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- Alloooo… Sonia de Guemenée du Deblocnot à l'écouuute… Oh, mais c'est
Claude, Salut, une résurrection…
- Un petit coucou et un papier sur quatre ravissants concertos écrits par
un gamin de 11 ans, un prometteur génie nommé… Mozart !
- Cool, chouette ce retour et une musique toute en fraîcheur en plus. Tu
m'envoies la maquette ou je m'arrache les cheveux avec le nouveau blogger
?
- T'embêtes pas Sonia, je vais le
faire à distance, tu reliras pour écouter et corriger d'éventuelles fautes
et coquilles…
- Le nom de la pianiste Yvonne Loriod me dit quelque chose, mais pas dans
ce répertoire classique, plutôt la musique moderne…
- Yvonne Loriod était l'épouse
d'Olivier Messiaen et a donc créé et enregistré les œuvres avec piano de son
mari, je vais en parler…
Mozart à 14 ans |
Drôle de surprise lorsqu'en libérant la revue Classica de sa
pochette en cellophane j'ai découvert le CD "Choc" du mois réunissant
Mozart,
Yvonne Loriod
et l'Orchestre du domaine musical créé et dirigé par
Pierre Boulez, interprètes spécialisés en cette année 1962 dans le répertoire contemporain
et même, dit-on, dédaignant les musiques de style classique ou romantique.
Les quatre premiers concertos de
Mozart
ne sont pas toujours enregistrés dans les intégrales (Brendel par exemple). Le jeune surdoué n'a que 11 ans lors de leur
écriture. Leopold, le père, maître avant Dieu de la progression de son fils, veille aux
règles de composition au-dessus des épaules du jeune prodige et la plupart
des thèmes sont des idées piochées à droite à gauche chez des petits maîtres
de l'époque complètement oubliés… Exercices scolaires besogneux d'un
apprenti ? C'est très vite dit. Sur son clavecin, Wolfgang invente le
concerto moderne. Certains lecteurs diraient "mais et
Bach
alors et ses concertos pour claviers déjà en trois mouvements, et aussi ceux
des jeunes
C.P.E Bach
et
Joseph Haydn
alors ?!". Bien vu ! Mais
Mozart
n'a sans doute jamais vu les partitions non encore imprimées de ces
compositions antérieures…
Revenons aux artistes cités ; les gravures des concertos datent de 1962. Tout mélomane un tant soit peu passionné par la musique de notre temps connaît Boulez, au moins de nom, l'un des pionniers les plus aventureux de la musique contemporaine d'après-guerre, même si la renommée de chef d'orchestre au niveau mondial éclipse le chercheur et compositeur controversé et, de nos jours, moins joué que Messiaen ou Dutilleux. Dès 1945, Boulez va tenter de doper la recherche musicale en France qui s'est un peu endormie en terme de modernité dans les années 20-40. De l'autre côté du Rhin, on explore l'univers sérialiste et le dodécaphonisme, jeux habiles de sonorités étranges utilisant au contraire de la tonalité l'intégralité des douze sons chromatiques dans un même thème ou une œuvre complète. Et cela avant qu'en 1934 les soudards nazis ne décrètent comme musique dégénérée les recherches de l'École de Vienne (Schoenberg, Berg, Webern) ou d'autres compositeurs anciens romantiques (évidement juifs, comme Mendelssohn). À la libération, Boulez a 20 ans et vivote en jouant de l'Onde Martenot à "Les Folies Bergère"… J. Il faut bien manger ! Mais l'homme a l'intention de foncer, de révolutionner le langage musical, la tradition académique… Hédoniste, le personnage ne s'en cachera jamais, sauf l'âge venu où, mettant de l'eau dans son vin, il découvrira avec gourmandise les partitions des prédécesseurs, analysant, admiratif, le génie du contrepoint d'un Bruckner (8ème symphonie à Vienne).
Yvonne Loriod et Pierre Boulez en 1956 |
Dans les années 50-60, ne reculant devant rien pour promouvoir les arts nouveaux, Boulez n'hésite pas à considérer les musiques du passé, du baroque au romantisme, comme obsolètes. Ses citations sont savoureuses et ses ennemis seront nombreux : «il faut brûler les maisons d’opéra», précisant que les interprètes passéistes et le public a l'esprit "fainéant" ont fossilisé le «divin Mozart», les représentations à la sauce "romantiques" effaçant par des lourdeurs symphoniques et des prouesses vocales hâbleuses la subversion et l'ironie cachées dans Don Juan, Cosi Fan Tutte ou encore le très maçonnique La flûte Enchantée… Boulez méprisant donc les musiques du passé ? Je le lis souvent. Non, je ne le pense pas. Par contre il apparait comme un novateur cherchant à rétablir un pont entre les fantaisies imaginatives des anciens de premier plan et les nouveaux formalismes de Stravinsky ou de Berg. Il cherche un retour aux sources à la quintessence et à la subtilité d'un Beethoven ou d'un Mozart en opposition à l'épaisseur du style baigné de sentimentalisme des interprétations des XIX et XXème siècles, si inspiré soient-elles.
Un homme qui rejette Mozart ne fait pas précéder la funèbre et sardonique 9ème symphonie de Mahler dirigée sous les voûtes de la cathédrale de Chartres de Adagio et fugue, courte pièce énigmatique et ténébreuse de Mozart magnifiée par les 60 cordes de la philharmonie de New-York (Quel souvenir !). Un homme reniant des siècles de musique n'aurait pas choisi la carrière de maestro très investi dans Mahler, Stravinsky, Bartók, mais aussi Wagner (un romantique, pour le moins), Berlioz, Debussy, Beethoven, Ravel en parallèle des contemporains dont Messiaen qui sera son professeur. Il restera l'un de ses meilleurs interprètes, même s'il se détournera un temps de lui en faveur de René Leibowitz, compositeur mineur et apôtre fat du sérialisme le plus radical, mais surtout critique acerbe totalement oublié et oubliable…
Tout cela pour expliquer ma surprise de voir rééditer un ancien disque Mozart datant de l'époque la plus rebelle de Boulez, celle qui suit le Marteau sans Maître ou pli selon pli aux écritures quelque peu métaphysique. Un disque encensé par Classica car il le mérite. Pierre Boulez et Yvonne Loriod, pianiste souvent créditée de l'étiquette "contemporaine" car œuvrant en complicité avec son mari Olivier Messiaen, artiste aussi très à l'aise dans les partitions de Boulez, Webern, Berg ou Werner Henze…
Leopold Mozart |
On polémiquera peut-être autour de mes propos… Tant mieux, ça veut dire que l'on les aura lus J. Mais écouter Yvonne Loriod et Boulez dépoussiérer un Mozart juvénile n'est tout compte fait pas une surprise ; plutôt une expérience d'introspection de la pensée créatrice d'un jeune cerveau bouillonnant qui composera, il ne faut pas l'oublier, les concertos 9 à 27, sans doute une série de chefs-d'œuvre sans égale par son ambition psychologique. Boulez ne partageait guère les options des baroqueux et leurs instruments d'époque, novation qui à son avis apportait peu sur le fond, ne faisant que restaurer la forme propre à l'époque des chandeliers, ne réhabilitant que le pittoresque…
La pianiste
Yvonne Loriod
(1928-2010) n'a pas la notoriété qu'elle mérite au sein du cercle
fermé des artistes françaises du clavier du siècle passé.
Marcelle Meyer,
Yvonne Lefébure
et bien entendu
Marguerite Long
sont entrées dans la légende. Il est vrai que pour les mélomanes,
Yvonne Loriod
reste associée à juste titre à l'aventure du répertoire contemporain en
général et, bien entendu, à celui d'Olivier Messiaen, son mari de 1966 à sa mort en 1992 et l'auteur du
Quatuor pour la fin des temps
(Clic), fondement de la musique moderne hexagonale. Sa première épouse,
Claire Delbos, était décédée en 1959.
La formation de la jeune femme est brillantissime. Élève de
Lazare Lévy
et de
Marcel Ciampi
pour le piano, mais aussi de
Darius Milhaud
pour la composition et enfin d'Olivier Messiaen pour l'harmonie au Conservatoire de Paris, elle obtiendra sept premiers
prix et rencontrera ainsi son conjoint dont elle sera l'interprète
privilégiée.
Disparue en 2010 à 86 ans,
Yvonne Loriod
a servi les grands classiques comme
Bach
(Le clavier bien tempéré),
Chopin,
Mozart,
Schumann,
Debussy, et d'autres compositeurs majeurs. Mais la musique contemporaine va
trouver sa muse : notamment lors de la création française d'œuvres de
Bartok,
Schoenberg, et d'autres. Bien sûr, elle assure les premières mondiales des œuvres
pour piano de
Messiaen
comme
Catalogue d'oiseaux,
Vingt regards sur l'Enfant Jésus,
Symphonie Turangalîla. Citant cette symphonie de 1946-1948, rappelons qu'Yvonne avait une sœur cadette,
Jeanne, qui deviendra l'experte incontestée des ondes
Martenot. J'ai pu voir et écouter l'ouvrage interprétés par les deux sœurs et
Seiji Ozawa
dans les années 70 au Palais des congrès de Paris…
Dès 1943, elle enregistrera l'intégrale des œuvres avec piano de Messiaen au fur et à mesure de leur élaboration. Elle enseignera beaucoup ; nous trouvons parmi ses élèves : Nicolas Angelich, Pierre-Laurent Aimard, Michel Béroff, et… Roger Muraro, interprète majeur de Messiaen de nos jours. Scandaleusement, aucun de ses très nombreux enregistrements n'ont été réédités hormis 13 CD, ceux du catalogue Vega, comprenant les gravures de 1956 à 1963 ; merci à Decca pour cette initiative… (Coffret comprenant les concertos écoués ce jour). 13 CD disponibles sur Deezer avec hélas la pauvreté habituelle des précisions pour chaque plage dans ce site. (Qui a composé quoi ?!)
Le disque d'aujourd'hui est donc le fruit de la collaboration de deux amis
et élèves de
Messiaen… Une rareté disponible uniquement en téléchargement de manière isolée ou
dans le méga coffret de 13 CDs.
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Clavecin de 1767 |
Hi hi, j'avais envisagé en prenant congé lors des dix ans du blog des
retours sporadiques pour des articles brefs ; j'en suis à 1400 mots et
n'ai encore pas parlé des concertos… Luc et Sonia vont hurler !!!
1767. Le jeune prodige du clavecin et de l'improvisation vient d'achever son "Grand tour" épuisant de six ans. (Le Grand tour en ce siècle des lumières consiste pour un jeune à parcourir toutes les cours européennes pour se cultiver, mais aussi s'afficher et tenter de se faire une place dans le gotha de la noblesse ou des arts.) Leopold Mozart n'épargne aucune fatigue à son garçon surdoué, ce qui nuira à sa croissance (autiste Asperger ? possible ; mémoire eidétique ? Certainement). Adulte, Mozart sera petit, malingre, maladif et on suppose que son trépas précoce serait une conséquence de cette "maltraitance" même si le père se révélera un unique mais excellent pédagogue pour son fils. Dès l'âge de six ans, il apprend le clavecin (mais adoptera plus tard le piano forte qui vient d'être inventé), le violon, la composition ; il est même capable de jouer sans répétition ni lecture préparatoire, "à vue".
Pour l'anecdote, ses performances sont si bluffantes que des jaloux
émettent des doutes sur le miracle de ce "singe savant" du clavier exhibé comme à la foire par son père plus soucieux de leurs
notoriétés conjointes que de la santé de son fils. Le naturaliste et juriste
anglais Daines Barrington ira jusqu'à tenter de démontrer que les
prouesses du jeune
Mozart
ne sont que supercheries (un pygmée étant caché dans le clavecin sans doute). Il se ridiculisera…
De retour en Autriche,
Wolfgang
a déjà composé une quarantaine de pièces pour piano : des petits
menuets,
andantes,
allegros
et même des
sonates pour piano et violon… À l'écoute de ce qui semble des études académiques, on sera surpris par
la vivacité, la gaieté et la virtuosité inouïe insufflées par un "enfant de CP" dans par exemple la
sonate K 6 (Clic), fraîche et drôle tel le staccato facétieux du violon dans l'andante !!
Elles sont incluses dans certaines intégrales.
Mozart décide d'innover dans deux styles musicaux qu'il va chérir toute sa carrière : l'opéra (Apollo et Hyacinthus) et le concerto pour piano qui, de fantaisie pour virtuose, devient une symbiose ambitieuse soliste-orchestre. Les derniers opus préfigurent par leur profondeur épique les chefs-d'œuvre du genre de la période romantique, de Beethoven à Brahms.
Jusqu'en 1908, on a attribué la paternité des quatre premiers
concertos écoutés ce jour à
Mozart
seul. Hors il n'en est rien.
Le garçon a composé des pastiches de
mouvements empruntés à des sonates de
divers petits
compositeurs français oubliés et a
ajouté quelques pages de sa plume. Bien qu'il n'ait jamais entendu ceux de
Bach
achevés après maints remaniements vers 1738, il conserve la forme
tripartite du concerto et les tempos usuels : vif – lent – vif. Plus qu'une
adaptation scolaire, il offre à ces quatre "Morceaux de sonates françaises, groupés en "pasticcios" et arrangées
en concertos pour clavecin" un climat guilleret et poétique exceptionnel. Il faut noter que quelques
rares pianistes ayant enregistré la totalité des concertos de la maturité ne
les méprisent en rien et les intègrent sur un CD supplémentaire (Perahia,
Barenboïm). Vous avez bien lu : clavecin. Le piano-forte reste
confidentiel en 1767 et guère flatteur à l'oreille. Points communs
entre les deux instruments : le clavier ne comporte que cinq octaves et cela
s'entend par l'absence de grave profond dans la ligne mélodique.
Sensible à la concision du récit musical et la franche simplicité des
thèmes,
Pierre Boulez
et
Yvonne Loriod
apprécient la rigueur de la construction toute en légèreté de ces concertos.
On peut trouver logique l'engouement de ces deux artistes passionnés de
Webern (pour qui la musique ultime était possiblement le silence), des
sérialistes assidus et de
Messiaen
soutenant que chaque note doit avoir un rôle expressif et non uniquement
esthétique. Combien de compositeurs ont parfois délayé leurs partitions de
reprises et redites, maîtrisant mal le contrepoint à travers l'entrelacement
de thèmes ennuyeux…
La prise de son souffre d'une technique assez neutre mais la clarté du jeu
et l'élégie surgissant ici et là témoignent que le futur génie
Mozart
est déjà présent chez le préadolescent.
Vidéos |
Concertos |
Sonates - sources |
Mouvements |
1-3 |
N° 1 en fa majeur K. 37 |
Hermann Friedrich Raupach / Mozart /Leontzi Honauer |
Allegro, Andante, Allegro (cadences de Mozart) |
4-6 |
N° 2 en si bémol majeur K. 39 |
Raupach / Johann Schobert / Raupach |
Allegro spiritoso, Andante staccato, Molto allegro |
7-9 |
N° 3 en ré majeur K. 40 |
Leontzi Honauer / Johann Gottfried Eckard / Carl Philipp Emmanuel
Bach |
Allegro maestoso, Andante Presto (cadences de Mozart) |
10-12 |
N° 4 en sol majeur K. 41 |
Leontzi Honauer / Hermann Friedrich Raupach / Leontzi
Honauer |
Allegro, Andante, Molto Allegro |
Orchestration
: Concerto N°1 : 2 hautbois, 2 cors,
cordes ; Concerto N° 2 : 2 hautbois, 2
cors, cordes ; Concerto N° 3 : 2
hautbois, 2 cors, 2 trompettes, cordes ;
Concerto N° 4 : 2 flûtes, 2 cors,
cordes.
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Trois amis réunis : Olivier Messiaen, Yvonne Loriod et Pierre Boulez.
💬 Rendez-vous demain avec "Jackie Brown" de Quentin Tarantino...
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