samedi 9 mars 2013

La Symphonie "Rhénane" de SCHUMANN – Wolfgang Sawallisch - par Claude Toon



- Bonjour M'sieur Claude, c'est plein d'énergie ce que vous écoutez, c'est bien pour décoller ce matin…. C'est quoi ?
- La symphonie "Rhénane" de Robert Schumann, un compositeur allemand, romantique à mort, dont je n'ai pas encore parlé dans le blog ?
- Tiens, je croyais que c'était un homme politique actif lors de la création de l'union Européenne dans les années 50…
- Deux homonymes mon petit chat… Le musicien est lui un personnage balzacien, hyper tourmenté, il finira sa vie complètement fou…
- Il a dû écrire une musique bien sombre alors…
- Et bien justement non, une musique très contrastée, instinctive, celle d'un homme qui court après la vie…
- Bon je verrai tout cela… Ah cool, une fois de plus vous proposez l'intégrale via You Tube… Une référence discographique vous connaissant…


Robert Schumann


Il est assez difficile d'écrire la biographie de Robert Schumann, le compositeur romantique le plus passionné qui soit. Je n'ai pas la plume de Dumas, et ce n'est pas la vocation du blog de réécrire les ouvrages très documentés existants. Le jeune Robert voit le jour en Allemagne en 1810. Contemporain de Mendelssohn (clic) et Chopin (clic), il est donc destiné à suivre le mouvement romantique déclenché par Beethoven avec sa 3ème symphonie en 1804 (clic).
Il commence assez tôt son apprentissage musical même si ses parents le destinent à suivre des études de droit à Leipzig. C'est à Leipzig que le jeune homme va s'intéresser à un personnage un peu fat, Friedrich Wieck, facteur de piano de son état et auteur d'une méthode d'apprentissage du clavier soit disant révolutionnaire… Robert se passionne encore plus pour la toute jeune Clara Wieck, la fille du bonhomme. Clara promet à la mère de Robert de faire de son fils l'un des premiers virtuoses de son temps. La suite est connue et mystérieuse. Robert va tout tenter pour y parvenir mais des tendinites des doigts vont briser ses rêves. On a évoqué les conséquences funestes d'un gadget conçu par le jeune pianiste pour gagner en dextérité, une maladie génétique, ou encore les premiers symptômes de la syphilis contractée lors d'une de ses liaisons passagères.
Cet échec dramatique n'arrange en rien le caractère hypocondriaque et dépressif de Schumann. Il se consacre pourtant à l'écriture de pièces qui constitueront par ses innovations le début d'un legs pianistique majeur du romantisme. Davidsbündlertänze, Carnaval et Études symphoniques, datent de cette époque.
En 1834, il retrouve Clara, devenue une jeune femme adulée pour ses talents pianistiques. C'est la romance puis l'amour fou. Clara devient aussi "les mains" du compositeur, génie mais pianiste handicapé. Elle est presque majeure. Il veut l'épouser mais va se heurter des années durant au refus du père Wieck (jusqu'en 1840 quand un tribunal lui donnera raison).
En 1839, il fait créer par Mendelssohn la Grande Symphonie N°9 de Schubert redécouverte dans les papiers du père de Franz. Car Schumann sera aussi un musicologue et critique avisé. Jusqu'en 1852, tant à Leipzig qu'à Dresde, Schumann crée sans cesse. Voient le jour : les premières symphonies, de la musique de chambre fougueuse, et toujours des œuvres pour le piano. Mais vers la fin de cette période, sa santé se dégrade, il subit le complexe du "mari de la pianiste". Angoisse, vertiges et mille autres maux l'assaillent…
Chef médiocre, il crée pourtant avec succès sa symphonie N° 3 Rhénane en 1851, puis en 1853 la quatrième avec le même accueil favorable. Dès 1854, il souffre d'acouphènes, d'hallucinations, s'enfonce dans la folie pour utiliser un mot simple, et traduire ainsi la souffrance d'un homme torturé et désespéré, plutôt que spéculer sur un diagnostic. En 1856, il semblerait qu'il ait fait une tentative de suicide en se jetant dans le Rhin. Réalité ou légende ? Clara prend peur et se réfugie chez des amis. L'asile sera la dernière demeure de Robert. Schumann se laisse mourir de faim en juillet 1856 après de bien rares visites de Brahms (clic) et de… Clara, dont Robert avait brûlé toutes les lettres…
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Wolfgang Sawallisch



En ébauchant une chronique sur une grande œuvre du répertoire, se pose inlassablement la même question : quel interprète(s) choisir ? J'essaye, dans la mesure du possible, et en visant toujours un excellent niveau d'inspiration, de présenter des artistes les plus divers, de ne pas tourner en rond sur les mêmes chefs ou solistes, si illustres soient-ils. Pour Schumann, plusieurs évidences se présentaient, dont Wolfgang Sawallisch encore absent du Deblocnot'. Un choix d'autant plus évident que cet immense directeur d'orchestre approchant les 90 ans méritait un retour sur une carrière exemplaire. Et entre temps, le destin frappait et me conduisait à écrire le RIP paru la semaine passée. Concours de circonstances douloureux qui justifie d'autant cette chronique en hommage à cette figure incontournable parmi les maestro de la seconde moitié du XXème siècle. J'écrivais donc :
Né en 1923, pianiste de formation, brillant accompagnateur, puis chef d'orchestre, Sawallisch a parcouru 60 ans de carrière avec un style très personnel dans ces années de star système inaugurées par Karajan et Bernstein. Son style se voulait résolument clair et dru, en respect absolu du texte. Sawallisch n'ajoute aucun hédonisme aux partitions. Il conduira la destinée des orchestres parmi les plus brillants de la planète : Orchestre de Philadelphie, Opéra d'État de Bavière, Orchestre symphonique de Vienne, Orchestre philharmonique de Hambourg, Orchestre de la Suisse romande et en tant qu'invité de marque, celui de la Staatskapelle de Dresde avec lequel il a signé des enregistrements remarquables, notamment le cycle symphonique de Schumann.
Sawallisch affectionnait en premier lieu le répertoire romantique : Schubert, Mendelssohn, Schumann, Bruckner, Wagner et Richard Strauss.
L'homme était discret, ne faisait guère la une des tabloïds. Il inspirait par contre un grand respect dans la presse musicale spécialisée.
J'avais complété ces lignes de quelques références discographiques essentielles tant dans son parcours personnel que dans la discographie d'œuvres du grand répertoire classique et romantique. (clic)
Et c'est précisément dans Schumann, que nous allons retrouver ce goût pour la clarté et l'énergie dans son style de direction.
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La symphonie N°3 Rhénane



Schumann est le compositeur du début du romantisme dont les symphonies se détournent assurément du classicisme, malgré des sous titres évocateurs. Chez Mozart et Haydn, le discours ne se veut ni descriptif ni métaphysique, mais nourris d'émois et de beautés sonores. Beethoven, lui, se veut descriptif dans la symphonie "Pastorale" voire militant dans "l'héroique". Schumann échappe aux deux approches. Sa musique plonge ses racines dans ses pensées, ses joies et angoisses, ses impressions face à un paysage ou un visage. Schumann est le peintre musical de ses sentiments les plus intimes. Il est pour ainsi dire un impressionniste avant l'heure. La symphonie "Rhénane" porte ce nom du fait que le compositeur résidait alors à  Düsseldorf, ville baigné par un puissant fleuve, le "Rhin". La symphonie ne se réclame pas d'une inspiration "à la Moldau de Smetana". Peut-on imaginer que Schumann  tisse des liens  dans son inspiration entre les caprices du fleuve aux eaux boueuses et les affres dont il souffre déjà en 1851  ? Et bien… pas du tout !
Autre innovation, la symphonie ne suit pas le schéma classique en 4 mouvements : vif, lent, vif (menuet, scherzo), vif pour le final. Non, elle en comporte 5, notés avec des tempos en allemand et non en italien, et intègre ainsi deux mouvements lents. Ce découpage préfigure donc l'éclatement du plan académique opéré par Mahler 50 ans plus tard. L'orchestration est assez brillante : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes et 3 trombones dans le célèbre et élégiaque "Feierlich", et peu de cordes (souhait du compositeur pour ne pas "écraser" l'harmonie ; un désir pas toujours respecté…). C'est Schumann qui asusra la création à Düsseldorf en février 1851. Clara avait convaincu son mari d'écrire cette œuvre pour tenter de lui faire retrouver confiance en son talent. Cette initiative d'une épouse psychologue nous a donné un chef-d'œuvre…

1 – Lebhaft (Vivement) : La symphonie Rhénane fait partie d'un style d'œuvres particulières, celles qui donnent l'impression de prendre le train en marche… Pas d'introduction interrogative avec des thrènes énigmatiques aux cordes (Symphonie "Passionne" de Haydn), ou de groupes d'accords énergiques (le thème de la cinquième de Beethoven, au hasard). Le flot sonore ondoyant et puissant semble avoir toujours existé avant la première mesure. Est-ce une vision musicale du courant du Rhin qui nous emporte depuis toujours ? De toute évidence la contemplation de l'eau réconforte le compositeur qui se remettait d'une longue dépression et luttait contre les acouphènes. Cette symphonie commence en effet d'une manière enjouée. L'écriture est très novatrice. Comme l'introduction le laissait envisager, la forme sonate ne s'impose pas avec la rigueur habituelle. De longues phrases tumultueuses s'entrelacent. L'utilisation de motifs thématiques en leitmotive suggère un flot houleux, un discours musical indiscipliné. Sawallisch assure une direction nerveuse, précise et tendue. Le chef nous entraîne à la suite d'un compositeur qui renoue avec la vie. L'orchestre est clair, les cuivres de Dresde éclatants, les cordes chantent et le chef retient les contrebasses souvent promptes à alourdir l'orchestration de Schumann. Sonia avait parfaitement raison de dire "c'est plein d'énergie".
2 - Scherzo : Sehr Mässig (Très modéré) : Oui, comme je l'ai mentionné, Schumann privilégie l'impression à la description et donc, très logiquement, nous fait partager les atmosphères de ses promenades au bord du Rhin, dans la ville ou les campagnes qu'il découvre. Le délicieux scherzo est écrit dans la droite ligne de cette recherche. La mélodie se fait balade. Une jolie romance aux cordes appuyée par un orchestre aux accents staccatos et bucoliques évoque le plaisir de vivre dans cette verdoyante Rhénanie dans laquelle serpente le Rhin. Sawallisch joue la carte de l'élégance avec un tempo modéré mais aucunement traînant. Dans le trio, on pourrait percevoir l'allégresse de danses villageoises.

3 - Nicht schnell (peu rapide) : La petite harmonie introduit ce petit mouvement lent et secret. À quoi songe Schumann en imprimant un rythme si doux à ce passage si calme et sans mélancolie. Les clarinettes entonnent un chant d'une grande simplicité. Les violons relancent sans relâche leurs arpèges qui nous montrent un homme tranquille qui avance le long du fleuve, s'arrêtant pour contempler les lumières et les couleurs de la vallée. Là encore, avec une battue, disons une caresse, le chef nous éblouit par la délicate pudeur imprimée à cette page.

4 : Feierlich (Solennel) : Ce passage empreint de gravité est très connu (pub, films). Gravité ou méditation ? La gravité surgit de l'orchestration, notamment de traits violents des contrebasses et des accords de trombones. À quoi songe Schumann en écrivant ce poignant et nostalgique mouvement ? Cette musique ne serait-elle pas le reflet de l'âme tourmentée de Schumann, ses craintes, le regret d'imposer ses souffrances récurrentes à Clara ? Là est le mystère de cette musique hypnotique ! En allégeant le trait, évitant ainsi toute grandiloquence pathétique, le chef ouvre les portes à un songe plutôt qu'à une lamentation. Magnifique !
5 – Lebhaft (Vivement) : les cordes joyeuses et sautillantes nous entraînent dans un final plein de verve. Des thèmes très dansants s'entrecroisent, les cuivres interviennent avec facéties. C'est d'autant plus guilleret voire épicurien que les pupitres sont sous contrôle absolu. La lourdeur orchestrale souvent imputée à Schumann est totalement absente dans le phrasé sans pathos de Wolfgang Sawallisch. Vraiment une version idéale et sans une ride. La voici… en 5 épisodes, à savoir les plages 16 à 20 (les autres symphonies sont également des "must" de la discographie : et pour les non abonnés - CLIC)

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Discographie alternative




Les symphonies de Schumann sont un passage obligé pour tous les chefs de renom. Si Sawallisch semble rester au top, il y a trois interprétations (surement parmi d'autres) que j'aime et qui à mon sens ne peuvent décevoir.
Enregistrée à la fin des années 60, l'intégrale de Rafael Kubelik à la tête de la philharmonie de Berlin a été longtemps la concurrente de celle de Sawallisch. On pourra trouver avec un demi-siècle de recul que la présence obsédante des contrebasses nuit à la postérité de ce cycle. (Manie héritée de Karajan ?) Le Feierlich reste l'un des plus émouvants jamais enregistrés (5/6 – Dgg).
En 1960, Leonard Bernstein trouve à New-York un souffle épique décoiffant qu'il ne saura pas reconquérir à Vienne. C'est un peu fou (sans figure de style par rapport à Schumann). Difficile de trouver les CDs de cette version extravertie (CBS-Sony - 6/6).
Enfin, pour les curieux qui désireraient écouter l'orchestration "corrigée" de Mahler, a priori moins confuse sans trahir les couleurs de Schumann, ils écouteront en priorité les enregistrements de Riccardo Chailly dirigeant le Gewandhaus de Leipzig, l'une des rares versions récentes dignes d'intérêt ! (Decca – 5/6).
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Vidéos




La symphonie N° 3 de Schumann par Sawallisch dans l'enregistrement commenté... En complément, l'interprétation volcanique de Leonard Bernstein à New-York. 



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