vendredi 3 septembre 2021

BAC NORD de Cédric Jimenez (2021) par Luc B. comme Bac

Le hasard fait parfois bien les choses. Une semaine après vous avoir entretenu de LA LOI DE TÉHÉRAN [clic ici] voici celle de Marseille. Flics des stups, indics, petits poissons, caïd, et vlan, le bureau du juge. Sauf que la différence de traitement (de talent ?) ce qu’on appelle l’angle, ou le regard du metteur en scène, n'est pas le même. A TÉHÉRAN il y avait sous le thriller la vision d'une société malade, une dimension sociale, de classe. A Marseille, ce sont les flics qui sont malades. 

Autre hasard (malheureux) le film sort la semaine où, à Marseille, un effroyable fait divers a fait la une, un règlement de compte entre dealers soldé par des morts, dont un type retrouvé cramé à vif dans le coffre d’une voiture. Les amateurs de polars, ou ceux qui ont vu la saison 2 de (l’excellente) série ENGRENAGES, en 2008, n’ont pas été surpris par ce qu’on appelle dans le milieu un barbecue, et que nos éditorialistes préférés semblaient découvrir, horrifiés.

Le film part d’une affaire réelle, en 2012, celle de flics qui ont passé la ligne jaune, seul moyen de boucler une enquête dont leur hiérarchie, jusqu’au préfet, réclamait qu’elle fût promptement menée. Cédric Jimenez reprend à la fin les bandes d’actualité de l’époque (vous vous souveniez de Manuel Valls ?!). Donc pourquoi ces précautions au générique sur le mode les personnages sont fictifs… bla bla bla, assumes mon grand !  Yves Boisset y aurait été direct !

Certains critiques ont mis en avant le fait que le film sortait alors que l’instruction de l’affaire réelle était encore en cours. Mais le cinéma est aussi là pour s’approprier le réel, rendre compte de l’état d’un pays, à l’instant T, ici d’une corporation. BAC NORD a été écrit et réalisé en 2019, et pandémie oblige, ne sort que deux ans plus tard, alors que les protagonistes qui ont inspiré l’intrigue font appel du premier procès. Le réalisateur Cédric Jimenez ne peut pas être taxé d’influencer un jugement, même si sa thèse (son regard) semble conforme à celle des juges.

D’autres critiques vilipendaient le réalisateur pour avoir pris parti pour ses policiers, des personnages à qui il donne un visage humain, une vie, une famille, alors que les méchants dealers sont représentés comme une horde de guerriers anonymes, des figures masquées, désincarnées. C'est un parti-pris que j’aime bien, on se croirait dans MAD MAX et cela renforce cette idée de multitude, d'avoir affaire à un ennemi interchangeable, aussitôt coffré, aussitôt remplacé. Le film de Jimenez est avant tout un film d’action, certes ancré dans une réalité politique, mais le but est de produire de la pellicule testostéronée.

L’inverse de LES MISÉRABLES de Ladj Ly, auquel on pense beaucoup. Scène commune où un flic Yassine se retrouve pris au piège, cerné, dans une cage d’escalier. En comparant les deux films, on voit bien l’importance du regard d’un réalisateur, de quel côté se place la caméra, les victimes d’un système défaillant chez l’un, les représentants de l’ordre républicain impuissants chez l’autre. En réalité, Cédric Jimenez se placerait plutôt aux côtés du Ridley Scott de AMERICAN GANGSTER, là aussi une longue séquence en commun, ou d’un William Friedkin. Des références américaines pour un western urbain d’une efficacité redoutable. Déjà dans LA FRENCH (2014, avec aussi Gilles Lellouche, et Marseille) on sentait Jimenez flirter avec le film-dossier US 70’s, et HHhH (2017) était en langue anglaise.

BAC NORD raconte le quotidien de trois flics à qui on demande de faire du chiffre. Des arrestations. De la quantité, pas de la qualité. Le film montre de manière crue ces zones de non-droit, ces cités gangrenées par le trafic, des quartiers organisés et gérés par les trafiquants, qui y règnent en seigneurs du château, filtrant les entrées. Chaque opération menée se solde par un échec, les policiers sont impuissants à pénétrer ces forteresses armées, sous peine de déclencher un carnage, repartent humiliés, aigris, alpaguer des vendeurs de tortues sur le marché…

Mais après une vidéo virale sur Internet montrant un jeune gamin malmené par des trafiquants, c’est l’émoi dans les hautes sphères. Le préfet ordonne de taper un grand coup. Pour être renseigné il faut infiltrer des indics, et les payer. En dope. Le commissaire refuse au trio d’utiliser la drogue mise sous scellé, ils devront se débrouiller pour réunir plusieurs kilos de shit. Qu’ils appellent une collecte. C’est sur cet aspect qu’ils seront accusés de trafic en bande organisée.

C’est là où le film est le meilleur, dans la mise au point et l’exécution du plan. Car les personnages en eux-mêmes sont assez stéréotypés (l’aîné bourru au grand coeur, le jeune chien-fou, le fraîchement papa) et dans la dernière partie, le réalisateur va au plus simple, là où on l'attend. Dommage de n’avoir pas traité les séquences carcérales avec plus de finesse et d’écriture, il y avait matière à un huis-clos sous tension, une autre tension, plus psychologique. De même que l'affrontement ultra classique entre policiers et IGPN (les boeufs-carottes), les vrais flics d'un côté qui en chient, les cols blancs le cul collé à la fauteuil de l'autre. 

Par contre, les scènes d’action sont assez bluffantes, poursuites en bagnoles, scooter, à pied (merci Friedkin) sans non plus tomber dans la cascade virevoltante, comme chez Besson. Et donc, l’opération menée dans le quartier général des dealers, c’est l’ADN du film, il ne fallait pas la rater. Jimenez nous accroche littéralement, son film est tendu, nerveux.

Les acteurs Gilles Lellouche, François Civil et Karin Leklou font le job, les seconds rôles sont moins développés, notamment la jeune indic Amel, jouée par Kenza Fortas, formidable et craquante, ou la femme de Yassine jouée par Adèle Exarchopoulos, qui n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent.

Sur certains aspects BAC NORD épate, les boulons sont bien serrés, le montage est percutant, de l’action, du solide, ras le bitume. Un sujet qu’un Jacques Audiard aurait pu transcender, on pense parfois à DHEEPAN. Cédric Jimenez n’a que quatre films au compteur, il n’a pas encore une identité visuelle, mais laissons-le mûrir…

Son prochain film revient sur la traque des auteurs des attentats du 13 novembre, il va falloir la jouer fine…


couleur  -  1h45  -  scope 2.35

8 commentaires:

  1. Coup de tonnerre dans le Landernau du cinéma français : "Bac Nord" "ferait le jeu" de "l'extrême-droite" (il y a pourtant Lellouche et Exarchopoulos, entre autres, à l'affiche) et ça, c'est vraiment pas bien, pas bien du tout ! Je ne vais rien dire, il vaut mieux. Ah si, un truc quand même : c'est MANUEL Valls. Mais enfin, le confondre avec un autre Emmanuel n'a rien d'infamant puisque ce sont les mêmes...

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    1. C’est curieux, chez les anonymes , ce besoin de faire des phrases…

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    2. Vous portez bien votre pseudo (ce qui revient au même que l'anonymat)...
      Ce Lellouche qui s'était fendu d'un "sac à m...." à l'encontre de Nicolas Dupont-Aignan en 2017 et c'était "passé crème"... Il faut dire que ce dernier avait commis l'irréparable : enfreindre le "cordon sanitaire", la règle du jeu imposée par le "mythe errant" à partir de 83-84 (je divise la droite - et les classes populaires ! - en faisant la promotion d'un parti ultra-minoritaire puis je lui interdis pour raisons "morales" de s'allier avec ce parti, ainsi la gauche - qui elle peut s'allier à l'extrême-gauche sans souci - gagne tout le temps alors qu'elle est minoritaire)...

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  2. Manuel, exact ! je corrige...

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  3. Vu de bonnes critiques à l'époque où il devait initialement sortir, avant je ne sais plus quelle vague de covid ...
    Et puis maintenant il fait le buzz parce que toute la fachosphère (de marine la peine au torchon "valeurs (?) actuelles (??)", jusqu'à l'anonyme de service qui me rappelle étrangement quelqu'un, le monde est bien petit ...) ils recommandent tous d'aller le voir ...
    Cependant je vois mal Lellouche se la jouer Dirty Harry ou Broson justicier dans la ville ...
    Faut en penser quoi par rapport au film de cette récup M'sieur Luc ?

    Sinon, entendu hier soir la responsable du service culture de BFM Tv (si, si, y'en a une, même plusieurs), à propos of course de Belmondo : "l'inoubliable partenaire de Jean Seberg dans Pierrot le Fou" ...

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  4. Il est certain que le parti pris du film donne raison à certains discours politiques sur les fameuses "zones de non droit", la république perdu à jamais, aux mains des truands, des dealers... Le film reflète une réalité de terrain. Y'a une scène où les trois flics poursuivent une voiture, qui entre dans une résidence, aussitôt les p'tits voyous montent un barrage de caddies, chaises, bloquent les flics. Long face à face entre Lellouche et le petit caïd sur le thème : "Pour rentrer faudra nous passer dessus. Vous êtes 3 nous sommes 15. Tu vas faire quoi, nous tuer tous ?". Lellouche repart la queue entre les jambes, les autres se marrent.

    Autre scène où ils se font braquer pour des dealers, car ils gênent le commerce. Lellouche laisse pisser, garde son sang froid. François Civil, lui, ne pige pas l'attitude du chef de groupe. Un seul type tire le premier, et c'est un carnage.

    D'un autre côté, si on veut une république irréprochable, la police et la justice doivent être irréprochables. Or le film montre aussi comment ces trois policiers ont passé la ligne blanche, ont consciemment travaillé "hors la loi". Parce qu'ils n'avaient pas le choix. Je pense que le réalisateur condamne moins ce dérapage (il s'en accommode) que la responsabilité de leur hiérarchie. La politique du chiffre, expression entendu sous Sarkozy, et aujourd'hui Darmanin. Les chiffres, les stats, mais aucun résultat probant au long terme. Pour moi le film montre ce décalage entre le discours officiel, politique et la réalité de terrain, les moyens, les effectifs réduits (souvenons-nous de L 627 de Tavernier y'a 30 ans !!).

    je ne crois pas que ce soit un film putassier, Jimenez a voulu faire un film d'action, efficace, sur un sujet devenu deux ans plus tard ultra sensible (film réalisé en 2019), et donc très (trop ?) facilement récupérable.

    **********************

    Et cette brave Sandrine Rousseau qui a tweeté : "RIP à Jean Pierre Belmondo (sic) qui a raté sa dernière cascade" (re-sic).

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  5. Comme j'ai avalé un clown ce matin, je fais profiter:
    Entendu sur France Inter( Guillaume Meurisse je crois): Intervention d'une parisienne sur le problème de la drogue à Marseille: "Je comprends pas pourquoi ils se droguent, ils ont le soleil, un arrière pays magnifique, ils ont la mer...ils ont qu'a apprendre à nager!"
    Akhenaton en invité: "il y a 57 % de salariés qui sont fonctionnaires à Marseille, je suis pas loin de la vérité".
    Meurisse: "Pas loin de la vérité, mais c'est faux. C'est comme si vous entendiez que tous les fonctionnaires à Marseille sont musulmans, c'est que vous êtes sur C News"...

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  6. Pas mal ! Je répondrais à cette dame qu'on peut parfaitement se droguer dans un beau pays plein de soleil en allant plonger une tête dans la mer, ce n'est pas incompatible.

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