vendredi 8 avril 2022

BELFAST de Kenneth Branagh (2022) par Luc B.

Je me souviens parfaitement du premier film de Kenneth Branagh qui avait épaté son monde, HENRI V. C’est Gégé Depardieu qui l’avait découvert, aidé à le distribuer en France, et assurait le doublage français de l’acteur-réalisateur. Une adaptation de Shakespeare, il y en aura d’autres, comme le très chouette BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN (1993). Le gars a un parcours théâtral et cinéma proche d’Orson Welles, il crée au théâtre des pièces qu'il adapte au cinéma, on le compare à Laurence Olivier. Suivent les épatants DEAD AGAIN (1991), PETER’S FRIENDS (1992), un fastueux HAMLET (1996) et son FRANKESTEIN avec De Niro ne déméritait pas. Et puis ce qu’on aimait aussi beaucoup chez Kenneth Branagh, c’était sa merveilleuse femme Emma Thompson, comment peut-on cumuler autant de qualités ?!

Et puis le plus brillant réalisateur de sa génération s’est un peu perdu en route. Un remake de LE LIMIER, un truc de Marvel, THOR, un machin d’espionnage THE RYAN INITIATIVE, un CENDRILLON en prises réelles. Faut bien payer ses impôts mais tout de même. Et coup sur coup deux (remake encore) Agatha Christie, mettez les dvd dans votre armoire à linge, ça marche mieux que les boules de naphtaline. Côté acteur, après être passé chez Altman ou Allen, il semble s’être fait une spécialité de jouer les nazis ou les méchants russes (qu’il fait très bien, le problème n’est pas là) comme dans TENET de Nolan. Il arrondit aussi les fins de mois chez HARRY POTTER, comme 87,6% des comédiens britanniques.

Kenneth Branagh semble avoir retrouvé ses esprits et son inspiration, en replongeant dans son enfance, à Belfast, Irlande du Nord, où il est né, avant que ses parents ne déménagent à Londres. C'est le propos de cette chronique, de ses jeunes années. On commence par des plans de la ville de Belfast, en couleurs, et bien évidemment, on écoute quoi là-dessus ? L’irlandais le plus célèbre avant même Rory Gallagher : Van Morrison, qui a composé la musique du film et y reprend certaines de ses chansons.

Puis la caméra filme une fresque peinte sur un mur, s'élève au dessus, découvre une rue, en noir et blanc. Magnifique transition, on bascule en août 1969, la caméra louvoie en plan séquence entre les gamins qui jouent au foot, le voisinage dehors, il fait beau, on entend crier « Buddy ! », un gamin qu’on appelle pour dîner, ici tout le monde se connaît, c’est une communauté, et…

Une milice protestante débarque, bloque la rue, balance des cocktails molotov, incendie les voitures, brise les vitres, on vocifère, on menace, c’est la panique et le chaos. Le gamin vit dans le quartier catholique, mais sa famille (jamais nommée, juste Pa, Ma, Pop…) est protestante. Ils ont toujours eu de bonnes relations de voisinage, jusqu’à ce jour d’émeute, où on leur demandera de choisir leur camp. Le père travaille à Londres, ne revient que tous les quinze jours. La figure centrale du film est donc la mère (superbe actrice Caitriona Balfe) une héroïne italienne, une Monica Vitti pour le physique, une Magnani pour le caractère, qui se démène avec ses deux fils et le peu d’argent du ménage.

La rue est maintenant fermée par des barricades, on contrôle les allers et venues de ceux que l’on côtoie depuis vingt ans. La vie de Buddy reprend, l’école, son amoureuse, ses grands-parents, le cinéma, les apéros dehors, avec cette voisine avinée qui chante (hurle) à tue tête, dont le mari demande : « - Qu’est ce que tu as fait de l’argent ? – Quel argent ? – Celui que ta mère t’a donné pour tes cours de chant !! ».

Les rêveries de Buddy naissent autant du cinéma que de la religion, omniprésente. Le gamin est traumatisé par un sermon éructé par un pasteur postillonnant qui menace ses ouailles des feux de l’enfer s’ils se trompent de chemin. Buddy dessine une route, avec une fourche, hésite s’il faut prendre à droite ou à gauche. Le cinéma est plus divertissant. En salle, pour voir « Chitty Chitty Bang Bang » (j'avais totalement occulté cette méga production anglaise, j'avais la voiture Majorette !) ou à la télé où le gamin regarde « Star Trek » et des westerns. Branagh nous en montre des extraits, judicieusement choisis : « Le Train sifflera trois fois » et « Liberty Valence », pas un hasard, à chaque fois il s'agit d'un anti-héros confronté au mal, qui refuse de combattre, préférant la neutralité. Ce qui est correspond au père de Buddy, qui refuse les menaces, le racket.

Le film est tourné en noir et blanc, à l’exception des deux génériques, et des extraits de film ou de pièces de théâtre. Il y a cette belle idée du reflet en couleurs dans les verres de lunettes de la grand-mère. L'image est très travaillée, léchée, trop sans doute. On pense au film ROMA de Cuaròn [clic ici ] qui relatait aussi l’enfance du réalisateur, on pense aussi aux 400 COUPS de Truffaut. En fait, BELFAST pourrait se situer entre les deux.

La caméra est très mobile dans des décors souvent exigus, les axes sont prononcés, le tout filmé au grand angle donnant une belle profondeur de champ. On pourrait trouver la mise en scène maniérée, quelques effets faciles de temps à autre, il aurait fallu plus de Rossellini que de Scorsese. On pourrait trouver aussi le film angélique, peu réaliste sur le plan politique, mais il faut avoir à l’esprit que Branagh filme ses souvenirs, donc le point de vue d’un enfant de 9 ans.

D’où ces affrontements de rues qui semblent sortir d’un western, dont le gamin s’abreuve, subjugué par le petit écran. Ou la scène du père qui neutralise un coup de feu par un jet de pierre millimétré, geste héroïque, filmé comme tel. Le portrait de cette mère courage, qui élève ses mômes dans le respect des autres, la tolérance. Ça sent le vécu. Il y a plein de petites scènes, drôles, tendres, avec les grands parents, la jeune Catherine à l’école, blondinette première de la classe, au premier rang, seules de bonnes notes feront avancer Buddy à ses côtés.  

Le film commence et se termine par des affrontements. Ce sont les catholiques cette fois qui en viennent au pillage. Buddy est entraîné dans la meute par une voisine. Dans le magasin mis à sac on le contraint à voler un truc, il choisit un carton de lessive Omo ! Sa mère lui bottera les fesses pour qu’il ramène son trophée, malgré la pagaille, les bagarres, l’armée qui débarque. En contrepoint, il y a une scène magique de dancing, le père crooner de banlieue, « Everlasting love » de Love Affairs, la mère qui se déhanche, terriblement sexy.

Kenneth Branagh livre un film personnel, nourri d’anecdotes et de souvenirs, l’enrobe d’une mise en scène techniquement irréprochable mais sans doute trop lisse, avec une distribution épatante, Ciarán Hinds et Judi Dench en grand parents, jamais niais, et une bande son du tonnerre grâce au barde Morrison.

Noir et blanc (et couleur)  -  1h40  -  format 1.1:85

4 commentaires:

  1. Magani Magani...ouilles...Magnani!

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  2. Mais oui, LA Magnani, mon clavier a ripé. Merci à toi.

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    1. Ok. Pour ouilles, t'as oublié le a entre le u et le i. A moins que ce ne soit le c au début?...

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  3. Décidément, pas très sérieux tout ça, j'aurais écrit "fidèles" cela aurait été plus simple. Merci de ta relecture, je pense te prendre en CDD...

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