jeudi 7 avril 2022

ROBERT PLANT & ALISON KRAUSS "Raise of roof" (2021) par Benjamin

Il fut le viking du hard blues, une sorte de dieu grec nous faisant voyager sur «  ces terres de neige et de glace ». Led Zeppelin  n’était pas seulement un groupe, c’était un mythe, quatre mages dont la virtuosité formait un cinquième élément. Le Zeppelin se posa sur les terres du blues et du folk, du funk et d’un certain progressisme musical. Les conquêtes de ces valeureux mages ne se firent pas sans résistance, la critique tirant sur tout ce qui sortait des chemins balisés par ses deux premiers albums. Mais la bave de ces pisseurs d’encre n’atteignit pas le grand dirigeable, dont la notoriété ne fit que croitre au fil des enregistrements. Vint ensuite les premiers drames, Robert Plant perdit son fils, Jimmy Page tomba dans la coke, John Bonham noya son mal du pays dans l’alcool. Le marteau de dieu, la bête sauvage se déchainant lors de « Moby Dick », cet homme devint progressivement un forçat du rock rongé par l’alcoolisme. Quand il finit par prendre le verre de trop, c’est Led Zeppelin qu’il emporta dans la tombe.

Après cette fin tragique, Robert Plant disparut pendant plusieurs mois. C’était lui qui avait permis à Bonham de rejoindre Led Zeppelin, il avait partagé avec le batteur la dureté du travail à l’usine et les doutes communs aux musiciens peinant à percer. A son retour, Plant fit ce que tout le monde attendait de lui, c’est-à-dire du sous Led zeppelin. Voyant que sa voix légendaire n’était pas encore éteinte, Jimmy Page le regarda avec les yeux de Chimène. Pour le guitariste, le zeppelin de plomb était l’œuvre de sa vie, il ne rêvait que de voir cette vieille machine reconquérir le monde. Il essuya d’abord des refus catégoriques, qu’il prit comme une façon de repousser un événement inéluctable. Puis il y eut cet album, « Fate of nation », qui marqua la naissance d’un Robert Plant plus mature. Cette maturité fut pourtant initiée par « Kashmir », la fresque zeppelinienne qui permit au chanteur de découvrir les attraits des sonorités orientales.

Robert Plant mit ainsi le doigt sur un terrain que son ex-groupe n’eut pas le temps d’explorer, une terre qu’il ne put conquérir. Comme pour rattraper cette erreur, Page et Plant se réunirent enfin pour enregistrer l’excellent « No quarter ». Le public vit dans cette œuvre le premier pas vers une reformation tant attendue, alors que Plant en fit une façon de boucler la boucle. Déçus par ce faux espoir, les amateurs de hard blues n’accordèrent que peu d’intérêt à la carrière solo du conquérant blond. Viendra un jour, quand le souvenir du zeppelin sera un peu moins vivace, où l’on célébrera l’inventivité sonore de disques tels que « Fate of nation », « Band of joy » et « Raising sand ». Ce dernier est d’ailleurs un des rares albums post Zeppelin à avoir obtenu un accueil chaleureux, il fut d’ailleurs récompensé par un Grammy.

Près de quinze ans après, Robert Plant retrouve donc Alisson Kraus pour enregistrer ce trop peu attendu « Raise the roof ». Dans les quelques interviews qu’il accorde en ce moment pour promouvoir ce dernier enregistrement, Plant décrit parfaitement la démarche du duo. Piochant dans leurs cultures musicales respectives, les musiciens ressortent des standards qui marquèrent leur œuvre. Sans surprise, Plant prouve ici qu’il fut d’abord un disciple du blues, que ce mojo fut plus important pour lui que la puissance de son chant. L’homme refuse de devenir, comme tant de musiciens de sa génération, un lamentable sosie de ce qu’il fut. Il ne veut pas qu’après un de ses concerts, les vieux nostalgiques affirment avec un mélange d’admiration et de pitié « il n’est plus tout jeune mais il tient encore la route ». Il prend désormais le temps de laisser résonner ses mots, les susurre presque sur des ballades telles que « Quatro word drift in ».

Sur ce titre d’ouverture, il redevient le jeune hippie fan de Love, sa voix méditative semble inspirée par la douce nostalgie de « Forever changes ». Pour compléter le tableau, Alisson Krauss chante comme les plus fascinantes sirènes Californiennes. Le temps de quelques mélodies, elle devient la fille spirituelle de Grace Slick et Joan Baez, elle ressuscite une innocence assassinée par les drames de 1969. On reste dans le même registre sur « Price of love », country envoutante digne des meilleurs albums des Sensational space shifter. « Go your way » est d’ailleurs un folk qui aurait pu figurer sur le très bon « Carry Fire ».

Arrive ensuite ces moments où nos deux chanteurs sortent de leurs rêveries bucoliques pour visiter la musique maudite de Chicago. Sur « Trouble with my lover », le vieux mojo entretient une procession chamanique nourrie par la psalmodie du duo Krauss / Plant. « Searching with my lover » est un folk rock plus quelconque, une bluette que la belle performance de Plant empêche de tomber dans la banalité. Vient ensuite le grand titre de cet album, l’entrainant « Don’t let go ». Plus épuré que la version spectaculaire de Beth Hart et Joe Bonamassa, ce blues déploie ici une énergie toute en retenue, un mélange de classe et d’enthousiasme qui définit bien ce « Raise the roof ». Le riff et la rythmique caverneuse semblent sortis d’un disque de Robert Johnson, c’est une tradition que le duo se contente de sublimer de son timbre mélodieux. Les titres les plus doux, comme « I don’t bother me » ou « My heart would know » conviennent parfaitement au chant délicat et à l’héritage country d’Alisson Krauss, Plant se contentant alors d’entretenir un fascinant écho.

« You led me to the wrong » permet au mage blond de retrouver le registre théâtral qui le fit connaître, de crier tel un vieux misérable du Mississipi. Si certains n’ont pas encore compris que, pour lui, le hard blues fut plus une façon de perpétuer un héritage que la quête d’une plus grande puissance sonore, qu’ils écoutent ce titre et les autres blues de cet album. Alisson Krauss fut bercée par les rêveries bucoliques de la country et du bluegrass, Robert Plant dompta l’énergie urbaine du rock et du blues. Elle le conforte dans son virage mélodieux, il rehausse le tempo de ses harmonies campagnardes. « Raise the roof » n’est pas meilleur que « Raising sand », il en est le prolongement logique et digne. Tout comme les derniers albums solos de Robert Plant sont les dignes successeurs de l’œuvre inoubliable de Led Zeppelin.


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