Stoker est allongé. Robert Wise sait y faire, il a été à bonne école : monteur pour la RKO, c’est lui qui assiste Orson Welles sur CITIZEN KANE et LES AMBERSONS, dont il refilmera d’ailleurs les dernières scènes (que le studio jugeait trop pessimistes, contre l’avis de Welles). Wise, à qui on doit des trucs très différents comme LE JOUR OU LA TERRE S’ARRÊTA (1951), WEST SIDE STORY (1961), LA MAISON DU DIABLE (1963), LA CANIONIERE DU YANG-TSE (1966) ou STAR TREK (1979) est un solide technicien, et pour NOUS AVONS GAGNE CE SOIR il s’autorise une nouveauté (pour l’époque) : le film en temps réel.
Le film s’ouvre dans la rue, la caméra avance en travelling vers l’arena illuminée de néons « Paradise City » et « Dreamland » (le pays du rêve c’est vite dit…) on passe devant une horloge : il est 21h05. A la fin du film, nous avons le mouvement inverse, travelling arrière qui repasse devant l’horloge qui marque 22h17. Il s’est donc passé 1h12, et c’est justement la durée du film. - Oui Sonia, un truc vous chiffonne ? - Comment y savait, le Robert, que son film ferait 72 minutes et qu’il fallait mettre les aiguilles sur 22h17 ? - Il ne le savait pas, donc en fonction des corrections de montage, il retournait son dernier plan pour changer l’heure de la pendule !
Robert Wise s’est immergé dans le monde des salles de boxe, il en retranscrit merveilleusement l’ambiance, l’effervescence de l’avant match sur le trottoir, la salle avec une galerie de personnages pittoresques comme ce gros mangeur de hot-dog, le gars qui suit sur un transistor un match de baseball, et même un aveugle. Et l’ambiance des vestiaires. Stoker Thompson se rend au tournoi avec son p’tit sac à la main, comme n’importe quel gars va au boulot. Les boxeurs sont appelés à tour de rôle par les organisateurs du tournoi, dans les regards on lit l’espoir, la trouille, la frime, l’amertume. Y’a les superstitieux comme Gunboat, les forts en gueule, et les taiseux comme Stoker. Une longue séquence en huis-clos où se croisent des dizaines de personnages qui entrent et sortent, boxeurs, soigneurs, entraîneurs, il fallait la science du montage de Robert Wise pour animer l’ensemble.
Stoker doit combattre un certain Tiger Nelson, un jeunot. Ce qu’il ne sait pas – et c’est tout l’intérêt de ce scénario – c’est que Nelson est la nouvelle recrue du gangster Little Boy, qui a parié du pognon et a arrangé le match. L’entraîneur de Nelson est chargé de remettre 50 dollars à son homologue pour que Stoker se couche à la deuxième reprise. Sauf que l’entraîneur préfère garder tout le fric, ne rien dire de l’arrangement à Stoker, pariant sur le fait qu’à son âge, il se fera de toutes façons massacrer.
La situation serait un dilemme
cornélien si Stoker avait été complice de la
tricherie. Mais ce n’est pas le cas, on le sait dès le début. Ce qui rend la
tension plus palpable, sorte de suspens inversé, on souhaite au héros de perdre. Stoker fonce
dans le combat comme si c’était son dernier, s’en prend plein la tronche, se
relève, attaque de plus belle, comme enragé, au grand dam de son entraîneur qui
le supplie d’abandonner. Robert Wise filme à trois caméras dont une à l’épaule
(très rare à Hollywood à l’époque) immergeant le spectateur sur le ring. L’action
est aussi dans la salle, c’est l’effervescence pour les uns,
le dépit et la rage pour les autres, ceux qui ont parié. Faut voir la gueule de
Little Boy et sa clique, ou de l’entraîneur véreux de Stoker qui se réjouit quand son poulain se prend des coups, et devient livide quand il en donne.
Le film est un montage parallèle de Stoker au stade, enfermé dans son ring carré, et de sa femme Julie qui arpente les rues, où la foire bat son plein, suivie en longs travellings. Contraste saisissant entre l'ambiance festive de la rue et le désarroi intérieur du boxeur. Très beau plan : lorsqu’elle déchire le billet du match, sur un pont au-dessus des rails, avec les trains qui passent en dessous.
Little Boy sera un peu fâché de l’issue du combat*, lui et ses sbires le feront savoir à Stoker. Il y a ce plan terrible de Little Boy saisissant une brique pour écrabouiller la main de Stoker, punition classique pour les tricheurs (voir le CASINO de Scorsese). Sauf que Robert Wise coupe le mouvement du bras pour insérer un plan, une ombre reportée sur un mur, d'un percussionniste qui maltraite ses congas. La violence reste hors champ, mais la sensation est plus forte.
La fin est superbe, Stoker
balbutiant à sa femme « J’ai gagné, ce soir » elle qui répond « Nous
avons gagné ce soir ». Promesse d’une vie nouvelle loin des rings et des
coups tordus. Le film tient évidemment par la mise en scène tendue de Wise,
dégraissée de tout superflu (1h12 !) et par la composition de Robert Ryan,
au jeu nuancé, qui donne corps et humanité à son personnage. C’était un fabuleux
acteur doublé d’un mec bien, vu dans L’APPÂT, UN HOMME EST PASSE, LA CHEVAUCHÉE
DES BANNIS, LA HORDE SAUVAGE, LES PROFESSIONNELS.
*La situation ressemble furieusement à une séquence de PULP FICTION (le personnage de Bruce Willis)
noir et blanc - 1h12 - format 1:1.37
Pas trouvé de bande annonce, donc on se regarde les 5 premières minutes du film...
En plus d'être un grand film, c'est un bon film sur la boxe, les combats sont super bien filmés (mieux que dans Raging Bull, Million Dollar Baby ou les Rocky ?) ...
RépondreSupprimerWise, ouais, tout n'est pas extraordinaire, mais rares sont ceux qui ont abordé une foultitude de genres en faisant des bons films ...
Comme quoi on peut montrer beaucoup plus de choses en 1 h 12 qu'en trois heures de Avengers Endgame (si seulement ça pouvait l'être endgame ...)