vendredi 21 mai 2021

LE TRESOR DE LA SIERRA MADRE de John Huston (1948) par Luc B. comme Bogart

John Huston. Le gars se pose-là. Un colosse d'1,90m, visage taillé à la serpe, une grande gueule. Il a fait un peu l’acteur aussi (photo à gauche), c’est lui le papa incestueux de CHINATOWN de Polanski. Un beau gosier raffiné aux cigares et alcools forts, il ne pouvait que s’entendre avec Humphrey Bogart, quatre films ensemble. Vous connaissez l’histoire à propos du tournage d’AFRICAN QUEEN : les seuls de l’équipe à ne pas avoir choper la malaria ou la dysenterie sont Huston et Bogart qui carburaient uniquement au whisky !

Transition abrupte sur son CV, il passe des rings de boxe (champion amateur de Californie) à scénariste hollywoodien au début des années 30, et passe derrière la caméra en 1941 avec LE FAUCON MALTAIS, labellisé premier film de détective, d'après Dashiell Hammett. Suivront une cinquantaine de films, des Noir comme KEY LARGO (1948) QUAND LA VILLE DORT (1950), FAT CITY (1972), western avec LE VENT ET LA PLAINE (1960 - clic ici - ), les drames LES DÉSAXÉS (1961, dont on reparlera bientôt), LA NUIT DE L’IGUANE (1964), REFLET DANS UN ŒIL D’OR (1967), LES GENS DE DUBLIN (1987, dernier film). On lui doit aussi ce truc improbable, A NOUS LA VICTOIRE (1981) avec Stallone en footballeur dans un camp nazi…

Mais ce que kiffe John Huston, c’est l’aventure. Le film de Clint Eastwood CHASSEUR BLANC, CŒUR NOIR (1990) s’inspire du tournage d’AFRICAN QUEEN, Eastwood s’y faisant la tête de Huston pour interpréter le rôle d’un réalisateur plus occupé à chasser le gros gibier qu’à tourner un film. Outre l’épatant AFRICAN QUEEN (1951), Huston réalise LES RACINES DU CIEL (1958), MOBY DICK (1956), L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI (1975), et donc LE TRESOR DE LA SIERRA MADRE, son premier film de l’après-guerre, pendant laquelle il était documentariste.

Huston écrit le scénario à partir du roman de B. Traven. Ecrivain anarchiste et libertaire allemand qui se planqua toute sa vie derrière des pseudonymes, personne n’a réellement su qui était ce type. Grand admirateur, Huston lui envoie le scénario, demande des conseils, Traven ayant passé plusieurs années au Mexique. Ils échangent par courrier. Puis débarque sur le tournage un certain Hal Croves, traducteur de son état, envoyé par Traven et engagé illico comme consultant. Dans ses mémoires, Huston soupçonne fortement Croves d’être en réalité B. Traven !

L’histoire commence à Tampico, au Mexique, en 1925. Fred Dobbs (Bogart) y traîne ses loques et sa misère, quémandant quelques pièces aux touristes, dont un grand gars en costard blanc qu’il tape trois fois, joué par Huston lui-même. Dobbs rencontre Curtin (Tim Holt) qui végète tout autant, ensemble ils sont recrutés par un contremaître véreux, Pat McCormick, qui les escroque. Le règlement de compte entre ces trois-là dans un troquet vaut son pesant de castagne, ça tape très fort. Dans un refuge de nuit, Dobbs et Curtin croisent un vieux prospecteur, Howard (Walter Huston, le père du fils) qu’ils persuadent de s’associer à eux pour aller en montage chercher de l’or.

Comme dans le FAUCON MALTAIS, on a un trio qui convoite un trésor. C’est le grand thème qui traverse les films de Huston. La quête d’une statuette d’oiseau dans LE FAUCON, une banque à braquer dans QUAND LA VILLE DORT, la chasse à la baleine blanche dans MOBY DICK, le pouvoir dans L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI, et à chaque fois cela va mal tourner. Comme cet idiot d’Icare qui rêvait d’atteindre le soleil et s’y est brûlé le croupion.  

Les motivations des personnages diffèrent. Dobbs cherche à être riche pour prendre sa revanche contre une société dont il est exclu. C’est un sanguin. Son rêve c'est « aller chez le coiffeur, s’acheter le plus beau costume, entrer dans le restaurant le plus chic et commander tous les plats du menu, pour les refuser, payer, et se barrer ». Il faut voir Bogart sortant de chez le coupe-tif avec la même tête que Jugnot dans LES BRONZES* la nuque bien dégagée !

Curtin, plus posé, plus jeune, vise le long terme, l’argent lui permettra d’avoir une vie paisible, acheter un ranch, y vivre avec femme et enfants. Howard s’intéresse moins à l’or qu’à l’aventure qui y mène. Crapahuter dans le désert est source de jouvence, c'est un épicurien de l'aventure, il faut le voir danser et s’esclaffer quand il trouve le filon.  

Les voilà partis. Le train qui les transporte est attaqué par des bandits. Quelques années après la révolution mexicaine, le pays pullulait de traîne-savate qui volaient, tuaient, pillaient, pourchassés par les Fédérales (milices militaires à la solde de l'Etat). Huston n’oublie pas ce contexte. Le chef des bandits s’appelle Gold Hat, aux allures lui aussi de clodos, le sombrero troué, on va le retrouver trois fois dans le film, comme un destin funeste qui s’accroche à ses proies. Ils cerneront le campement des prospecteurs pour voler un fusil et trois cartouches, c’est pathétique.

Très vite l’harmonie du trio va voler en éclat. Howard a une philosophie : on se fixe une limite, 25 000 dollars d’or, et on rentre. Dobbs veut placer la barre plus haut et demande : « Est-ce qu’on met l’or en commun et on partage le fric ensuite, ou est-ce qu’on prospecte pour son propre compte ? ». C’est le premier accroc. Huston filme en gros plan la balance qui sert au partage, les regards avides, et la suspicion qui gangrène.

On instaure des tours de garde, la nuit, Dobbs suspecte rapidement ses compères (la scène du lézard sous la pierre, où il planquait sa réserve), la tension monte entre lui et Curtin qui lui a pourtant sauvé la vie lors de l’éboulement de la mine, « ne me traite jamais de vorace ! », il maugrée, soliloque, commence à parler à ses mules, plus tard à un cadavre, il sombre dans la paranoïa. Humphrey Bogart y trouve là un de ses plus grands rôles, le rictus rapace, les yeux fous, et soudain le sourire enjôleur sous une tignasse ébouriffée, le cuir du visage tanné par le soleil.

Deux moments de grâce traversent le film. Des indiens arrivent au camp et réclament de l’aide pour un gamin noyé qui ne reprend pas connaissance. Howard réanime le petit corps, longuement, le plan dure, il devient un héros, contraint par superstition de rester avec la tribu. On retrouve ce schéma dans L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI, où Sean Connery passait pour un dieu parce qu’une flèche en plein cœur l’avait épargné, et profitait de la naïveté de ses hôtes pour être traité comme un pape.

Autre moment lorsque Curtin ramène un certain Cody au campement, qui veut être associé à leurs projets. Dobbs est partisan de l’éliminer. On retrouvera sur lui une lettre de sa femme, qu’ils vont lire, presque émus. Une étincelle de conscience ? Pas sûr. Lors de ce plan de nuit, où les flammes du feu emplissent soudainement l’écran comme l’enfer monte sur Terre, Dobbs dira : « La conscience, si on en a, ça pose des problèmes. Si on n’en a pas, on n’en a plus rien à foutre de rien ». Une morale de vie comme une autre…

Huston a essentiellement filmé en extérieur, un des premiers tournages hollywoodiens expatriés à l’étranger, mais avec quelques ajouts en studio. Je pense à la scène de nuit où Bogart est aux abois, en proie à l'angoisse, et l’éclairage contrasté qui reprend le style du Film Noir.

La fin est d’une ironie mordante, comme souvent chez Huston, la fatalité ne semble pas épargner Dobbs, qui boit la même eau trouble que ses mules, dans un décor de ruines. La tempête de sable qui se lève entraîne avec elle les derniers rêves des aventuriers. Curtin et Howard finissent dans un immense éclat de rire. Mieux vaut en rire que d’avoir à en pleurer. Huston conclut avec ce dernier plan d’un sac accroché à un cactus. Moralité : les rêves de grandeur, qui s’y frotte, s’y pique.

LE TRÉSOR DE LA SIERRA MADRE est un classique du film d’aventures, les schémas ont été maintes fois repris, le film a reçu trois oscars : scénario et mise en scène pour Huston fils, interprétation pour Huston père. Ca reste en famille. Il n'y a pas encore chez Huston, de grands mouvements d'appareil, rien de démonstratif, le cadre est juste, belle profondeur de champ, pas plus pas moins, c'est finalement assez académique, mais prenant. Walter Huston fait une composition mémorable, avec un débit de parole à la mitraillette, philosophe et goguenard, écolo avant l’heure : « il faut réparer la montagne après l’avoir creusée » intime-t-il a ses coéquipiers. Il rappelle l’acteur Walter Brennan, le vieil adjoint boiteux de RIO BRAVO. Toute l'interprétation est d'une justesse folle, Tim Holt qu’on avait vu dans LA SPLENDEUR DES AMBERSON (Orson Welles, 1942) apporte une belle épaisseur à son personnage. Et Bogart confessait n'avoir jamais été si heureux de jouer un tel salopard.

* où l'on se souviendra que Jugnot et Bogart furent associés dans un même paragraphe...



N&B  -  2h05  -  format 1 :1.33

Ce n'est pas la bande annonce d'origine, une "re-création", mais pas mal du tout, et de bonne qualité :

 


2 commentaires:

  1. Dans mes souvenirs, c'est un chef-d'oeuvre, mais en te lisant, je m'aperçois qu'il y a bien des choses que j'ai oubliées ....
    C'est bien dans celui-ci (et pas dans "autant en emporte le vent") que la poudre d'or finit dans le sable du désert ?
    Sinon je me souviens de ce réalisme crasseux des personnages, hirsutes, sales, en sueur, de la grosse performance d'acteur de Bogart et du vieux Huston ...
    Un film sur la vanité et la cupidité ...
    J'avais vu ce film comme un descendant des "Rapaces" (Greed en VO) de Von Stroheim, une interminable (3 ou 4 heures bon poids si c'est pas plus) mais colossale fresque des années 20 qui exposait les mêmes thématiques, avec en plus une histoire de jalousie familiale si j'ai bonne mémoire et un final apocalyptique dans le désert ...

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  2. Oui, pour la poudre d'or. Les bandits mexicains prennent ça pour du sable, et s'en débarrassent, ce qu'ils veulent c'est les mules de Bogart. Tout ça pour ça... Les rapaces j'avais été voir ça au cinéma, mais une version raccourcie il me semble, comme souvent avec Stroheim.

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