mercredi 20 mai 2020

MOTHER SUPERIOR "Sin" (2002), by Bruno


     Il en aura fallu du temps, et notamment celui d'authentiques passionnés, en l'occurrence celui de la boutique parisienne Fargo, pour que ce trio se fasse enfin connaître dans l'hexagone. Seulement à l'aube du vingt et unième siècle, après près d'une dizaine d'années d'existence.

     Mother Superior est un trio angelin formé en 1993 autour de Jim Wilson, de Marcus Blake et de Jason Mackenroth. Respectivement, guitariste et chanteur, bassiste et choriste (chanteur occasionnel), et batteur et choriste.


 Plutôt que d'attendre qu'une compagnie veuille bien se pencher sur leur musique, et espérer qu'elle daigne leur offrir la chance d'enregistrer - alors que finalement, ce serait plutôt l'inverse -, le combo prend le taureau par les cornes et auto-produit rapidement un premier essai, "Right a Row", qui est depuis longtemps introuvable, probablement à jamais perdu. Initialement, ce n'était qu'une démo enregistré sur un quatre pistes.
Il leur faut patienter trois ans avant de pouvoir retourner en studio et graver le fruit de leur labeur.     Cependant, cette fois-ci, ils ont l'aide d'un producteur. En l'occurrence Ian Mac Kaye, un acteur de la scène punk (rock et hardcore) et du Rock alternatif américain. Le chanteur et guitariste de Fugazi et fondateur du label indépendant, Dischord. "The Heavy Soul Experience" sort sur le petit label Top Beat, avec une pochette exposant sous un éclairage désavantageux, trois trognes de psychopathes échappés d'un film de Tarantino. Un repoussoir pour midinettes hypnotisées par les garçons coiffeurs de boys bands. On y découvre un groupe hors du temps, cru, spontané et franc. Une musique qui semble s'être échappée de la première moitié des 70's, d'une bulle où s'échinait une pléiade de seconds couteaux méritants, éblouis par le Rock Anglais et la scène de Détroit, érigeant en semi-divinités les Led Zeppelin, Mountain, Humble Pie, Black Sabbath et autres broyeurs de Blues et amateurs de Fuzz capiteuse et indomptable. Le mixage a été effectué par Bruce Gary, plus connu pour  avoir tenu la batterie au sein de The Knack.
Rebelote l'année suivante avec "Kaleidoscope", peut être encore meilleur, un poil plus frais avec quelques incursions dans un Funk pastellisé de psychédélique.

     Toutefois, en dépit de ces deux très bons disques, le succès ne vient pas taper à la porte du trio. Malgré une notoriété scénique croissante, les trois musiciens ne peuvent vivre de leur seul musique, les obligeant à prendre des petits boulots pour subvenir à leurs besoins élémentaires.

     Henry Rollins, bête de scène et chanteur emblématique de Black Flag, connu pour son franc-parler et sa sincérité, grand ami de Mac Kaye (qui a dû le rencarder sur le groupe), ne conçoit pas que Mother Superior ne tourne pas à travers le pays, voire le continent, réclamé à grand cri par les foules. Il va directement chercher Jim Wilson sur son lieu de travail, un magasin de disques, pour l’exhorter à reprendre sa guitare et à repartir sur la route. Rollins ne se contente pas d'un discours enflammé, il offre ses services pour la réalisation d'un quatrième album. "Deep" sort en 1998, et est nettement mieux accueilli que les précédents. Et puis Wilson et Collins sont fait pour s'entendre ; ils sont tout deux de grands fans de musique avec une connaissance en la matière quasi-encyclopédique et forts d'une discothèque occupant à elle seule une belle pièce. A faire pâlir de jalousie toute radio ou bureau d'archives culturelles.
avec Henry Rollins

 La présence de Rollins à la production n'y est pas étrangère. Le son aussi, plus lumineux et tranchant. Certains morceaux y prennent une allure de Punk-blues marqué par l'empreinte de Rollins, au point où parfois on croirait qu'il s'est jeté dans l'arène pour imposer sa personne au trio.
   Fasciné par les aptitudes du trio et encouragé par un excellent relationnel appuyé par des goûts musicaux communs (tous des fans de Thin Lizzy), Henry Rollins leur propose de devenir son nouveau band. Cette nouvelle mouture du Rollins Band enregistre en deux ans, de 1999 à 2000, pas moins de quatre albums studio (dont le premier de la série produit par Bob Ezrin) et un disque live (comportant trois reprises, toutes issues du répertoire de Thin Lizzy).

     Lors de l'enregistrement de "Get Some Go Again" - premier jet de la nouvelle mouture du Rollins Band - Mother Superior fait une bonne impression à Bob Ezrin. Ce dernier apprécie la compagnie de Jim Wilson et le présente à un ami de longue date : Vincent Furnier. Sheryl, l'épouse du Coop', connait déjà et apprécie Mother Superior. Pendant deux jours, Furnier aka Alice Cooper et Wilson composent ensemble quelques chansons. Toutefois, le matériel s’accommodant plus avec l'Alice Cooper Band (des 70's) que l'album "Brutal Planet" à venir (nettement plus Heavy-metal), la maison d'édition ne retint que "Can't Sleep, Clowns Will Eat Me".

     Le groupe va continuer à offrir ses services pour autrui. Tant en studio que sur scène. Wilson prendra même la basse pour accompagner Emmylou Harris (comme plus tard pour Terry Reid), tandis que Daniel Lanois recrute le groupe pour la tournée suivant la sortie de son album "Shine".
Le trio part aussi en tournée avec Wayne Kramer, qui s'est lui aussi entiché du groupe et qui produira leur sixième album, "13 Violets".
"J'ai trouvé le chaînon manquant entre Little Richards et un ampli Marshall 100 watts" dixit Wayne Kramer.


     La musique de Mother Superior est comme une brise d'air chaud, un sirocco, ou plutôt un vent Santa Ana. Phénomène réconfortant mais aussi propagateur d'incendies. Quel que soit le style qu'il aborde, y demeure accroché ce parfum de contrées arides et sèches. Probablement quelques résidus inhérent à la genèse du Desert-rock (Palm Desert Scene), plus tard rebaptisé Stoner. L'un des pères fondateurs, si ce n'est le père tout court, Kyuss, ainsi que le parrain, Blue Cheer.
Profondément organique, Mother Superior est la résurgence d'un souffle chaud, fragrance d'un Heavy-rock sauvage et rebelle, qu'on a essayé de canaliser, de dompter, de rendre respectable et tolérable. Jusqu'à parfois en faire une caricature. Pure émanation d'émotions et de sensations enfouies dans la psyché et réprimées.

     "SIN" est l'un des meilleurs albums du trio, sinon le meilleur. Sachant qu'aucun n'est parfait. Ils sont comme une débauche d'énergie trop longtemps endiguée, déferlant telle une immense vague, semblant parfois s'atténuer avant de repartir de plus belle dans un bouillonnement charriant divers matériaux.
   Dire que "Sin" est un spasme d'énergie brute et viscérale est un euphémisme. La guitare de Wilson est moins une Stratocaster qu'un récepteur par lequel résonnent les frustrations et la souffrance d'entités chthoniennes perdues dans les limbes. Une guitare friande de fuzz imposante et crachotante, s'étalant comme une submergeante brume opaque et toxique. A croire que Wilson est l’intarissable source d'inspiration d'EarthQuaker Devices. La boîte de l'Ohio spécialisée dans la création de fuzz dispensatrices d'ondes sismiques.
   Henry Rollins est encore dans les parages, en qualité de producteur exécutif, mais dans l'ensemble l'album est plus dans la continuité de "The Heavy Soul Experience" et de "Kaleidoscope". Tant au niveau des compositions que du son. A savoir que l'album, tout comme le précédent, a été enregistré dans la foulée, après des sessions pour le Rollins Band.

     Mother Superior ne s'apparente pas à une simple charge de bisons furieux, car au milieu d'une certaine furie, il y a aussi du cœur, de la sensibilité et de la subtilité. Si, si.
Ainsi, "Strange Change", Hard-rock primitif s'il en est, se fend d'un copieux et succulent break funky supporté par des cocottes - artisanales - cristallines et une sensuelle et crémeuse wah-wah ; le tout dorloté par une basse typée Motown. Même le rouleau compresseur hoquetant "Talk to the Future", tente de freiner son implacable cheminement destructeur par une soudaine et inattendue épiphanie. De même le lourd et acide "Pretty in the Morning", émanation d'un Black Sabbath d'antan, est temporisé par le chant et les chœurs qui incluent timidement une once de Soul.
La voix vulnérable de Wilson contraste délicieusement avec la rage, la sombre et épineuse tonalité de sa guitare. Elle apporte bien souvent une touche bienvenue de Soul temporisant la crudité de l'orchestration.
pochette originale - dessin de Raymond Pettibon


 Par contre "Ain't a Fraid of Dying", chanté par Mackenroth, fait totalement dans le brutal. Ou encore "Rolling Boy Blues" dans le Heavy-blues acide et épileptique, destructeur d'esgourdes délicates.

   Et puis il y a ces délicieux instants magiques. Comme "Jared Little Princess" aux charmantes allures de hit enfanté par un Garage band des 60's plein de verve. Comme "Fools Around", pétri de Soul, certes viril, mais d'où s'exhale une fragilité, une sensibilité à fleur de peau. Un morceau aux tournures de rencontre entre Hendrix et Wilson Pickett. "Rocks" qui, bien que servi par une fuzz dégueulasse, prête à rendre l'âme, s'égaye dans un revigorant rhythm'n'blues.

   "Fade Out, Wounded Animal", lui, s'épanouit entre deux mondes. Après une intro douce et bucolique, le morceau plonge dans un Southern-rock marécageux, s'extirpant lentement et pesamment des marais. La douleur profonde de Swamp Thing en musique. Celle redéfinie par Alan Moore.

     Un album inégal mais le bon et l'excellent prévalent largement sur le passable. Le suivant, produit par Wayne Kramer, bien que plus fouillis, récoltera plus facilement les honneurs ; notamment ceux de la presse.

     Le groupe se dissout en 2011, le dernier album, le robuste "Three Headed Dog", remontant à 2007. Jason Mackenroth avait déjà laissé sa place 2005, pour s'essayer en solo, jouant parallèlement avec divers artistes dont Iggy Pop, Lemmy, Ice T, George Clinton et The Blue Lane, avant d'être rattrapé par la maladie et de décéder le 3 janvier 2016 d'un cancer de la prostate.




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Article lié : PEARL "Little Immaculate White Fox" (2010), avec Mother Superior.

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