samedi 8 février 2020

SCHUBERT – Symphonie N°2 D125 (1814) – Istvan KERTÉSZ (1970) – par Claude Toon



- Mais Claude, tu n'as pas fait un copier-coller malheureux ? Le chef d'orchestre est le même que la semaine passée, Istvan  Kertész pour la chronique du Requiem de Dvořák.
- En effet Sonia, István Kertész… Aucune erreur ; rappelles-toi que j'évoquais une belle intégrale des symphonies de Schubert réalisée par ce maestro…
- Exact ! Surement une symphonie de jeunesse ; mais il n'y avait pas justement un autre chef à découvrir ?
- Tu connais ma méthode, je regarde ce qui est disponible dans les belles éditions You Tube, et là par hasard…
- C'est une symphonie d'envergure, 1814, Beethoven a composé ses grandes symphonies sauf la 9ème ; Franz rivalise-t-il avec Ludwig ?
- Ô non, le jeune Franz n'a que 17 ans, et même très doué, le compositeur vit encore à l'époque de Mozart et de Haydn ou de la 1ère symphonie de Beethoven…

Schubert en 1814
Certains considèrent le cycle des symphonies de Schubert comme secondaire. Vrai ou faux ? Vrai si on tente des comparaisons entre sa musique de chambre, sonates pour piano, quatuors, trios et quintettes dernières manières qui constituent un corpus quasiment inégalé dans l'histoire de la musique. Vrai quand on constate que malgré de belles idées thématiques, Franz semble peu doué à terminer les deux derniers mouvements de ses symphonies qui, forme académique en usage à l'époque, en comptent quatre. (Ah le final de la 4ème qui tourne en rond avec des reprises sans fin…) La 8ème (en fait la 7ème) dite "inachevée" n'a d'ailleurs que ses deux premiers mouvements. Œuvre plus tardive, deux mouvements qui s'étirent sur 25 minutes environ avec une inventivité et une force épique inconnues dans les ouvrages précédents. On a reconstitué une éventuelle fin à partir de brouillons, très franchement on s'en passe très bien ; d'où la question : Schubert avait-il vraiment le désir de terminer sa partition pour satisfaire aux règles académiques ?
Cas à part, la "grande" 9ème écrite peu de temps avant sa mort, une avancée évidente dans la complexité de la forme sonate, un bond en avant romantique, une source d'inspiration pour tous les compositeurs à venir, notamment Bruckner. Et pourtant une symphonie qui ne me parle pas à tous les instants, au point que je n'ai jamais encore eu le désir de la commenter… Un sentiment d'une musique martiale voire un peu lourde… Enfin, on sent parfois dans les six premières symphonies le travail d'un jeune compositeur un peu engoncé dans son propos, cherchant une imagination thématique digne d'un Haydn tout en craignant d'être bien en deçà de la puissance expressive d'un Beethoven, une forme de timidité créative…
Et faux ! Faut-il à cause de quelques faiblesses formelles et autres longueurs jeter les bébés avec l'eau du bain si je puis me permettre une telle trivialité. Et bien non ! Bien interprétée par un chef qui essaye de retrouver l'état d'esprit jovial d'un grand adolescent qui n'a pas encore été trop meurtri par le manque de reconnaissance de ses pairs et plus tard la maladie, voilà une musique plus fascinante qu'elle n'y parait. Schubert collectionne des amis fidèles, fait la joie des soirées où l'on joue ses pièces pour piano et on chante ses centaines de Lieder. Sans mécène comme le jeune Beethoven, sans fortune comme le tout aussi jeune Mendelssohn, aucune des symphonies ne sera interprétée de son vivant. La plupart seront créées à la fin du XIXème siècle. On suppose par ailleurs qu'une quinzaine de symphonies en tout ont été ébauchées ou achevées… Et faux pour conclure, ces symphonies sont biens agréables à écouter, notamment cette 2ème.
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István Kertész
Les six premières symphonies sont composées entre 1813 et 1817, entre ses 16 ans et ses 21 ans. Une par an environ. La 8ème "inachevée" date de 1822. Schubert couche les premières notes le 14 décembre 1814. Il vient de terminer sa première messe sur les six qu'il composera. Seules les deux dernières D678 et D950 sont d'un grand intérêt, ambitieuses dans leurs développements, et mériteraient une discographie plus large que les gravures de Sawallisch des années 70, remarquables ceci-dit. En quatre mois, Schubert termine sa partition, s'interrompant pour écrire des variations pour piano et des lieder. Elle est dédiée au Dr Franz Innocenz Lang, le directeur du conservatoire Stadtkonvikt de Vienne qui l'aurait fait travailler par ses élèves à titre d'exercice. La symphonie ne sera jamais exécutée en concert.
Schubert choisit la tonalité bonhomme de si bémol majeur, peu courante dans son œuvre.
L'orchestration est identique à celle des symphonies londoniennes de Haydn et de la plupart de celles de Beethoven, l'effectif classique officiel : 2/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et cordes. La symphonie comporte les quatre mouvements habituels, et comme chez Haydn, l'allegro initial est précédé d'une ouverture lente.
Nous l'écoutons interprétée par la Philharmonie de Vienne dirigée par István Kertész, maestro hongrois disparu prématurément et présenté la semaine passée (Clic).
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Stadtkonvikt de Vienne
1 - Largo – Allegro vivace : [V1] Dès les premières mesures, la 2ème symphonie nous apprend que Schubert se passionnera pour les rythmes sans négliger la mélodie. Ceux qui connaissent ne serait-ce que la symphonie "Inachevée" ont dans l'oreille les élans de marche funèbre de l'allegro et la scansion appuyée du thème B de l'andante. Et quant à la 9ème, les quatre mouvements sont tous animés d'une pulsation marquée. Marches, processions… il semble parfois que le compositeur a intégré le métronome, la battue du chef, dans la ligne mélodique elle-même.
Les trois premières mesures du Largo confirment cet attrait. Un tutti des vents ff soutenu par les timbales sera répété trois fois avec ardeur, il est suivi d'un motif en arpèges descendant jaillissant des cordes. Un motif opposant hardiesse militaire et poésie bucolique. Rien de pompier car Schubert change la hauteur des notes à chaque présentation de cette triple introduction et supprime les trompettes dans la 3ème reprise. [0:28] Après cette entrée en matière altière, un thème mélodique se déploie égayé de trilles de flûtes. Quelques pizzicati marquent le pas. [1:20] L'allegro lance (le mot est juste) l'exposé du premier thème, fougueux et joyeux. Utilisons même le mot frénétique à l'écoute de la ligne de chant des violons qui mènent la danse. Un exposé très long et fantasque car on attend l'incontournable second thème qu'impose la forme sonate. Deux flûtes s'imposaient quand de nouveau se font entendre leurs trilles acérés. [1:54] ce thème imposant est repris, avec diverses fantaisies orchestrales (trilles aux cors) pour éviter toute monotonie, reprise qui prépare l'arrivée du second thème à [2:20]. Un thème moins vaillant et pastoral. [8:50] Les bois apportent une nouvelle donne et ouvrent la porte à un développement original mais très court. Une écoute superficielle peut donner l'impression de redite excessive. Ce n'est pas faux, surtout quand le chef fait toutes les reprises ce qui conduit à une durée d'exécution qui approche le quart d'heure. Le vivace respecté avec fougue par István Kertész prend alors toute son importance en lien avec l'éviction de tout pathos. [9:25] Schubert propose un nouvel intermède de détente.  De reprise en reprise, ce mouvement vif-argent, juvénile et pour le moins tonique atteint une brève coda assez banale.
Même si Schubert joue sur une orchestration colorée et volcanique, il faut bien avouer que les innombrables reprises (au moins une dizaine) nous renvoie à l'expression "les divines longueurs", formulée par Robert Schumann, et ne se justifient pas pleinement avec un matériel mélodique génial mais limité. Certains chefs ne les font pas toutes et ramènent ainsi la durée à une dizaine de minutes (Böhm à Berlin). Le chef allemand moins exalté que son confrère hongrois usant d'un legato plus prononcé obtient ainsi un phrasé peut-être plus élégant et romantique, très germanique ceci dit… Abondance de bien ne saurait nuire, la folie de Kertész apporte un style quasi rock'n roll 😄.

Soirée autour de Schubert
(Partition)
2 - Andante : [V2] Si Schubert se veut pionnier dans le rôle du rythme comme fonction mélodique, il fait de même à propos des variations dans un mouvement devant à l'époque respecter la forme sonate à deux thèmes avec développement ABCAB pour simplifier. Rappelons l'extraordinaire suite de six variations en deux groupes dans l'andante du quatuor la jeune fille et la mort. Dans l'andante, il combine ce choix monothématique structurant des variations et bien entendu une rythmique accentuée pour assurer la continuité de cette option stylistique dans sa symphonie. Le très beau thème processionnaire, très articulé, chanté par les cordes introduit le mouvement avec sensualité. [1:18] La première variation est plutôt une réexposition illuminée par le hautbois solo soutenu par les cors. [2:35] Dans la seconde variation, la mélodie est jouée par les cordes graves sur un trémolo des violons, la flûte reprenant avec douceur le thème principal. [3:48] La troisième variation s'illustre par une mélodie ondulante des violons parsemée de notes fugaces des vents. [5:03] la quatrième variation joue le rôle du climax fréquent au deux tiers du déroulement du mouvement (Bruckner est déjà là ?). Des traits violents syncopés de cordes graves joutent contre le jeu du thème initial par les cordes aiguës, les vents assurant un effet choral. [6:22] La cinquième variation s'illustre par une mélodie ondulante des violons éclairée par un champêtre monologue de la clarinette rejointe par les flûtes. [7:37] Une pulsation des cors reprise une à une par les bois conclut l'andante par une coda finement orchestrée.

3 - Menuetto : Allegro vivace : [V3] Vivace ! C'est écrit et István Kertész respecte avec bonheur ce menuet aux accents martiaux. (Hélas pour Böhm qui donne à ce passage si enjoué un ton pachydermique, l'un des rares contresens chez le chef autrichien, une épaisseur datée entendue parfois dans son intégrale Mozart). Le menuet sautille gaiement, on pense à une danse de vigoureux paysans. Comme souvent dans la seconde partie de ses symphonies, un léger essoufflement de l'inspiration se fait sentir. [1:27] Hautbois et cors entonnent une comptine enfantine, légère et ludique. Encore une rythmique discrète mais inflexible des cordes. Reprise da capo.

4 - Presto vivace : [V4] Je parlais du goût prononcé de Schubert pour les marches et en voici une pour le moins endiablée voire féroce qui s'élance dans le final. [2:35] un puissant crescendo conduit à une bataille virulente entre pupitres qui, à mon sens, se veut facétieuse. Là encore la thématique n'est en rien immortelle et la construction assez basique, mais quelques fantaisies nous emmènent tambour-battant vers une conclusion sous amphétamine. Pas de doute, la symphonie la plus enthousiaste de Schubert.

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Pour la discographie, je ne reviens plus sur les intégrales de bon aloi déjà présentées dans les articles précédents : Böhm d'une grande intelligence malgré la lourdeur du menuet, Minkowski enjoué, Blombstedt raffiné, etc.
Il existe peu de disque proposant de manière isolée les symphonies de jeunesse :
La première gravure de cette œuvre date de 1940 sous la baguette en folie de Toscanini. Le maestro ronchon au tempérament explosif dynamite Schubert. Toute une époque pittoresque, dommage que le son NBC soit bien acide, il faut bien le dire ! (Testament – une curiosité donc pas de note).
Début des années 60, le jeune maestro surdoué Lorin Maazel se voit confier la Philharmonie de Berlin pour diriger les symphonies de jeunesse. Le chef illumine d'un geste vif une conception claire, ce qui n'était pas toujours le cas avec la puissante phalange coachée par Karajan. Prise de son aérée (DG – 5/6).


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