vendredi 26 mars 2021

ELMER GANTRY, LE CHARLATAN (1960) de Richard Brooks, par Luc B.

J’avais déjà évoqué il y a peu le cinéaste Richard Brooks à propos de LORD JIM - clic ici - remettons-en une seconde couche avec ELMER GANTRY LE CHARLATAN. Le film sort en 1960 et rafle trois oscars : scénario pour Brooks, second rôle féminin pour Shirley Jones et premier rôle masculin pour Burt Lancaster. Il faut dire que l’acteur y est ébouriffant, tonitruant, on ne voit que lui aux quatre coins de l'écran, le film repose sur ses larges épaules et son non moins large sourire Pepsodent. Comment ça il en fait des tonnes ? Sans doute, mais parfaitement raccord avec son personnage.

Celui d’Elmer Gantry, colporteur au bagout incroyable, il arriverait à vendre une caisse de whisky à un préfet de police en pleine prohibition. Le premier plan montre une crèche de Noël, puis un travelling arrière recadre la scène : nous sommes dans un bar peuplé de soiffards. Un premier plan qui résume à lui seul l’esprit et le thème du film. Richard Brooks (photo du haut : Lancaster, Brooks, S.Jones) qui s’est souvent inspiré de thèmes sociaux, la délinquance dans GRAINE DE VIOLENCE, l’indépendance de la presse dans BAS LES MASQUES, la peine de mort dans DE SANG FROID, s’attaque ici au revivalisme, à l’évangélisation des masses. Le superbe générique nous en avait donné un aperçu, très graphique (dans le style du concepteur Saul Bass) avec cette croix dont l’ombre devient de plus en plus écrasante.

Deux bonnes sœurs entrent dans le rade, une corbeille à la main. Pour les bonnes oeuvres. Les clients avares piquent du nez dans leurs chopes, mais Gantry, moins par charité chrétienne que par défi, se lance dans un formidable sermon, un numéro de bonimenteur jouissif pour faire cracher les autres au bassinet : « Jésus aurait été le meilleur quarterback ! », « Jésus aurait prêché dans les bars clandestins » et ces dames repartent les poches remplies de dollars. « T’aurais dû être pasteur ! » lance un gars à Elmer. Sans le sou, il quitte la ville, monte dans un wagon de marchandise, manque de s’y faire dévaliser, et trouve refuge dans une église.

Scène étonnante, il se retrouve le seul blanc dans une communauté noire, et là encore, s’époumonant sur un gospel, rallie à lui tous les fidèles. On lui demandera : « Etes-vous pasteur ? ». Cette idée lui trotte dans la tête quand las de vendre des aspirateurs, il croise la caravane de Sœur Sharon Falconer. Fasciné par cette belle femme qui irradie les foules (Jean Simmons, vue dans SPARTACUS, UN SI DOUX VISAGE) il l’embobine et s'embarque à ses côtés...

Les évangélistes était un courant spirituel très en vogue dans les années 20 et 30 aux États Unis (années 20... putain, il va falloir s'habituer à préciser le siècle, donc celui d'avant) appelés aussi les revivalistes, ils entendaient faire renaître la foi chez les âmes à la dérive. Aujourd’hui les télé-évangélistes stars se font un pognon de dingue sur le même principe. Le film évoque, lui, le pouvoir de la radio, nouveau média à l'époque, pour accroître l’audience, le prédicateur Gantry l'a bien compris. Richard Brooks s’attelle à démonter cette mécanique parfaitement huilée. La caravane de sœur Sharon tient du barnum, ses prestations se passent d’ailleurs sous un grand chapiteau dressé en périphérie des villes, ou à la campagne, là où les habitants sont plus croyants, moins cyniques, bref, de meilleurs clients. Elle reste dubitative lorsqu’il s’agira de s’installer dans la ville de Zénith, où elle est invitée par les représentants de la chambre de commerce, qui y voient là une très bonne affaire pour eux. Business et religion ne font plus qu’un, la séquence est formidable d’ambiguïté.

Dans un premier temps, on voit donc sœur Sharon à l’œuvre, à la tête d’une véritable entreprise. Elle dira elle-même que la logistique, la publicité, les manutentionnaires, l’orchestre, coûtent de l’argent. Figure spirituelle de l’entreprise, elle est cornaquée par William Morgan, son directeur de campagne, et suivie par le journaliste Jim Lefferts (Arthur Kennedy, grand second rôle), qui commente ses déplacements. Ce personnage représente dans le film la vision du réalisateur, pour qui « la Bible n’est qu’un livre de poésie ». Brooks le filmera dans un long plan séquence dicter un article au vitriol, qui mettra à mal l’entreprise de séduction de sœur Sharon, il lui lancera : « D’où tenez-vous le droit de parler au nom de Dieu ? ».   

Elmer Gantry s’improvise donc prédicateur, ses méthodes pour vendre Jésus aux foules tiennent du boniment forain, c’est là où Burt Lancaster fait des merveilles (j’adore cet acteur !) la tignasse en bataille, il chante et vocifère son mea culpa au public subjugué, lui le menteur, le tricheur, le buveur, le noceur, le trousseur de filles de pasteurs au fond des sacristies, il se repent chaque soir avec plus de verve, allant jusqu’à prêcher avec un chimpanzé pour remettre en cause les théories darwiniennes ! On le voit partir en croisade une hache à la main et pourfendre les lieux de débauches (qu'il a lui même beaucoup fréquentés) accusant la police de laxisme. William Morgan commence à s’en méfier : escroc ou illuminé, quoi penser ?    

Le ton est au départ proche de la comédie, les interventions de Lancaster font sourire, le film est plein de bruits, de fureur, le montage est sec, la caméra est très mobile, les plans remplis de personnages, de trognes. Mais le doute s’immisce, l’image devient plus sombre, à l’image des costumes de Gantry qui troque ses hardes contre des vestons noirs cintrés, et à mesure qu’une idylle se noue entre lui et Sharon Falconer. Le film se teinte de drames, de coups bas, le passé sulfureux de Gantry remonte à la surface, qui se fera presque lyncher par ses ouailles trahies. Brooks parle de la manipulation des masses, sœur Sharon elle-même semble dépassée par les évènements (scène du miracle), tout cela ne pouvait que sombrer dans la tragédie.

Brooks a dû composer avec la censure, un long texte a été rajouté pré-générique comme pour s’excuser avant de blasphémer ("le contenu hautement controversé est de nature à impressionner les enfants" !!), et son film devait se terminer par cette sentence : « On se reverra en enfer », ce ne sera finalement que « On se reverra... » ce qui ne veut pas dire la même chose. L’épilogue, bien que dramatique, offre tout de même un légitime espoir de rédemption, qui fait un peu tâche.  

ELMER GANTRY n’est pas un film contre la religion en tant que tel, Brooks ne renie pas à sœur Sharon le droit de croire, mais de parler au nom d'un autre et d’assujettir le peuple à sa vision du monde. Elle reste sincère dans sa foi et son engagement de bout en bout. C'est un film sur la propagande, la manipulation de l'opinion, qu'elle soit religieuse ou politique. Un grand film. 


couleur  -  2h25  - format 1:1.85

La bande annonce est en très mauvais état, voici donc un court extrait.







 
                 

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