mercredi 4 mars 2020

Pat TRAVERS "Putting It Straight" (1977), by Bruno



     Cela pourrait paraître dithyrambique, mais lorsque cette troisième galette du Canadien est arrivé dans les bacs, elle en a décoiffé plus d'un. On a même vu des moumoutes voler. Elle fit l'effet d'une bombe, ou d'une claque (mode "revers dédaigneux de l'enragé verdâtre". Splaff !!). Il paraîtrait même que certains, dépités, auraient ensuite latté leur Hondo ou Aria (les heureux propriétaires de Gibson ou de Fender furent plus mesurés)

     La raison première est le son fabuleux que le Canadien tire de sa Melody Maker (sur laquelle il a remplacé les P90 d'origine par des humbuckers Gibson T-Top) à travers ses Marshall (un 50 watts équipé d'effets et un 100 watts pur). Des sons qui semblaient fabuleux à l'époque. Un son à la fois travaillé, puissant et juteux. Une distorsion harmonique épaissie par un effet de Chorus. Il doit être l'un des premiers à avoir utilisé un effet de Chorus comme un épais enrobage de sa saturation. Un procédé qui va devenir la norme au début de la décennie suivante. (1)
 

   En trois albums, dans une progression constante et infaillible, Travers a porté à maturité son Hard-blues flamboyant, son Heavy-boogie-rock mélodique et foncièrement viril.


     Tel un carcajou déchaîné, il surprend sans ménagement l'auditeur en assénant d'entrée le fabuleux riff du non moins fabuleux "Life In London". ** chœurs célestes s'élevant à la seule évocation de ce morceau ** 🧚‍♀️   Hommage à la ville qui l'a accueilli pendant trois années consécutives. Le dynamisme, la rigueur, l'assise et le son (plutôt gros pour l'époque) harponnent - ou commotionnent - les esgourdes. Un son de guitare alors innovant. La voix n'est pas en reste ; bien que limitée, manquant cruellement d'ampleur, elle s'intègre parfaitement dans ce Blues-rock copieusement burné alliant le chrome et le bois, et devient sans forcer rocailleuse dès que le ton se fait autoritaire. A l'image du verso de la pochette, "Life In London" est une bourrasque envoyant valdinguer le mobilier sous son passage. Aucunement dans un déferlement de fureur épileptique, mais avec la maîtrise froide et inflexible du tueur à gages.

Après une telle bourrasque, on se dit que forcément la suite devrait être plus tranquille et relativement conventionnelle, mais non. Même si ce premier titre demeure l'acmé de l'album, Travers et ses sbires ne déposent pas les armes.

   Ainsi, si "It Ain't What It Seems" choisit un chemin plus mélodique et radieux, s'exposant au soleil de Californie, se pavanant sur Sunset Bd., il n'exclu pas deux magnifiques soli classieux et velus, à faire tomber les bras de nombreux guitariste en herbe (ploum ! ploum !) 


 "Speakeasy", lui, retourne dans la tanière d'un Hard-blues onctueux et consistant. Boogie prédateur et félin, zébré de chorus comme des bombes de feux d'artifices dans la nuit, sur lequel se couche une voix de bûcheron qui se rince quotidiennement le bec au Rye Whisky. A ce titre, Travers préfigure le chant de Danny Joe Brown (Molly Hatchet).

   Avec "Runnin' From The Future", Peter "Mars" Cowling se distingue par sa capacité à exacerber des atmosphères, pliant presque à sa volonté le morceau. D'abord l'installant dans une ambiance sombre, lourde et  menaçante, puis dans une plus frivole de Jazz-funk. Ses années dans un des covers band les plus courus des îles britanniques, lui facilitent l'immersion dans le Rock, le Blues et la Soul. De son côté, Travers se mue en assassin, faisant de ses chorus un Fairbairn-Sykes (2) lardant au hasard dans le noir, à la recherche d'esgourdes inconscientes.

   Nouvelle surprise avec un nouveau changement de cap avec "Lovin' You" qui s'oriente vers une dimension mélodique et Soul. Un chemin récemment balisé par le Grand Funk de "Born to Die" ; et dans lequel ne vont pas tarder à s'engouffrer nombre de groupes en mal de renouvellement et de succès. (faux ?) Eldorado pour certains groupes de Southern-rock à l'aube de la prochaine décennie.
Une nouvelle facette que Travers va prochainement développer avec plus ou moins de réussite.


   L'instrumental "Off Beat Ride" dévoile encore une autre couleur. Du Funk qui taquine celui épicé de Jazz et de Rock d'Herbie Hancock. Evidemment, Travers y rajoute une teneur plus velue, adipeuse et urbaine, plus heavy. Tony Carey à l'orgue (échappé de Rainbow, invité pour jouer quelques phrases d'orgue par-ci par-là)  et Bert Hermiston (3) au saxophone, sont en renfort, non pour y faire de la figuration, mais bien pour aider à extirper le morceau d'un hard-blues minéral.


   Tandis que "Gettin' Betta", lui, se laisse doucement glisser vers un Funk nerveux, à la fois canaille, bastringue et foncièrement Rock, typiquement celui sculpté par Aerosmith.

 "Dedication" clôt la fête en deux chapitres distincts. Le premier instrumental, fusionne le Deep-Purple Mark III avec notamment un jeu pas vilain de Travers à l'orgue, mimant pour l'occasion Jon Lord, et un Jazz-funk. Le second est une savoureuse ballade mi-Thin Lizzy mi-Elton John où Scott Gorham est venu illuminer la pièce avec de superbes chorus.

     Quel que soit les changement de direction, le vaisseau de Pat Travers ne se dépareille jamais de ses solides bagages de Blues-rock et de Hard-blues. Bien aidé de Nicko McBrain, en rupture de Streetwalker et avant de rejoindre Trust, et par Peter Mars Cowling (décédé le 22 mars 2018), deux références absolues dans le large univers de la musique dite Heavy.

   Trente-sept minutes de bonheur que les ans ne sont toujours pas parvenu à altérer. S'il ne fallait garder qu'un seul album de Pat Travers, ce serait incontestablement celui-ci. Un must. Un incontournable. Un indispensable.
   Patrick Henry Travers est un spadassin. Que se soit avec ses riffs au cordeau ou ses chorus dispensateurs de notes transcendantes, voire létales (pour les non vaccinés par l'écoute périodique de vibrations heavy-rock), il a cette faculté de terrasser l'auditeur, de le scotcher au plafond, de le retourner comme une crêpe. Et le pire, c'est qu'on en redemande.
Pour information, suivant les éditions, l'ordre des chansons diffère, et aucune ne reprend celui du disque original de 1977. Et au moins une comporte carrément des différences entre l'ordre présenté sur le livret et celui effectif du cd.
   


    Bien que mister Pat Travers a parfois annoncé dans quelques interviews, qu'il a été définitivement contaminé par le virus de la guitare après avoir vu Hendrix (4), et par la suite avoir construit son jeu à l'écoute des Jeff Beck, Eric Clapton et Jimmy Page, son jeu serait plutôt à attribuer à la fusion de la fougue et l'énergie Blues-rock des Rory Gallagher et Johnny Winter, couplé à la science et l'exploration du son de Jimi Hendrix et de Robin Trower. Du moins, en ce qui concerne sa première période qui prend fin avec cet album.


     Aujourd'hui, la réputation de Pat Travers a bien décliné. En dépit d'un inespéré sursaut entamé au début du siècle - notamment avec le partenariat de Carmine Appice sur l'album "It Takes A Lot Of Balls " -, il doit se contenter de jouer devant un public restreint, composé pour moitié de vieux nostalgiques. 

Pourtant, pour de nombreux guitaristes renommés - certes, dont la carrière remonte aux années 80 ou 90 -, il demeure une référence.




(1) Le premier effet de Chorus pour guitare date de 1975, et n'était disponible qu'avec l'ampli Roland JC120 dans lequel il était intégré. Suite au succès rencontré, la marque nippone Boss (département de Roland), sort l'effet sous forme de pédale : le Boss CE-1. On ne sait si c'était bien cet effet qu'utilisait alors Pat Travers, ou bien son MXR Phaser qui faisait effectivement parti de son arsenal. Sachant que le Phaser est nettement plus identifiable sur les deux précédentes galettes. Possible aussi que l'utilisation modéré de son A/DA Flanger y soit pour quelque chose, même si cet effet se distingue plutôt nettement sur la période suivante (avec Pat Thrall).
(2) Couteau de combat conçu par deux capitaines britanniques, dont la longue lame à double tranchant et effilée jusqu'à la garde, est faite pour le combat rapproché, et pénétrer aisément les corps des victimes.
(3) Des Hawks de Ronnie Hawkins ; probablement le premier chanteur Canadien (né en Arkansas) de Rock a atteindre une grande grande renommée. Surnommé le grand-père du Rock'n'Roll Canadien, il a été honoré par divers récompenses et titres, dont celui de membre du temple de la Renommée de la musique Canadienne, ainsi que celui de l'Arkansas et du Rockabilly, et officier honoraire de l'Ordre du Canada. En plus de diverses intronisations. Il prend Pat Travers sous son aile alors que le guitariste de l'Ontario n'a que 19 ans.
(4) Il a pu assister à un concert donné à Ottawa, le 19 mars 1968, près d'un an après avoir débuté la guitare. Cela l'a suffisamment marqué pour qu'il garde en mémoire la date précise.


 
🎶⚵ 
Autre article sur le Canadien : "Fidelis" (2010)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire