samedi 19 octobre 2019

SCHUMANN – Études symphoniques pour piano (1834) – Evgeny KISSIN (1990) – par Claude Toon




- Jolie, pimpante et poétique M'sieur Claude cette œuvre pour piano. Schumann ? Il me semblait que la musique pour piano de ce compositeur n'était pas votre tasse de thé…
- Je reformule autrement Sonia, jouée mollement, j'avoue je m'ennuie… Schumann demande certes de la virtuosité mais aussi de la pétulance, c'est le cas ici !
- Il me semble bien jeune ce pianiste russe a priori vu la photo, un débutant ?
- Il a 47 ans, mais nous écoutons ici ces études enregistrées lors de son premier récital à Carnegie Hall en 1990, le pianiste s'apprêtant à célébrer ses 19 ans…
- Ah oui précoce le jeune homme, il fait son entrée au panthéon du blog de son vivant ! Hihihi…
- Exact ! Et de plus il interprète l'intégralité des 18 études et non l'édition originelle qui se limitait à 13, une histoire assez compliquée…

Schumann en 1834
Robert Schumann a déjà donné lieu à plusieurs articles dans le blog. La symphonie le Printemps a clôt l'exploration de ses quatre symphonies, cycle majeur de l'époque romantique. Le génial quintette avec piano, quelques pièces de musique de chambre et des ouvertures orchestrales complètent la liste des chroniques consacrées à l'homme tourmentée mort tragiquement de maladie mentale en 1856 seulement âgé de 46 ans. Il était temps d'aborder son œuvre pianistique très appréciée des virtuoses mais parfois difficile à aborder de par l'originalité de son écriture par rapport à celle Chopin par exemple.
Une biographie générale est à lire dans l'article dédié à sa symphonie Rhénane (Clic). 1834 : Schumann a 24 ans. Il a travaillé de manière acharnée son piano, n'étant hélas pas aussi talentueux que souhaité. Trop d'acharnement ; ses "bricolages" pour s'assouplir les doigts de force n'ont fait que provoquer des tendinites qui mettent fin définitivement à ses ambitions de pianiste brillant… L'homme étant déjà de nature hypocondriaque et dépressive, cet échec aggrave ses tendances mélancoliques. Une femme, brillante pianiste, va transformer sa vie.
Il a rencontré lors de ses études la jeune Clara Wieck qui déjà en pince pour Robert Schumann et fascine le public européen par son talent au clavier. Je ne reviens pas sur le conflit avec le père de la demoiselle, professeur de Robert et facteur de piano, qui finira, contraint par ordre de justice en 1840, par accepter la liaison et enfin le mariage de sa fille avec le compositeur. Clara épouse Schumann est devenue en dix ans sa muse et offre ses mains expertes pour jouer la musique composée sans contrainte technique par son mari. Il faut préciser qu'avant de retrouver Clara en 1835, Robert a fréquenté Christel Mc Garten. Amourette de deux ans entre grands ados qui ne lui apporte pas grand-chose artistiquement parlant, mais le contamine de la syphilis traitée à l'arsenic, un cadeau empoisonné fréquent à l'époque qui peut expliquer sa folie ultérieure et sa mort prématurée… Toujours pour imiter Gala et VSD, signalons qu'il se fiance avec Ernestine von Fricken. Une riche héritière qui, hélas, ne pourra en définitive hériter de rien ! Il y a rupture, mais cette jeune personne a stimulé le compositeur à travailler ses premiers ouvrages ambitieux pour le piano : Carnaval et Les études symphoniques que nous écoutons aujourd'hui.
Les Études symphoniques restent de nos jours la suite de pièces la plus jouée du maître.
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Clara vers 1840
L'ouvrage, comme souvent les compositions qui réunissent des pièces suivant un fil conducteur a été remanié de nombreuses fois entre sa genèse en 1834, les modifications apportées par Schumann à la fin de sa vie et la découverte d'études posthumes qui peuvent être ajoutées au gré des interprètes.
La partition initiale, portait une humble annotation "La composition d'un amateur". Beau joueur, Robert Schumann rappelait que le thème principal lui avait été suggéré par le Baron von Fricken, le tuteur d'Ernestine.
Schumann compose à l'époque : le thème, le final assez grandiose et une série de 16 études dont 14 variations. Mais, la première édition de 1837 ne comporte que 11 de ces études dont 9 variations sur le thème introductif. Cet ensemble de 13 pièces est le plus fréquemment joué en concert. En 1852, Schumann retire les études 3 et 9. L'histoire ne s'arrête pas là. Après quelques péripéties éditoriales après la mort du compositeur, Brahms restitue l'intégralité des 16 variations dans une édition ainsi complète. C'est dans cette continuité qu'Evgeny Kissin interprète cette œuvre imposante lors de son récital de 1990. Et franchement, la fantaisie ainsi restituée est remarquable.
Les Études symphoniques ont porté un nombre de titres des plus variés, notamment "Études de caractère orchestral pour Florestan et Eusebius." Schumann en bon romantique a imaginé deux personnages qui symbolisent la dualité de sa pensée qui, pour certains se rapproche d'un dédoublement de personnalité. Eusébius : personnalité rêveuse, introvertie, une grande sensibilité secrète captivée par la poésie. Florestan, son adversaire antithétique revendique haut et fort les emportements fougueux voire tragiques, mais aussi le goût pour la joyeuse folie, le cocasse et le burlesque. Deux tempéraments totalement opposés qui caractérisent le style de ses compositions si contrastées, le va-et-vient entre la noirceur et l'enthousiasme débridé.
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Evgeny Kissin est né en 1971. Sa mère est pianiste. Surdoué ? Le mot est faible puisque dès deux ans il pianote des airs de Chopin entendus de-ci de-là. Il étudie au conservatoire de Moscou. À dix ans il se produit sur scène avec orchestre dans le difficile concerto N°20 K 466 de Mozart. Il donne son premier récital l'année suivante et en 1984, à seulement 14 ans, il enchaîne les deux redoutables (techniquement parlant) concertos de Chopin
En 1988 et 1989, Herbert von Karajan l'invite à jouer le 1er concerto de Tchaïkovski avec la philharmonie de Berlin. (CD édité chez DG.) En 1990, il franchit l'Atlantique et accède définitivement à la célébrité avec un récital à Carnegie hall. Au programme : les Études symphoniques de Schumann écoutées ce jour mais aussi Chopin, Liszt et Prokofiev. Un programme qui reflète bien son répertoire de prédilection : les romantiques et les compositeurs russes du XXème siècle. Son compositeur favori est Bach qu'il aborde peu en récital. Sa discographie orientée autour des compositeurs cités est abondante et bien rééditée, principalement chez RCA.
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Ernestine von Fricken
Le mot Étude dans le répertoire pianistique fait parfois craindre une suite lancinante de pièces académiques pour travailler un aspect précis de la technique de l'instrument : les auriculaires, les accords, les quintes, les rythmes, la vélocité, etc… La liste est infinie. (Je me rappelle avoir travaillé une Étude qui nécessitait de cavaler comme un dingue uniquement sur les touches noires, heureusement personne n'a enregistré le massacre pour publication sur YouTube.) On caricature à tort les cahiers de Czerny, passage obligé pour tout apprenti virtuose, études à l’esthétique certes parfois limitée sur le plan émotionnel. Et pourtant des grands pianistes n'ont pas hésité à en enregistrer certaines bien agréables à écouter.
Et puis il y a les grands compositeurs qui transforment l'exercice en œuvre dans le sens le plus noble du terme. Mais attention, la plupart du temps, sans avoir suivi la progression pédagogique de l'ami Czerny, et bien dur dur ! Citons les Études d'exécution transcendante de Liszt, celles de Chopin, les très poétiques de Debussy.
Schumann a posé deux principes : chaque variation ne doit pas dépasser une page de partition et la joyeuse fantaisie doit se confronter à une certaine nostalgie. Cela pour répondre à une conception proche de la dualité "Florestan et Eusebius". En conséquence, commenter chaque pièce de musique pure n'aurait aucun sens, les indications de tempi suffisent. Le thème introductif, élégiaque est dédié à Eusébius, le final, en forme de marche épique à Florestan. Un final souvent interprété bien bourrin : trop lent, trop appuyé… Écoutez donc le miracle d'allégresse, de légèreté et d'épicurisme de Evgeny Kissin qui se rappelle que Schumann a 24 ans et voltige d'une amourette à une autre…
[V1]
Thème – Andante
[V10]
  Variation V – Moderato
[V2]
Étude I (Variation 1) – Un poco più vivo
[V11]
Étude VII (Variation 6) – Allegro molto
[V3]
  Variation I – Andante, Tempo del tema
[V12]
  Variation III – Allegro
[V4]
Étude II (Variation 2) – Andante
[V13]
Étude VIII (Variation 7) – Sempre marcatissimo
[V5]
Étude III – Vivace
[V14]
Étude IX – Presto possibile
[V6]
Étude IV (Variation 3) – Allegro marcato
[V15]
  Variation II – Meno mosso
[V7]
Étude V (Variation 4) – Scherzando
[V16]
Étude X (Variation 8) – Allegro con energia
[V8]
Étude VI (Variation 5) – Agitato
[V17]
Étude XI (Variation 9) – Andante espressivo
[V9]
  Variation IV – Allegretto
[V18]
Finale – Allegro brillante (sur un thème martial)



Les titres et tempos de variations inscrites en bistre sont ceux des cinq études posthumes retrouvées et corrigées en 1873 par Brahms. Evgeny Kissin les a intégrées selon son bon vouloir…
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L'interprétation d'Evgeny Kissin vif-argent et réunissant toutes les études est un must. On la trouve dans un coffret consacré à ses interprétations de la musique de Schumann mais aussi dans un double album du live de Carnegie Hall en 1990 qui permet de découvrir le talent du jeune virtuose. L'étude X notée allegro con energica est interprétée andantino ?! Un choix iconoclaste qui ne me gêne pas.

Jouant en 1983 l'édition de 1837, Ivo Pogorelich adopte un jeu ludique très contrasté et bouillonnant de vie. La sensibilité à fleur de peau de l'introduction Andante tire les larmes (DG – 6/6) Quelques compléments passionnants : la sonate opus 111 de Beethoven et quatre pièces de Chopin.

Introverti et méditatif dans les premières études, Maurizio Pollini qui a gravé plusieurs fois ces études se révèle plus volcanique dans le final. Voici le disque de 1984 dans lequel le pianiste intègre les cinq études posthumes de 1873 entre les études V et VI de 1837. La présence du concerto en complément, le pianiste étant accompagné par son vieil ami Claudio Abbado dirigeant la Philharmonie de Berlin, hisse ce disque dans la catégorie des incontournables (DG – 6/6)

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