samedi 23 mai 2020

SCHUBERT – Symphonie N°1 D82 (1813) – Herbert von KARAJAN (1978) - par Claude Toon



- Schubert et sa 1ère symphonie Claude ? Du coup, on aura écouté toute les symphonies de l'auteur du quintette "la truite", sauf la 9ème que vous n'aimez pas…
- N'aime pas la dernière symphonie dite "la grande" dis-tu ? Oui et non, ça dépend qui dirige. Elle est très élaborée, mais je la trouve trop rythmée presque saccadée…
- On verra plus tard. La 1ère est une œuvre de jeunesse je pense, les débuts d'un adolescent dans l'univers symphonique ?
- En effet, une œuvre prometteuse et guillerette, un trait d'union entre le clacissisme de Haydn et de Mozart et le romantisme naissant grâce à Beethoven…
- Je ne m'attendais pas à te voir choisir une gravure d'Herbert von Karajan avec sa philharmonie de Berlin au grand complet !
- Moi non plus, mais après avoir écouté et mis de côté quelques vidéos au son grassouillet, force est de constater que l'autrichien est un génie de la couleur…

Schubert en 1813 – Dessin de L. Kupelweiser
Il y a trois mois, nous avons écouté la deuxième symphonie de jeunesse de Schubert. (Clic) Je ne m'étends pas de nouveau sur la méconnaissance parfois méprisante vis-à-vis des six symphonies composées entre 1813 et 1817 par le jeune viennois. Des symphonies de forme et d'orchestration a priori classiques, proches par leur développement de celles du Haydn en fin de carrière (Les londoniennes), ou encore de celles de Mozart (N° 39-41) et même des deux premières de Beethoven. Une écoute superficielle montre un degré de perfection moindre dans l'écriture que celle des  aînés cités, il ne faut pas se le cacher.
Dans ces œuvres écrites par un adolescent qui n'a pas vingt ans (né en 1797), on note de légères maladresses de composition, surtout dans les deux derniers mouvements. Un point faible fréquent chez Schubert y compris dans les deux chefs d'œuvres symphoniques ultimes : la 7(8)ème Symphonie "inachevée" de 1822 pour laquelle Schubert n'a sans doute pas voulu ajouter deux mouvements par principe, au risque de gâcher le génie bouleversant des deux premiers, et la 9ème dit "la grande" de 1825 qui, par sa longueur de près d'une heure, ouvrait les portes des grandes symphonies romantiques de Schumann, Brahms et Bruckner, chacun dans leur style personnel voire antithétique…
La gravure ci-contre de L. Kupelweiser est surprenante. Schubert a 16 ans, un beau jeune homme, mais ce portrait doit être le seul montrant le futur auteur du quatuor "La jeune fille et la mort" sans ses lunettes de grand myope qu'il ne quittait jamais…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Comme je l'avais rappelé lors des chroniques sur les symphonies N°2 à N°6 (notamment pour la 6ème en Ut), les chefs et surtout les firmes discographiques ont boudé très longtemps la captation de ce corpus juvénile qui mérite plus qu'un intérêt poli car signé Schubert. Avant l'ère du microsillon, et même pendant la décennie de la monophonie (années 50), on ne trouve que des enregistrements isolés signés de grands noms comme Toscanini dans la 2ème symphonie, la réputation de l'italien volcanique en assurant la promotion. Au début de l'ère stéréophonique deux intégrales vont dominer la discographie, celle de Karl Böhm à Berlin pour DG et celle d'István Kertész à Vienne pour Decca. Encore avec la Philharmonie de Berlin et toujours pour DG, le jeune Lorin Maazel s'intéresse au sujet mais délaisse la 1ère symphonie !?

Dans les années 70, deux autres intégrales marqueront la décennie, celle de Herbert Blombstedt avec la Staatskapelle de Dresde, vive et bénéficiant d'une prise de son raffinée et une relativement mal connue avec la Philharmonie de Berlin dirigée par son maître après Dieu, Herbert von Karajan. Oui, mal connue, car dans ces années-là, on associe prioritairement Karajan au label DG à l'étiquette jaune. Par ailleurs si le maestro autrichien multiplie les intégrales des symphonies de Beethoven ou de Brahms (au moins 3 chacune, sans compter le cycle beethovénien avec le Philharmonia pour EMI au début des années 50), il n'en est pas de même pour Schubert.
Pour DG donc, il se limite à graver les symphonies 8 "Inachevée" & 9 "La grande" successivement en 1966 et 1969, l'"Inachevée" en LP étant couplée à des ouvertures de Beethoven. Karajan ne reviendra à ma connaissance jamais à Schubert en studio pour le label hambourgeois, les deux gravures seront rééditées en CD.
Pourtant pendant cette période "Deutsch-Gramophonesque", le chef travaille parfois pour EMI, plutôt pour des projets lyriques, Wagner (Tristan), Debussy (Pelleas et Mélisande), mais aussi pour quelques grands poèmes symphoniques de Richard Strauss dont un Don Quichotte (1976) avec Rostropovitch chroniqué dans ces pages. 1977-1978, le chef grave à marche forcée, comme à son habitude, une intégrale Schubert. Mais parue pour EMI, elle ne fait pas grand bruit et c'est dommage. Certes, Herbert von Karajan ne s'écarte pas de la tradition romantique germanique, espace large et son velouté, un choix qui est plutôt un atout pour la 9ème qui préfigure par sa puissance et sa durée Bruckner. Un style qui n'est plus guère à la mode en une époque où l'on redécouvre Schubert débutant revisitant dans ses jeunes années l'univers teinté du classicisme tardif de Haydn et des deux premières symphonies de Beethoven. Son Successeur à la Philharmonie Berlinoise, Claudio Abbado apportera un allègement du trait et, plus récemment, des novateurs comme Marc Minkowski dirigeant des ensembles d'instruments d'époque ont ressuscité les sonorités acidulées typiques du début du XIXème siècle…
En résumé, deux interprétations disponibles sur YouTube : Abbado avec l'Orchestre d'Europe, on avait déjà apprécié sa 6ème, mais là le report était épais, donc place à la splendeur du Berliner
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Vienne : rue vers le Konvikt
La symphonie est de forme classique en quatre mouvements, tout comme son orchestration, identique à celle requise par Haydn ou Beethoven :
1/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes.
Si la fin de la composition est connue et datée de novembre 1813, ce n'est pas le cas pour le début, sans doute en février de la même année comme le laisse penser de la correspondance et des brouillons de manuscrits retrouvés ultérieurement. Pour le jeune homme, l'expérience de l'orchestre est mince : trois ouvertures D11, D12 et D26 écrites vers 1811 et 1812. Certains portent un jugement réservé sur les symphonies de jeunesse de Schubert… Heu, nous parlons ici d'un adolescent qui étudie note par note la symphonie "Jupiter" écrite par Mozart à l'âge de 32 ans.
Et tout porte à croire que le jeune Franz a souffert sur sa partition, ne serait-ce que par la mention inscrite en dernière page "Finis et Fine", autrement dit "ouf !". L'ouvrage est dédicacé sans raison spécifique au directeur de l'orchestre du Konvikt, Franz Innocenz Lang, grognon par nature mais apprécié de ses élèves…

Paysage de Caspar-David  Friedrich  (1774-1840)
1 - Adagio — Allegro vivace : Lors de la transition entre les époques classiques et romantiques, une règle informelle impose de débuter le premier mouvement par un adagio de quelques dizaines de mesures avant de lancer les forces de l'allegro introductif. Contrairement à l'habitude, le déjà tourmenté Schubert a choisi la tonalité brillante, festive et un brin solennelle de ré majeur. Comme Beethoven, l'apprenti symphoniste veut happer son public d'entrée. Un motif puissant ff est asséné cinq fois, mais avec des petites variantes qui enlèvent tout aspect militaire à cette répétition appuyée. (Un tutti decrescendo suivi d'arpèges variés, un motif de deux mesures.) Solennel est bien le mot. Une mélodie plus sereine conclura cet adagio marqué par un dialogue des bois soutenu discrètement par les cordes fp > pp. [1:24] L'allegro s'élance avec vivacité sur des arpèges des violons auxquels répondent les deux hautbois. Ce premier thème élégant marquera la rythmique de l'allegro et bien au-delà le style du discours symphonique cher à Schubert dans les temps à venir. Les échanges entre cordes et harmonie sont fougueux. [2:16] Le second thème s'oppose à la scansion du premier par son esprit dansant et pastoral. Pas de débat stérile, si les symphonies de Schubert ne sont pas exemptes de longueurs et de répétitions, on l'aura un peu trop répété, le bonhomme a le sens du thème immédiatement attachant, et même ici plutôt guilleret, ce qui n'est pas sans surprendre de la part du compositeur qui nous confiera dix ans plus tard ses tourments dans ses âpres chefs-d'œuvre de musique de chambre. [3:41] Les reprises adoptent un léger pathétisme. [4:29] Le développement aux traits nerveux donne en introduction la part belle au bois avant que ceux-ci soient rejoints par le chant épique des cordes. En conclusion, le musicien redonne vie à un dialogue intimiste des bois. [6:20] Les reprises traditionnelles de la forme sonate sont bien là, mais avec maintes facéties qui conduisent, on pourrait dire glorieusement, à une coda pleine de verve. La clarté du jeu de la philharmonie de Berlin sous la baguette exigeante de Karajan gomme tout risque de confusion entêtante liée à une orchestration, disons… généreuse J.

2 - Andante : [10:08] Le mouvement lent revêt une profondeur psychologique exceptionnelle chez un compositeur aussi jeune ! Une tendre mélopée aux cordes est interrompue par un charmant thème lyrique des bois et des cors. Cette alternance des sonorités entre les groupes de pupitres à cordes et ceux des vents deviendra une constante dans l'art orchestral schubertien. On pourrait déplorer une certaine application dans l'imagination et l'écriture. Mouais… [11:30] Une seconde idée élégiaque, plus sombre se développe, on y entend ces effets de procession qui, eux aussi, signent la conception du flot musicale du viennois ; et de citer le second mouvement de l'"inachevée". [12:45] Les reprises semblent académiques. Le sont-elles ? Non car le magnifique chant des clarinettes et des hautbois apporte une luminosité peu commune au discours depuis Mozart. La coda achève l'andante par un poétique arpège chromatique au hautbois noté pp.

3 - Menuetto - Allegro : [18:10] le menuet est court, heureusement, car Schubert ne maîtrisant pas encore la technique du scherzo propose une thématique assez pauvre, une marche assez banale et appuyée. [21:18] Plus réussi, le trio, comme souvent à l'époque, prend la forme d'un ländler bucolique aux accents légèrement sensuels. Le menuet est rejoué da capo. Tout cela demeure plutôt plat d'autant que le maestro autrichien, comme la plupart des chefs de sa génération fait traîner l'affaire sur un tempo allegretto pendant près de sept minutes L, là où Abbado égaille le mouvement tel un divertimento mozartien en quatre minutes… Il n'y a pas photo !

4 - Allegro vivace : [24:52] Schubert semble souvent lutter contre sa timidité en énergisant ses finals de symphonies. C'est le cas ici où des idées thématiques trépidantes se bousculent et s'entrecroisent, entre passage léger et concertant des bois ou des cordes à tour de rôle et des tutti fougueux de l'orchestre pour lesquels les trompettes font enfin leur entrée. Après son menuet indolent, Herbert von Karajan redevient disert, la machinerie de Berlin faisant fuser chaque ligne mélodique sans le pathos trop souvent de mise dans cette musique. (Partition).


~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Confirmation, le son de la vidéo Youtube reproduisant l'interprétation de Claudio Abbado avec l'Orchestre d'Europe est lourd. Il est possible de constater le contraire sur Deezer qui propose l'album réunissant les symphonies 1 & 2 (Clic). Un style allégé, un menuet vif-argent, deux atouts dont le maestro italien s'était fait le spécialiste. Un disque incontournable dans ce répertoire (je me disais aussi…) (DG – 4,5/6).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire