mercredi 4 décembre 2019

STEVE JONES " Mercy " (1987), by Bruno


     Steve Jones, un nom bien commun dans la perfide Albion, on en retrouve d'ailleurs une bonne poignée dans le milieu du sport. Celui-ci a marqué le monde de la musique au crépuscule des années 70, avec un groupe qui a réussi avec une carrière éclair à s'imposer à jamais dans le cœur des punks de toute la planète, les Sex Pistols. Aujourd'hui encore, ce groupe est un sujet de polémique, certains doutant même de l'authenticité du combo, prétextant un montage de l'astucieux filou Malcom McLaren. Rock'n'roll swindle ?
   Quoi qu'il en soit, cette petite frappe londonienne qui arrondissait ses fins de mois avec de petits larcins, s'était retrouvé dans un groupe d'irrévérencieux, attifés comme des as de pique, qui allait ruer dans les brancards avec leur musique bruyante héritée de Detroit et de New-York. Et si l'on ne devait s'en tenir qu'à leur musique, et non au charisme toxique de certains, outre le chant déglingué de Johnny Rotten, c'est Steve Jones et sa Gibson LesPaul Custom blanche de 1974 (1) qui ont construit le son des Pistols.
 

   Cependant, au contraire de John Lyndon, il n'a pas su rebondir après le clash des Pistols et a disparu des écrans radars avant de faire sa réapparition au sein de Chequered Past avec Michael DesBarres et des anciens musiciens de Blondie. Un groupe prometteur mais qui ne fit guère d'étincelles. (Du potentiel mais dès le départ, mal desservi pas un son hésitant entre la New-wave et le Punk-rock).

Enfin, à la fin des années 80, en seulement deux années, il sort du tunnel et fait à nouveau les titres de la presse musicale.
   Ça débute avec une collaboration qu'on aurait pu juger contre-nature, avec le guitariste de Duran-Duran, Andy Taylor (2). Cependant, il faut savoir que ce dernier, ne supportant plus la musique de Pop synthétique des "Fab Five " (sic), a préféré quitter le groupe - pendant l'enregistrement de "Notorious" (sorti fin 1986) - afin d'avoir toute liberté de jouer la musique qu'il aime. Établi depuis quelques temps à Los Angeles, il s'imprègne de la musique qui fait trembler les murs de la cité des Anges depuis quelques années. De plus, il se lie d'amitié avec un autre Anglais expatrié, Steve Jones.
Tout deux composent et enregistrent un lot de chansons qui vont constituer le premier disque en solo d'Andy Taylor, "Thunder". Un très bon album de Hard-rock US aux guitares velues et suantes et aux chants Pop-rock.

     Sur la lancée, reprenant confiance ne lui, Steve Jones enchaîne avec son propre disque, où il est le seul maître à bord. Il endosse les rôles d'auteur-compositeur, de guitariste - évidemment -, de bassiste, de chanteur et de co-producteur. C'est son disque. L'attente fut longue mais le résultat en valait la peine. Encore plus de la part d'une personne que l'on n'aurait jamais cru revoir sur scène. Encore moins en solo.

     Forcément, il y a quelques similitudes avec le "Thunder" d'Andy Taylor, surtout dans le rythme et la cadence. Cependant, si le premier se distingue par un son typé "Heavy-glam-pop-rock US" avec une bonne dose de réverbération et de distorsion sur les guitares, le second, lui, se démarque par un son cru, assez sec et plutôt ouvert. Une approche inattendue, voire curieuse, de la part de l'ex-punk. Comme si les années 80 et même les années punk avaient littéralement glissé sur lui, sans laisser aucune trace. Ou si peu.

     Ici, avec "Mercy",  ce serait plutôt le rhythm'n'blues des sixties et le Gros-rock de la décennie suivante qui semblent avoir laissé leurs marques. En effet, il avait pris une belle mandale à l'écoute de "Led Zeppelin II" et de Black Sabbath, deux groupes qui lui ont ouvert les portes d'un monde nouveau. Ainsi que Free, et plus tard Roxy Music. Et à l'inverse de ses années punk, plutôt que de foncer tête baissée avec force rage et débauche d'énergie, il joue avec une certaine nonchalance. Avec un flegme tout britannique, qui amène ces morceaux quelque part entre un Heavy-rock guindé et une forme de ... cold-metal. Une façon aussi d'accommoder les limites évidentes de son chant.

   Ce serait aussi la version plus rock et viril de "Pictures for Pleasure", le premier disque de Charlie Sexton, sorti deux ans auparavant, en 1985.
En plus d'une nouvelle maturité,le gaillard accuse désormais trente-deux ans au compteur. Ce qui l'amène à un peu plus de pondération.

     Des titres tels que "Mercy" (qui s'est retrouvé dans la B.O. bien Rock'n'roll de la série TV "Miami Vice" et de son long métrage, ainsi que dans celle de "Homeboy" de Mickey Rourke) et "Raining in My Heart", en dépit d'une relative froideur, plongent donc leurs racines dans les années 60. 
   Tandis que " With You Or Without You", "Through The Night", "That's Enough" et "Give It Up" sont d'évidentes émanations d'un Hard-rock typé 70's. Notamment au niveau de la guitare qui s'appuie principalement sur des power-chords. Tandis que le batteur, lui, se contente généralement de cogner comme un sourd sur la caisse claire et les toms ; et il y met tout son cœur. Sans plus de subtilité que ça. Sur le break de "Through The Night" le trépied doit plier sous les coups. Brutasse !. En dépit de la présence de Mickey Curry (Bryan Adams, Hall & Oates, The Cult, Bowie, Elvis Costello, etc), secondé par Jim Keltner (Leon Russell, Harry Nilsson, Ry Cooder, John Lenon, Randy Newman, George Harrison, Ringo Starr, Joe Cocker, BB King, Bob Dylan, Jackson Browne, Clapton, JJ Cale, Ronnie Wood, etc), ça manque souvent de swing, mais c'est  un choix permettant d'accéder à l'essentiel. Pas de chichi. Même si le producteur Bob Rose a bien réussi à placer quelques légères et mesurées touches de claviers. Pourtant aucunement expérimenté dans le gros rock, le producteur a très bien su mettre en valeur la musique de Jones, en lui donnant un relief et un dynamisme qui permettent à ce disque de garder, trente ans plus tard, toute sa fraîcheur et son attrait.
 

   "Mercy" - la chanson titre -, relativement dépouillée, prend des airs de repentir et de pénitence religieuse avec ses cloches et ses chœurs graves en forme de mantra, quasiment subliminaux.

"Le temps gâché ... Où est l'amour que j'ai perdu ? Où est la miséricorde et la confiance ?"
Pas vraiment gai, mais le fringant Heavy de "Give It Up", suivi par le proche cousin "That's Enough", forment un duo gagnant qui envoie Jones crâner dans les cieux, parader fièrement sur sa grosse cylindrée pétaradante (à l'époque, il ne décollait pas de sa Harley Sportster - celle de la photo du verso de la pochette -). Enfin, il peut relever la tête et toiser ceux qui l'ont cru fini.
     Sur "Pretty Baby", Jones joue au crooner, à un Tom Jones fébrile, ménageant ses cordes vocales, sur un riff de Hard US primaire, tempéré par quelques douces nappes de synthés (heureusement en retrait). Sur le papier, ça semble une gageure, pourtant, la sauce prend. "And my love, in your eyes ..."
   Avec "Drug Sucks", la pièce la plus brute et rêche, où vient sourdre un passé punk qui le relie à l'approche de Billy Idol, il parvient à exprimer ses regrets, sous une forme mélancolique où pointe la recherche d'absolution.
   Amusant aussi ce "Through The Night" qui évoque "I Drove The Night", dans une interprétation de Pop-metal implacable fusionnant la version de Roy Orbison avec la partie charnue de celle de Cyndi Lauper.
Les riffs sont basiques, mais possèdent une force et un engouement qui ensorcellent. Invitant l'auditeur à enfourcher sa bécane, ou prendre le volant de sa Shelby (ou de sa Twingo tunée) et à prendre la route, musique à donf, cheveux au vent, et tracasseries au placard.
 

    Sur " With You Or Without You", on soupçonne l'incursion de l'ex-Duran Duran, Andy Taylor, qui aurait sournoisement laissé la trace de ses anciennes mœurs commerciales avec de petites notes de piano synthétique et la voix sensuelle d'une demoiselle susurrant des mots tendres.

Une fois de plus, Jones n'a aucun a priori à se livrer nu avec cette chanson contant les blessures de l'Amour, celles qui meurtrissent un homme jusqu'à le rendre faible et reclus. On est bien loin des fanfaronnades punks d'antan. 

     L'ensemble de "Mercy" est un succulent cocktail qui va électriser et réveiller un iguane qui rechargeait ses blessures à la cité des Anges.


     Par contre, serait-ce le signe d'un goût persistant de la provocation, mais ce "Love Letters" final est pour le moins surprenant. A se demander s'il n'a pas replongé dans la came. Une chanson à l'origine instrumentale, bande-son larmoyante du film du même nom de 1945, puis chantée par l'acteur-chanteur Argentin Dick Haymes. En 1961, Ketty Lester en donne une version avec plus de corps, nettement plus organique, bien qu'avec une orchestration minimale. C'est sur cette dernière que Jones s'appuie. Evidemment, l'acte est plutôt présomptueux, et, en conséquence, Jones s'y casse les dents, donnant l'image d'un vieil alcoolo marmonnant sa chanson. Un final saugrenu qui néanmoins ne parvient pas à gâcher l'excellence de cette galette inespérée.

     Modestement, lors de ses interviews, il répondra qu'il n'a rien fait de bien compliqué. Que finalement, il s'est contenté de recycler des riffs millésimés 70's (probablement ceux du Glam-rock et du Hard-rock) sur du mid-tempo. Toutefois, comme le disait un chapeauté caché derrière une sombre crinière bouclée et des lunettes fumées, avec une Gibson Les Paul et un double corps Marshall, ça sonne forcément. Et ceux qui, équipés ainsi, n'arriveraient pas à sortir un riff, feraient mieux de raccrocher. 

     Après cet excellent album, Steve Jones, désormais bien chaud et affûté, l'esprit alerte, ne baisse pas les bras. Il donne à nouveau un sérieux coup de main à un autre de ses amis. Cette fois-ci, c'est à James Osterberg qu'il apporte son concours, lui offrant quatre morceaux, et l'aidant à peaufiner le reste. Il l'accompagne même sur scène avant de laisser sa place pour la tournée européenne à l'ex Hanoi-Rocks, Andy McCoy.



(1) Une Gibson Les Paul Custom qui a d'abord appartenu à Sylvain Sylvain, des New York Dolls, qui retira la plaque de protection et colla les stickers de pin-ups des 50's toujours présents. Malcom McLaren qui l'aurait reçu des mains de Sylvain Sylvain [si c'est bien le cas, c'est qu'il ne devait pas être bien frais], l'offre à Steve Jones - qui n'en jouait pas - pour qu'il endosse le poste de guitariste, laissant alors le poste de chanteur à Johnny Lyndon. Jones doit alors apprendre en quelques mois les rudiments qui vont lui permettre d'assurer le minimum syndical. 
(2) Qui héberge un temps Steve Jones, qui crèche alors à droite et à gauche, dans sa maison de Malibu.



🎼🎶♬
Articles liés (lien) : ⇨ Iggy Pop "Instinct" (1988) ; ⇨ Andy Taylor "Thunder" (1987)

2 commentaires:

  1. après le "clash" des Pistols... ah ah !

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    1. Oui, je sais, elle était facile ... mais pourquoi se priver

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