- Jolie, pimpante et poétique M'sieur Claude cette œuvre pour piano.
Schumann ? Il me semblait que la musique pour piano de ce compositeur
n'était pas votre tasse de thé…
- Je reformule autrement Sonia, jouée mollement, j'avoue je m'ennuie…
Schumann demande certes de la virtuosité mais aussi de la pétulance, c'est
le cas ici !
- Il me semble bien jeune ce pianiste russe a priori vu la photo, un
débutant ?
- Il a 47 ans, mais nous écoutons ici ces études enregistrées lors de son
premier récital à Carnegie Hall en 1990, le pianiste s'apprêtant à
célébrer ses 19 ans…
- Ah oui précoce le jeune homme, il fait son entrée au panthéon du blog
de son vivant ! Hihihi…
- Exact ! Et de plus il interprète l'intégralité des 18 études et non
l'édition originelle qui se limitait à 13, une histoire assez
compliquée…
Schumann en 1834 |
Une biographie générale est à lire dans l'article dédié à sa
symphonie Rhénane
(Clic). 1834 :
Schumann
a 24 ans. Il a travaillé de manière acharnée son piano, n'étant hélas pas
aussi talentueux que souhaité. Trop d'acharnement ; ses "bricolages" pour
s'assouplir les doigts de force n'ont fait que provoquer des tendinites qui
mettent fin définitivement à ses ambitions de pianiste brillant… L'homme
étant déjà de nature hypocondriaque et dépressive, cet échec aggrave ses
tendances mélancoliques. Une femme, brillante pianiste, va transformer sa
vie.
Il a rencontré lors de ses études la jeune
Clara Wieck qui déjà en pince
pour
Robert Schumann et fascine le public européen par son talent au clavier. Je ne reviens pas
sur le conflit avec le père de la demoiselle, professeur de
Robert
et facteur de piano, qui finira, contraint par ordre de justice en
1840, par accepter la liaison
et enfin le mariage de sa fille avec le compositeur.
Clara épouse Schumann
est devenue en dix ans sa muse et offre ses mains expertes pour jouer la
musique composée sans contrainte technique par son mari. Il faut préciser
qu'avant de retrouver
Clara
en 1835,
Robert
a fréquenté Christel Mc Garten.
Amourette de deux ans entre grands ados qui ne lui apporte pas grand-chose
artistiquement parlant, mais le contamine de la syphilis traitée à
l'arsenic, un cadeau empoisonné fréquent à l'époque qui peut expliquer sa
folie ultérieure et sa mort prématurée… Toujours pour imiter Gala et VSD,
signalons qu'il se fiance avec
Ernestine von Fricken. Une
riche héritière qui, hélas, ne pourra en définitive hériter de rien ! Il y a
rupture, mais cette jeune personne a stimulé le compositeur à travailler ses
premiers ouvrages ambitieux pour le piano :
Carnaval
et
Les
études symphoniques
que nous écoutons aujourd'hui.
Les
Études symphoniques
restent de nos jours la suite de pièces la plus jouée du maître.
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Clara vers 1840 |
L'ouvrage, comme souvent les compositions qui réunissent des pièces suivant
un fil conducteur a été remanié de nombreuses fois entre sa genèse en
1834, les modifications
apportées par Schumann à la fin de sa vie et la découverte d'études
posthumes qui peuvent être ajoutées au gré des interprètes.
La partition initiale, portait une humble annotation "La composition d'un amateur". Beau joueur,
Robert Schumann
rappelait que le thème principal lui avait été suggéré par le
Baron von Fricken, le tuteur
d'Ernestine.
Schumann
compose à l'époque : le thème, le final assez grandiose et une série de 16
études dont 14 variations. Mais, la première édition de
1837 ne comporte que 11 de ces
études dont 9 variations sur le thème introductif. Cet ensemble de 13 pièces
est le plus fréquemment joué en concert. En
1852,
Schumann
retire les études 3 et 9. L'histoire ne s'arrête pas là. Après quelques
péripéties éditoriales après la mort du compositeur,
Brahms restitue l'intégralité des 16 variations dans une édition ainsi complète.
C'est dans cette continuité qu'Evgeny Kissin interprète cette œuvre imposante lors de son récital de
1990. Et franchement, la
fantaisie ainsi restituée est remarquable.
Les
Études symphoniques
ont porté un nombre de titres des plus variés, notamment "Études de caractère orchestral pour Florestan et Eusebius."
Schumann
en bon romantique a imaginé deux personnages qui symbolisent la dualité de
sa pensée qui, pour certains se rapproche d'un dédoublement de personnalité.
Eusébius : personnalité
rêveuse, introvertie, une grande sensibilité secrète captivée par la poésie.
Florestan, son adversaire
antithétique revendique haut et fort les emportements fougueux voire
tragiques, mais aussi le goût pour la joyeuse folie, le cocasse et le
burlesque. Deux tempéraments totalement opposés qui caractérisent le style
de ses compositions si contrastées, le va-et-vient entre la noirceur et
l'enthousiasme débridé.
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Evgeny Kissin
est né en 1971. Sa mère est
pianiste. Surdoué ? Le mot est faible puisque dès deux ans il pianote des
airs de
Chopin
entendus de-ci de-là. Il étudie au conservatoire de Moscou. À dix ans il se
produit sur scène avec orchestre dans le difficile
concerto N°20 K 466
de
Mozart. Il donne son premier récital l'année suivante et en 1984, à
seulement 14 ans, il enchaîne les deux redoutables (techniquement parlant)
concertos
de
Chopin…
En 1988 et
1989,
Herbert von Karajan
l'invite à jouer le
1er concerto
de
Tchaïkovski
avec la
philharmonie de Berlin. (CD édité chez DG.) En
1990, il franchit l'Atlantique
et accède définitivement à la célébrité avec un récital à Carnegie hall. Au
programme : les
Études symphoniques de Schumann
écoutées ce jour mais aussi
Chopin,
Liszt
et
Prokofiev. Un programme qui reflète bien son répertoire de prédilection : les
romantiques et les compositeurs russes du XXème siècle. Son
compositeur favori est
Bach
qu'il aborde peu en récital. Sa discographie orientée autour des
compositeurs cités est abondante et bien rééditée, principalement chez
RCA.
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Ernestine von Fricken |
Le mot Étude dans le
répertoire pianistique fait parfois craindre une suite lancinante de pièces
académiques pour travailler un aspect précis de la technique de l'instrument
: les auriculaires, les accords, les quintes, les rythmes, la vélocité, etc…
La liste est infinie. (Je me rappelle avoir travaillé une Étude qui nécessitait de cavaler
comme un dingue uniquement sur les touches noires, heureusement personne
n'a enregistré le massacre pour publication sur YouTube.) On caricature à tort les cahiers de
Czerny, passage obligé pour tout apprenti virtuose, études à l’esthétique certes
parfois limitée sur le plan émotionnel. Et pourtant des grands pianistes
n'ont pas hésité à en enregistrer certaines bien agréables à écouter.
Et puis il y a les grands compositeurs qui transforment l'exercice en œuvre
dans le sens le plus noble du terme. Mais attention, la plupart du temps,
sans avoir suivi la progression pédagogique de l'ami
Czerny, et bien dur dur ! Citons les Études d'exécution transcendante de
Liszt, celles de
Chopin, les très poétiques de
Debussy.
Schumann
a posé deux principes : chaque variation ne doit pas dépasser une page de
partition et la joyeuse fantaisie doit se confronter à une certaine
nostalgie. Cela pour répondre à une conception proche de la dualité "Florestan et Eusebius". En conséquence, commenter chaque pièce de musique pure n'aurait aucun
sens, les indications de tempi suffisent. Le thème introductif, élégiaque
est dédié à
Eusébius, le final, en forme de marche épique à
Florestan. Un final souvent interprété bien bourrin : trop lent, trop appuyé…
Écoutez donc le miracle d'allégresse, de légèreté et d'épicurisme de
Evgeny Kissin
qui se rappelle que
Schumann
a 24 ans et voltige d'une amourette à une autre…
[V1]
|
Thème – Andante
|
[V10]
|
Variation V – Moderato
|
[V2]
|
Étude I (Variation 1) – Un poco più vivo
|
[V11]
|
Étude VII (Variation 6) – Allegro molto
|
[V3]
|
Variation I – Andante, Tempo del tema
|
[V12]
|
Variation III – Allegro
|
[V4]
|
Étude II (Variation 2) – Andante
|
[V13]
|
Étude VIII (Variation 7) – Sempre marcatissimo
|
[V5]
|
Étude III – Vivace
|
[V14]
|
Étude IX – Presto possibile
|
[V6]
|
Étude IV (Variation 3) – Allegro marcato
|
[V15]
|
Variation II – Meno mosso
|
[V7]
|
Étude V (Variation 4) – Scherzando
|
[V16]
|
Étude X (Variation 8) – Allegro con energia
|
[V8]
|
Étude VI (Variation 5) – Agitato
|
[V17]
|
Étude XI (Variation 9) – Andante espressivo
|
[V9]
|
Variation IV – Allegretto
|
[V18]
|
Finale – Allegro brillante (sur un thème martial)
|
Les titres et tempos de variations inscrites en bistre sont ceux des cinq études posthumes retrouvées et corrigées en 1873 par Brahms. Evgeny Kissin les a intégrées selon son bon vouloir…
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L'interprétation d'Evgeny Kissin
vif-argent et réunissant toutes les études est un must. On la trouve dans un
coffret consacré à ses interprétations de la musique de
Schumann mais aussi dans un double album du live de Carnegie Hall en
1990 qui permet de découvrir le
talent du jeune virtuose. L'étude X notée allegro con energica est
interprétée andantino ?! Un choix iconoclaste qui ne me gêne pas.
Jouant en 1983 l'édition de
1837,
Ivo Pogorelich
adopte un jeu ludique très contrasté et bouillonnant de vie. La sensibilité
à fleur de peau de l'introduction Andante tire les larmes (DG
– 6/6) Quelques compléments passionnants : la
sonate opus 111
de
Beethoven
et quatre pièces de
Chopin.
Introverti et méditatif dans les premières études,
Maurizio Pollini
qui a gravé plusieurs fois ces études se révèle plus volcanique dans le
final. Voici le disque de
1984 dans lequel le pianiste
intègre les cinq études posthumes de
1873 entre les études V et VI
de 1837. La présence du
concerto en complément, le pianiste étant accompagné par son vieil ami
Claudio Abbado
dirigeant la
Philharmonie de Berlin, hisse ce disque dans la catégorie des incontournables (DG
– 6/6)
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