vendredi 3 décembre 2021

UN FLIC de Jean Pierre Melville (1972) par Luc B.

Troisième et dernière collaboration entre Alain Delon et Jean Pierre Melville, et pour cause, le réalisateur décédera l’année suivante d’une rupture d’anévrisme, au milieu d'un repas et d'un éclat de rire, ce qui n'est pas la plus mauvaise façon de passer l'arme à gauche. Delon considérait Melville comme un deuxième père (voir cet interview surréaliste après la mort du cinéaste où il en parle toujours au présent, évoquant une éventuelle nouvelle collaboration) et pourtant, sur ce tournage Melville a particulièrement été odieux. Le caractère de merde et la misanthropie du réalisateur étaient légendaires, il s’était fait construire un petit bungalow sur le plateau de tournage dont il ne sortait que pour lancer "action", et s’y réfugiait ensuite pour être certain de ne croiser personne. Ambiance.

JP Melville reproduit le même schéma qu’avec Belmondo, il casse son jouet. Sur L’AINE DES FERCHAUX (1963) Melville était tellement odieux avec Charles Vanel, que Belmondo l’avait menacé de lui casser la gueule, l’engueulade est restée célèbre puisqu’enregistrée par les ingénieurs du son. Sur L’ARMÉE DES OMBRES, Melville et Lino Ventura ne se parlaient que par assistant interposé, même dans la même pièce !

LE CERCLE ROUGE [ clic vers l'article ] avait été un succès énorme, et Melville choisit de rester dans le polar pour ce nouveau projet, ce qui lui sera reproché, comme une faiblesse, de faire et refaire toujours le même film. La différence avec LE SAMOURAÏ (1967) et LE CERCLE ROUGE (1970), c’est qu’ici Delon joue le flic. A part ça, on repart sur un schéma connu, gangsters, casse audacieux et silencieux, arrestation et mort des protagonistes.

Alain Delon et Catherine Deneuve à l’affiche devaient créer l’évènement et attirer les foules. Résultat : un million et demi d’entrées, quatre fois moins que LE CERCLE ROUGE,  bof, même si beaucoup s'en contenterait aujourd'hui. Mais surtout une avalanche de critiques négatives, ce que Melville a très mal vécu. Il faut dire que le réalisateur pousse l’abstraction de son style au paroxysme, certains y voient tout bonnement une caricature de lui-même. C’est un film de pure mise en scène, tout romantisme, tout suspens, toute psychologie est volontairement effacée. Le film le plus chiant de l’année 1972.

On ne sait pas ce qui relie les personnages, le trio Coleman, Simon, Cathy, les articulations du récit policier grincent de partout, la fin glaçante et désabusée laisse perplexe. Deneuve ne fait que le minimum syndical, cinq minutes en fourrure et brushing impeccable, l’apollon Delon est maquillé en cadavre, il ouvre à peine le bec « allo, oui, où ça ? J’arrive… ». Paradoxalement c’est l’acteur américain Richard Crenna (le futur colonel Trautman de RAMBO) qui reçoit les suffrages.

Bref, un accident industriel. Donc pourquoi perdre mon temps, et le vôtre, à causer de UN FLIC ? Because ce que j’ai écrit plus haut : c’est un film de pure mise en scène, et là, Melville fait très fort.

La première séquence est d’anthologie, réplique du premier travelling d'ouverture de LE DOULOSReggiani arpentait une rue. Ici une grosse berline américaine qui longe le littoral (tournage à St Jean de Monts). Le soir tombe, il pleut, il vente, l’image est bleu acier, les lampadaires tracent une ligne de fuite entre l’océan d’un côté et les immeubles de l’autre, des blocs géométriques froids, inhumains. Et au loin cette inscription lumineuse faiblarde : une agence BNP.  

La voiture s’arrête, trois types en imper et borsalino en descendent, entrent dans la banque, dévalisent les coffres. Un caissier joue au con, tire sur un des gangsters (André Pousse) qui l’abat en retour. Une contrariété qui ne doit pas modifier les plans : repartir en voiture, enterrer le fric, déposer le blessé à l'hosto, repartir sur Paris en train, reprendre sa vie normale. Le chef de la bande s’appelle Simon (Richard Crenna) il est proprio d’une boite de nuit.  

Melville ressasse son obsession pour les figures du polar américain, il ne filme pas des hommes, mais des silhouettes, des pions qu’il déplace sur son échiquier, chacun dans sa case.

Le commissaire Edouard Coleman est un type froid, mélancolique. Voir la scène au club où il joue du piano, très cliché, mais chez Melville on trouvera toujours un club avec une scène de jazz, et des danseuses qui lèvent la gambette. C’est là qu’on voit Deneuve pour la première fois - plan sublime - sortant de l’ombre, le chignon impeccable, si belle. Échange de regards, esquisse de sourires. Puis Simon surgit, et on croit comprendre que ces trois-là se connaissent. Amis, ex-amants ? On n’en saura pas plus.

Melville écrivait ses scénarios d'après des canevas. Il avait répertorié 10 situations qui convenaient au polar. Un voyou + un indic (LE DOULOS), flic + voyou (LE DEUXIEME SOUFFLE) deux voyous + un flic (LE CERCLE ROUGE). Ici on a un trio, le flic + le voyou + la femme.

Edouard Coleman est un taiseux. Melville nous le présente dans trois courtes situations. Une pute assassinée dans un hôtel sordide (champ/contre champs des visages cadavre/flic, Melville filme des masques) chez un bourgeois pédéraste aux prises avec son micheton (Jean Desailly, décor baroque), trois ritals chopés à Orly. Son univers, c’est la nuit, les meurtres, les toxicos, les déglingués. Face à un suspect, Coleman reste calme, rigide, exige des réponses « tu vas me répondre, tout de suite », retire sa montre méticuleusement, foudroie de son regard acier, et gifle. Delon ne se départ pas de son masque de cire, comme plus tard dans MONSIEUR KLEIN de Losey.

Parmi ses indics, il y a Gaby, la pute de luxe en fourrure. En réalité un travelo que Coleman rabaissera d’un « Vas te rhabiller en homme, connard » quand son tuyau s’avérera percé. Leurs rencontres ressemblent à des rendez-vous galants dans les beaux quartiers, la Buick glisse silencieusement le long des boulevards filmée en travelling élégants. Le geste pur.

C’est Gaby qui le met au courant d’un coup fameux en préparation, l’acheminement sur Paris de deux valises d’héroïne par le train. Simon est aussi sur le coup. Il raflera la marchandise au cours d’un hold-up rocambolesque. Une longue séquence muette, comme le casse du CERCLE ROUGE, ou comme DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES (Jules Dassin, 1955). Melville filme le geste assuré, celui du professionnel. Cette séquence a beaucoup fait parler, car Melville utilise des maquettes de train et d’hélicoptère - Simon descendant en treuil sur le toit du wagon.

Dans L’ARMÉE DES OMBRES il y avait déjà un plan d'avion qui décolle, réalisé avec une maquette. Mais ici, ça dure 10 minutes ! C’est soit grotesque soit anachronique (Hitchcock utilisait des petits trains électriques dans ses premiers films) soit un choix assumé, le côté artisan de Melville qui réalisait tous ses films dans ses propres studios de la rue Jenner, utilisant de films en films les mêmes escaliers, bureaux, un coup d'peinture et hop, ni vu ni reconnu j'tembrouille... soit pour s'éviter des dépenses astronomiques et un tournage en extérieur difficile. 

La réalisation du coup peut aussi faire sourire, Simon marquant au crayon blanc sur la porte du compartiment à dévaliser l’emplacement de loquet intérieur, qu’il manipule de l’extérieur avec un gros aimant, le type fer à cheval comme dans les Tex Avery. L’arrivée du contrôleur, alors que Simon s’apprête à remonter dans l’hélico, est elle aussi dépourvue de tout suspens, plus que jamais Melville s’inscrit dans la lignée de Robert Bresson, le refus de l’émotion.

A part être (très) belle et silencieuse, Deneuve ne brille pas particulièrement, elle n’a droit qu’à une courte scène où elle trucide un complice, déguisée en infirmière. On la revoit dans la scène finale, où le trio flic/voyou/la poule est réuni pour l’ultime confrontation, un dénouement à l’austérité janséniste, avec cette réplique « tu ne crois pas que tu as tiré un peu trop vite ? ». On comprend que Coleman veut éviter à son ami le même sort que son complice Paul Weber, qui se suicide avant l’arrivée des flics. Le dernier plan montre Delon en voiture, le regard fixé dans le vide, comme il a été filmé depuis le début, visage blafard sans expression.

UN FLIC laisse désemparé, on aurait aimé qu’il fût le testament crépusculaire de son auteur, c’est un film qu’on préfère oublier pudiquement. Il y a pourtant dans cette réalisation froide, méthodique, artisanal, un aspect fascinant, une fabrication exemplaire, de la lumière aux décors, de l’utilisation parcimonieuse de la musique aux mouvements de caméra millimétrés. Jean Pierre Melville épure son style jusqu’à l’abstraction, comme un dessin en ligne claire, le désosse de tout ce qui ne lui parait pas essentiel.

Au même moment, son grand rival au box-office Henri Verneuil triomphait aussi avec la paire d'as Delon / Belmondo, LE CLAN DES SICILIENS pour l'un (le 747 qui atterrit sur l'autoroute était un vrai, lui !) LE CASSE pour l'autre, en faisant tout l’inverse, sur-filmant sans cesse, misant sur la surenchère d’action et de morceaux de bravoure. UN FLIC est plus proche de THÉRÈSE d'Alain Cavalier, que de PEUR SUR LA VILLE ! On choisira son camp, ou pas.

couleur  -  1h35  -  format 1.1:85  


3 commentaires:

  1. Moi, je ne choisis pas mon camp. Melville m'a toujours laissé indifférent et froid (Le Doulos : hommage lèche-cul au Film Noir; Le Cercle Rouge : son meilleur certainement grâce à un casting de rêve; Bob Le Flambeur : comme pour le Doulos et Un Flic : une épave ce film que j'ai vu tout récemment à la téloche, la 5 ou Arte). En tout cas, tu le défends bien pour un film qui t'a soi-disant désemparé et t'a fait chier. Mais bravo, tu fais dans la nuance et ça, c'est rare ! Moi, il m'a fait plus que chier ce film : il m'a fait gerber. Même si la scène du début, comme tu le décrit, est plutôt réussie et suscite l'intérêt. Pour le reste, c'est du sous-William Friedkin. Par contre, j'ignorais tout de sa misogynie et le fait qu'il s'enfermait dans son bungalow pour ne pas avoir à parler à qui que ce soit. Ce ne devait pas être drôle de bosser avec lui, c'est le moins qu'on puisse dire.
    freddiefreejazz

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  2. Comme tu y vas ! J'adore le Doulos, très référencé effectivement, et Le Deuxième Souffle est un des meilleurs polars français, qui a ses aficionados à chaque coin du globe ! Du sous Friedkin, euh... Melville réalisait son dernier film quand Friedkin n'en avait fait que deux ! Bob Le Flambeur a de belles qualités aussi, la fin est superbe.

    Un Flic laisse désemparé, oui, Le cercle Rouge est lui aussi très lent, mais cultive plus de suspens, de scène d'action, il est plus populaire.

    Je revois toujours avec plaisir les films de Verneuil, il savait faire de l'image aussi, mais dès qu'il avaot des stars à l'écran, je trouve qu'il misait plus sur elles que sur sa mise en scène, qui servait son casting (surtout avec Belmondo). Verneuil allait dans le toujours plus, quand Melville allait dans le toujours moins. Less is more !

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  3. Je me demande si je l'ai déjà vu ... je crois, mais il ne m'a laissé aucun souvenir... certainement pour toutes les raisons que tu cites, il a pas bonne presse...

    freddie, t'y vas un peu fort avec le Jean-Pierre. Et tu oublies Le samouraï qui est pour moi son meilleur, et un des deux ou trois meilleurs de Delon (après sa période italienne) avec Mr Klein et Plein soleil... Melville, c'est une référence pour la nouvelle vague (son apparition dans A bout de souffle) ... Après, même lui jouait son rôle, c'était un petit bourgeois qui aimait fréquenter la canaille et même les gros truands, et un caractère de cochon (pour rester poli et bien élevé)

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