samedi 26 octobre 2019

BRUCKNER - Symphonie N° 7 (1884) - Bernard HAITINK (Nowak - 1978) - par Claude Toon



- M'sieur Claude, après Beethoven, Schumann et Brahms, le cycle complet des chroniques consacrées à Bruckner touche à sa fin…
- Oui  Sonia, il restera la 1ère symphonie et peut-être en été une brève pour la symphonie de jeunesse en Fa reniée par le compositeur, pas top en effet…
- La 7ème est l'une des plus abouties parait-il, voire même l'unique succès du vivant de Bruckner. Vous confirmez ? C'est quoi ou qui Nowak ?
- Oui, l'allegro et l'adagio confirment le génie d'un compositeur qui connaît enfin un début de reconnaissance… Nowak est l'ultime édition critique, j'expliquerai…
- Encore un nouveau chef dans la série d'articles Bruckner. Bernard Haitink, souvent écouté dans le blog, il a pris sa retraite à 90 ans passés en septembre je crois…
- Oui deux derniers concerts. J'ai longtemps hésité pour choisir l'interprétation entre des dizaines de gravures… Celle-ci est un miracle d'un brucknérien historique…

Comme ironisent parfois mes petits camarades, me voici face à une chronique pour laquelle je ne vais pas limiter ma prose. Retour d'Anton Bruckner, le symphoniste maudit du XIXème siècle, incompris, vilipendé, cherchant désespérément des orchestres et des chefs acceptant de créer ses œuvres imposantes mais bien trop difficiles pour les instrumentistes de son époque… Rappelons la pléthore des réécritures et des modifications de sa propre main ou de celle de ses élèves, rarement justifiées, mais destinées à tenter de rendre exécutables ces monuments (huit éditions pour la 3ème). Tout cela a déjà été bien détaillé dans les sept articles précédents référencés dans l'index. Une biographie générale quoique succincte est à lire dans le billet initial dédié à la 5ème symphonie. L'existence du compositeur ne fut guère mouvementée, celle d'un moine laïc totalement vouée à la musique.
Je me rappelle toujours avec sympathie le récit de l'initiation de Luc au concert symphonique avec la 5ème symphonie. Luc précisait "ce qui caractérise Bruckner est la brièveté de ses thèmes". Amusant, car c'est tout le contraire, ainsi dans la 7ème symphonie le premier thème sur les trois que comprend l'allegro initial s'étire sur 21 mesures (en deux phrases) soit 1'05". Bruckner avait piégé notre ami Luc. Comment ? Ces longs thèmes sont constitués de plusieurs motifs enchainés que le compositeur adore disséminer dans les développements à la polyphonie complexe. Pour conclure cette remarque, dans la 5ème, le thème principal du final comprend quatre sections que le diable de musicien ne présente dans leur continuité qu'au bout d'une vingtaine de minutes ! Et pour en rire, je signale que le rédacteur "pro" de l'article de Wikipédia a voulu donner l'exemple solfégique, mais a tout bonnement oublié la seconde phrase de ce grand thème ascensionnel et élégiaque débutant la 7ème😄.
La 3ème symphonie de 1873 fut dédiée à Wagner qui trouva la partition de son cadet intéressante (Clic). Mais Anton devra attendre 1890 pour assister à la première et encore dans une version estropiée… Bruckner est toujours un fan du compositeur de Tristan et du Ring, son style représentant l'osmose entre le contrepoint de Bach et le chromatisme wagnérien. À Vienne la conservatrice, admirer le maître munichois de l'opéra est quasiment un blasphème. Le critique et écrivain Eduard Hanslick continue donc de torpiller l'œuvre de Bruckner. Hanslick n'a quasiment aucune formation musicale, ne joue d'aucun instrument, mais reste le maître à penser autoproclamé de la vie musicale viennoise et notamment des opérettes un tantinet simplettes. Seul Brahms trouve grâce à ses yeux…On en reparlera la semaine prochaine.
Le premier mouvement de la 7ème symphonie est achevé en juillet 1882, juste avant que l'Europe des compositeurs fasse le voyage à Bayreuth pour écouter la création de Parsifal, le drame sacré (pour reprendre la terminologie de Wagner) qui sera son ultime chef-d'œuvre lyrique. Bruckner apporte alors des retouches à son premier mouvement, mais l'influence de cette expérience mystique à Bayreuth ne s'arrêtera pas là.
Artur Nikisch
Février 1883, on annonce la mort de Wagner à Venise alors que Bruckner compose l'adagio de sa symphonie, l'une de ses plus belles pages. Bouleversé, le compositeur repense cet adagio comme une ode funèbre et ajoute aux quatre cors quatre tubas wagnériens au son plus sévère. Il gardera cette nouveauté d'orchestration dans les deux dernières symphonies, mais en conservant quatre cors sur huit. La partition complète est achevée entre 1883 et 1884. La 6ème symphonie n'ayant jamais été jouée de son vivant, on aurait pu craindre la même chose pour la dernière-née. Bruckner a désormais des soutiens parmi ses élèves ; Josef Schalk et Franz Zottmann ont "expérimenté" une transcription pour deux pianos. Schalk est un ami du jeune maestro Artur Nikisch qui dirige un orchestre de Leipzig. Nikisch deviendra un chef illustre à la tête du Gewandhaus de Leipzig puis de la Philharmonie de Berlin avant Furtwängler. La création par ce jeune maestro compétent et motivé a lieu le 3 décembre 1884. Premier triomphe pour Anton Bruckner. Deux ans plus tard, lors de la création viennoise par Hans Richter, on apprécie la noblesse de l'ouvrage. Bien seul, Eduard Hanslick résumera en "connaisseur" son opinion par cette expression : "un boa constrictor" ! Hanslick trouvait Bach formaliste, disait des dernières œuvres de Beethoven qu'elles étaient totalement imperméables, il n'avait d'yeux que pour Donizetti et Spontini et autres auteurs d'œuvrettes lyriques… Hanslick, la caricature du critique ringard, ignare et suffisant… Il y en a encore de nos jours qui respectent ce profil mais je ne balance pas.
Le succès populaire de la 7ème symphonie ne s'est jamais démenti. Moins parfaite que la 8ème mais plus accessible que la 5ème et son final sophistiqué, elle est devenue le hit des concerts incluant une symphonie de Bruckner. Facile à interpréter ? Justement non, notamment les codas des mouvements extrêmes qui doivent échapper à des dérives outrancières d'esprit wagnérien au bénéfice de la poésie… Et cela, Bernard Haitink dans ce disque de 1978 l'a bien compris, ce qui est rare dans la pléthore de gravures existantes…
Rencontrant  d'emblée le succès, la symphonie n'a que très peu été revue par le compositeur, juste des détails comme le coup de cymbale de l'adagio (avec ou sans ?)… Trois éditions sont utilisées par les chefs : Édition Gutmann de 1885 du nom du premier éditeur – qui n'aimait pas l'œuvre. Et celles des musicologues Robert Haas et Leopold Nowak (1944 et 1954) qui sont les références (parfois contestées) de nos jours… Bernard Haitink utilise la partition de Nowak pour cette interprétation de 1978. (Partition)
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Bernard Haitink est déjà très présent dans le blog. Logique pour cet artiste néerlandais qui peut se targuer d'une carrière de plus de soixante ans. Dans les années 60, il sera l'un des premiers à graver une intégrale Bruckner pour Philips en compétition avec Eugen Jochum pour DG. (Clic)
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Décor pour Parsifal
La symphonie comporte quatre mouvements. Malgré la durée importante des deux premiers, un scherzo typiquement brucknérien (comprendre de forme académique) se trouve entre l'adagio, clou de l'œuvre et non après l'allegro comme dans la 8ème et la 9ème. Le final d'une quinzaine de minutes se révèle donc plus concis que dans les 4ème et 5ème symphonies. Bruckner, pour la première fois étend son orchestration, ajoutant 4 tubas wagnériens et un soupçon de percussion métallique :
2/2/2/2, 4 cors, 4 tubas wagnériens*, 3 trompettes, 3 trombones (ténor, alto et basse), Tuba, cymbales*, triangle*, timbales, cordes.
(*) Dans l'adagio et le final, uniquement pour les tubas.

1 - Allegro moderato : Surgissent du néant des trémolos aux violons 1 et 2. Des trémolos qui baignent l'exposé de la sidérale double phrase qui constitue le thème A de 21 mesures. Un thème d'une grande noblesse caractéristique du style des introductions des symphonies de Bruckner. Un thème articulé sur des arpèges et des sauts de double octave ; émotionnellement : une grandeur mystique qui ne s'oppose en rien à un romantisme bucolique. Il est dommage qu'au disque, on n'entende jamais la clarinette qui accompagne la seconde phrase. [1:27] Forme sonate oblige, le thème est réexposé dans son intégralité mais accompagné par les bois à l'unisson et une tenue des cors divisés en deux groupes, comme les isons dans le chant grégorien originel. (Ison : note tenue sans aucune rupture par des basses profondes pendant le récitatif d'un verset voire d'une litanie très longue).
Caspar David Friedrich - Paysage rocheux
Cette réexposition échappant au mode da capo académique rappelle que le compositeur est un organiste de grand talent ; il organise son orchestration à la manière des registres de l'orgue : tuttis sur le groupe des cordes et celui des bois, pédale grave sur les cuivres (en mode ison). Le recours à ce principe hérité du grégorien n'établit-il pas un pont stylistique avec la tradition du plain-chant chrétien auquel le compositeur reste très attaché ? L'élévation spirituelle s'opère simplement par un crescendo-decrescendo appuyé. [2:51]
Le thème 2 est introduit de manière très ludique et allègre par les bois avant que de nouveau les cordes s'élancent vent debout. [4:28] Exposé du troisième thème, devenu un passage obligé chez Bruckner pour agrémenter d'une riche polyphonie des mouvements très longs sans lassitude. Ce sont les cors lointains puis les trompettes qui le chantent sur un écrin de pizzicati. Encore une mode d'orchestration déjà très prisé depuis la 5ème symphonie un peu méchamment surnommée la symphonie des pizzicati. [5:02] L'orchestre se déploie sur ce thème mettant à contribution tous les pupitres, enfle pour conduire le passage jusqu'à un climax marqué par une fanfare robuste [6:51]. Cette exposition se termine par une péroraison construite sur un renversement du thème 3 et montre à quel point de symphonie en symphonie, Bruckner a appris à maîtriser clairement une étonnante profusion d'inventions mélodiques à partir de motifs complexes mais attachants. Une recherche ardue concrétisée par un contrepoint complexe sur la partition, mais très lisible à l'écoute, et surtout sans aucune répétition pour satisfaire le dogmatisme de la forme sonate. [7:39] Cors et bois entonnent les premières mesures du développement. Après les accents agrestes concluant le début de l'allegro, la musique devient méditation, alternant répons concertant des bois [8:05] et prière allante des violoncelles [9:19]. Rarement Bruckner n'a atteint une telle sérénité religieuse teintée d'optimisme.
[11:16] Qui dit compositeur de nature tourmentée dit transcription de son angoisse dans sa musique, souvent par un passage pathétique, mais ici et curieusement, s'éclairant de mesure en mesure. Cette évolution sans transition marquée prend aux tripes et, très habilement, nous reconduit à la réminiscence du thème 1 [12:55] ; sans relâche remettre son ouvrage sur le métier, ainsi se résume le travail de Bruckner… Une reprise des différents thèmes avec des jeux d'orchestration passionnants nous conduira vers la coda. [19:32] Après un long crescendo élégiaque, la coda se déchaîne : frémissements des cordes et dialogues des vents gagnent une puissance cataclysmique mêlant accords des cuivres et des bois, roulements de timbales, quartelets fff implacables aux violons et scansions farouches aux cordes graves ; une forme de conclusion titanesque facilement transposable à l'orgue rugissant sous une voûte…
Avant de poursuivre, deux mots sur l'approche de Bernard Haitink. Le Concertgebouw est à son niveau habituel : des cordes généreuses et sans vibrato imprécis, aucun pathos, des cuivres éclatants. Le tempo est idéal quant à l'équilibre entre la spiritualité opposée à la contemplation et à l'évocation du terroir qu'aimait tant Bruckner étranger aux mondanités viennoises… Prise de son correcte. Capter avec clarté cette musique devient un sport de haut niveau 😃.

Caspar David Friedrich - Entrée d'un cimetière
2 - Adagio : sehr feierlich und sehr langsam (très solennel et très lent) : [21:03] Je cogite longtemps avant d'aborder des musiques aussi métaphysiques et géniales sur la forme tel cet adagio de près de 25 minutes. Difficile d'échapper au didactisme et donc de trahir l'émotion qui ne peut être qu'affaire personnelle à l'écoute de cette procession d'essence funèbre qui se veut aussi chant d'espérance. À l'évidence la mort de Wagner rend Bruckner orphelin, musicalement parlant. Wagner, l'un des rares confrères qui encourageait le timide compositeur de la 3ème symphonie. J'exprime en deux mots l'impression ressentie à l'écoute : intemporalité et vision de l'éternité. Deux mots pourtant a priori synonymes ? Pas tout à fait ici. Intemporel dans son déroulement, car malgré sa construction rigoureuse, le flot musical ne présente guère de rupture nette dans sa continuité. Éternité lors de la coda qui semblera ne pas pouvoir s'achever en fin de mouvement, mais plutôt se prolonger au-delà de notre perception dans le silence des sphères…
Appuyé sur un premier groupe thématique A lui-même scindé en quatre sections A1 à A4, l'introduction en ut # mineur, la tonalité douloureuse par excellence, s'étire sur 37 mesures !! A1 : Un choral des tubas wagnériens et du tuba basse énonce un prologue plutôt qu'un motif principal. Souligné par une déploration des altos et des cordes graves, il émane de ces premières mesures un immense chagrin. La couleur sépulcral des tubas s'imposent ici a contrario de celle plus lyrique et brillante des cors, choix ingénieux d'orchestration. Cette innovation dans l'orchestration, sans doute un hommage à Wagner qui imagina l'instrument construit par Sax pour le Ring, fera école dans les deux dernières symphonies à venir, mais en alternance avec quatre cors supplémentaires. [21:35] Le motif A2, le sous-thème et leitmotiv principal de l'adagio, affligé et haletant, constitué d'une suite d'arpèges rabattus (montants-descendants), surgit mf, rythmé comme une marche funèbre mais sans trop d'accentuation ni d'héroïsme comme dans la 3ème de Beethoven, plutôt de la rage face à la perte d'un ami. Ce motif est longuement développé crescendo puis decrescendo, ressentiment puis résignation. [22:15] A3 : un motif court et sinueux symbolisant peut-être l'incompréhension face au mystère du trépas. [22:15] A4 : une mélodie sinueuse, aux cordes, le groupe instrumental dominant dans cette longue introduction, mélodie qui s'élance dans l'aigu à travers diverses variations secondaires : une lumière d'espoir aux clarinettes et un dernier choral des tubas pour clore une séquence de 36 mesures 4/4 en tout et pour tout… Bruckner atteint la quintessence de ses élans mystiques. Bernard Haitink adopte un tempo marqué, assagissant le climat possiblement mortifère de cette procession au bénéfice d'un phrasé articulé et quasi lumineux. J'ai réécouté l'interprétation en live de Celibidache à Munich, et à ma grande surprise, les tempos trop étirés qui firent la renommée en termes de spiritualité du chef diluent exagérément à mon sens la densité de la polyphonie et donc la passion qui doit s'en dégager. Juste une impression à confirmer.
Caspar David Friedrich - Crépuscule
[25:21] Changement de tonalité pour fa # majeur et de mesure pour 3/4. La seconde section thématique B semble vouloir renouer avec les bonheurs simples de la vie. Les mélodies aux cordes s'entrecroisent avec sérénité et même bonhomie grâce à la mise en avant de mille détails, notamment les arpèges enchanteurs des flûtes, on pourrait évoquer un bref "paradisium" dans ce requiem orchestral [26:34]. [28:23] Retour du thème A, puis plus tardivement du thème B [34:15]. [36:04] Ce développement épique et dramatique se poursuit à partir d'une reprise des motifs A1 et A2 et conduira via une marche implacable à un déchirant climax marqué par un coup de cymbale et des trémolos de triangle (suivant les versions) ; Bruckner ne tenait pas plus que ça à cet unique fracas métallique un peu militaire… [38:41]. Waouh, ça jette quand même ! [39:25] Le calme revient marqué par une douce intervention de la flûte suivie de quelques délicats pizzicati. Il n'y a pas de mot pour décrire l'évanescence de la coda. Une péroraison bouleversante des cordes évoque la marche vers l'éternité, enluminée au sens "vitrail" de motifs des bois. La conclusion prend forme d'un choral poignant quasi immatériel et mystérieux des cors et des tubas…

3 - Scherzo : sehr schnell (Très rapide) : Bruckner aimait bien les scherzos bien carrés, puissants, des scherzos mettant en scène des fêtes villageoises et des robustes paysans. Autre constante, leur forme est d'une rigueur académique parfaite😊. Scherzo-trio-scherzo da capo. Sur la forme, aucune fantaisie alors que Schumann dans sa 1ère symphonie nous entraînait dans une joyeuse folie en moins de six minutes, n'hésitant pas à insérer deux trios dans son mouvement… Cette absence de prise de risque s'explique sans doute par les éternelles critiques à l'égard de son écriture déjà complexe en termes de contrepoint. On ne retrouve même plus les petites codas insolites des scherzos des 2ème et 3ème symphonies (et encore présentes en fonction des éditions et réécritures successives).
Caspar David Friedrich - Monastère en ruine au soleil
Conscient que trois quarts d'heure de musique se sont déjà écoulés, dont un immense adagio ténébreux, le compositeur fait court et dynamique ; sans doute l'une des pages les plus enjouées et festives du maître. [43:28] Quatre mesures d'un motif pimpant aux cordes précèdent l'exposé du thème par une trompette solo. Un chant criard d'un coq à l'aube (On ne portait pas plainte contre le coq Maurice en 1883 pour ceux qui ont suivi cette affaire judiciaire délirante😅). La battue résolue de Bernard Haitink montre que Bruckner pouvait même faire preuve d'un certain humour inconscient en proposant ce cocorico loufoque après une marche funèbre… (Pourtant le compositeur prétendait en avoir eu l'idée dans un coin sombre de son appart' !). Le thème initialement trompetant est repris sans compter par divers pupitres… [44:38] Quelques notes de timbales s'interposent pour laisser se développer une seconde idée plus légère et pastorale opposant scansion des contrebasses et dialogue guilleret des bois. L'un des passages les plus concertants au niveau de l'orchestration de toute l'œuvre.
[46:56] Le trio avec son thrène poétique des cordes contraste nettement avec la rythmique acérée du scherzo. Des interventions au caractère descriptif et champêtre aux bois, cuivres et même timbales agrémentent cette promenade naturaliste se concluant par une mini coda, un conciliabule délicat entre les bois sauf les bassons, de pp à ppp. [49:47] Reprise da capo du Scherzo. Nonobstant sa symétrie répétitive, nous sommes ici très loin des scherzos de pur divertissement et franchement parfois insipides des débuts du romantisme. Par son tempo soutenu comme indiqué, Bernard Haitink nous mène à la fête. N'avons-nous pas entendu Bruckner trop souvent interprété à gros traits épais et teutoniques ?

Caspar David Friedrich - Montagne en Bavière
4 - Finale : bewegt, doch nicht schnell (mouvementé, mais pas trop rapide) : Pour le final, la tâche est rude après l'écoute d'un grand allegro tri-thématique généreux, d'un adagio qui joue la carte de l'immuabilité et du deuil telle une liturgie symphonique, et d'un assez bref mais trépidant scherzo plein de panache. Bruckner avait trop souffert des critiques concernant la démesure de ses symphonies pour réitérer une conclusion bâtie sur un final très complexe et de plus de vingt minutes, comme pour les 4ème et 5ème symphonies. Prudent, il souhaite achever sur une note optimiste son ouvrage commencé positivement en mi majeur, une tonalité positive, un choix rarissime dans sa production. Dans l'interprétation écoutée, le final ne dure que douze minutes… Pour l'auditeur de l'époque, l'impression d'assister à un renouveau artistique à l'écoute des trois premiers mouvements risquerait d'être une nouvelle fois contredite par un final potentiellement roboratif… Si Bruckner continue de composer un final construit sur plusieurs thèmes, on n'entendra là que des motifs brefs.
[53:24] Premier motif arpégé, gorgé de vitalité, un rien martial ; joué par violons et altos et conclu par une espièglerie du hautbois solo. [53:45] Rapide reprise, mais aux cordes graves avec interventions du hautbois puis, sur les deux dernières mesures, des cors et des trompettes fort vaillants, fantaisie d'orchestration exprimant le désir du compositeur d'écrire avec simplicité pour le mélomane mais avec d'élégantes fioritures. [53:59] On continue ! Troisième idée, un peu plus longue, énoncée toujours allègrement par les deux clarinettes, la flûte et les vents accompagnés par des trémolos des violons 1 et 2. Là encore pour colorer le récit, les cors interviennent pendant les quatre mesures du motif. On retrouve donc le principe de l'allegro, à savoir constituer un groupe thématique imposant à partir de trois thèmes variés. Les transitions sont assurées par un changement d'orchestration, le style général de l'ensemble étant écrit sous le signe d'un phrasé bien cadencé. [54:30] Une mélodie sinueuse constitue le second groupe thématique. Il est réservé au début aux violons et altos, tandis que violoncelles et contrebasses en pizzicati voientt le retour de deux incursions des tubas wagnériens et du tuba basse. Un cas unique dans les trois dernières symphonies que la présence de ces instruments hors de l'adagio. Ce beau récitatif va se prolonger avec un léger crescendo.
[56:22] Furieusement ff, l'orchestre fait jaillir toutes ses forces sur une reprise du motif introductif dans une tessiture élargie. Le tempo est ralenti pour offrir à l'ensemble une vigueur à la fois dionysiaque et cyclopéenne. LE développement ? Oui, sans doute. Je ne commente plus. Nous n'avons écouté qu'une centaine de mesures sur 339 ! J'avoue avoir mis un certain temps dans ma jeunesse à percer la richesse de ce mouvement très "mouvementé", comme Bruckner le précise dans l'indication de tempo d'entrée de jeu. Et dire que le musicologue Jean Roy disait dans les années 70 "cette musique m'ennuie". Je dirais tout au contraire que dans ce final, elle m'amuse, mais Bernard Haitink et son orchestre d'Amsterdam n'y sont pas pour rien grâce à la précision des attaques et l'équilibre entre les pupitres. [1:04:28] la coda s'annonce aux cors telle une péroraison sur le motif 1. Comme un certain loup dans un conte, l'orchestre ne cesse de gonfler et d'enfler ; une ascension titanesque nourrie ff d'arpèges granitiques jusqu'à l'ultime retour de l'arpège du thème A de l'allegro clamé par tout le groupe des cuivres, les cinq tubas compris !! Vingt dieux !
Pour paraphraser la petite femme de ménage dans une pub culte pour Pliz, (Vidéo) Bruckner a dû se dire, angoissé par l'accueil qui attend sa partition, "je n'écrirai pas cela tous les jours". Notez bien qu'en tant que Toon, je ne rédigerai pas non plus tous les jours des chroniques aussi vastes 😅 ! N'écoutez pas à pleine puissance en pleine nuit, vous risqueriez de finir fiché S.


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Très populaire au concert, cette symphonie, la seule à s'être imposée du vivant de Bruckner avant l'intérêt porté à l'ensemble de son catalogue à partir des années 60, et encore pas à pas, dispose d'une discographie pléthorique.
L'œuvre est restée chasse gardée de la culture germanique pendant toute la première moitié du XXème siècle, des interprétations parfois marquées des lourdeurs teutoniques jusqu'à l'incompréhensible pour cette musique d'essence mystique et romantique. On atteint l'absurdité absolue avec son appropriation par Hitler, Goebbels et Cie qui associeront stupidement leurs idéaux de virilité aryenne et de passion pour les légendes païennes guerrières aux débordements orchestraux de Wagner et de Bruckner. Même pour Wagner, le final apocalyptique du Crépuscule des Dieux, une extinction totale de la soi-disant race supérieure, ne peut pas faire oublier le monceau de ruines d'un Berlin anéanti avec son führer, conséquence de la folie de soudards qui se sont pris pour les personnages très heroic fantasy de Wagner, soit des surhommes. L'adagio a été diffusé sur la radio allemande au lendemain de la mort d'Adolf Hitler. Brrr ! Le timide, bonne pâte et peu séduisant Anton qui dédicaça sa 9ème et dernière symphonie "au bon Dieu" a du se retourner dans sa tombe. Par aille<!! Critical event !! current buffer is full - contact your system manager>
- Mamzelle Soniaaa… Mon article est en carafe… un pb informatique, comprends pas…
- Voyons… Ah, c'est M'sieur Luc qui a attribué des quotas de MBytes pour limiter les chroniques romans comme les votres… Je veux bien vous redonner 100 Koctets supplémentaires, mais pas un de plus…
Donc, les grands interprètes brucknériens historiques comme Wilhelm Furtwängler, Otto Klemperer ou Eugen Jochum ont largement participé à la discographie de la grande tradition saxonne. Le premier a laissé des témoignages d'une sensibilité sidérale, mais il faut bien le dire, la monophonie dessert cette musique aux timbres brumeux par moments. L'enregistrement de Jochum pour DG de 1964 avec la Philharmonie de Berlin reste une pièce maîtresse de sa première intégrale pour le label hambourgeois ; il récidivera à Dresde pour EMI. Mais, est-ce que vivacité doit rimer avec austérité ? À écouter pour la noblesse du trait. On trouve des interprétations dans diverses intégrales connues, mais les hits sont curieusement des témoignages isolé sur un album. (DG – 5/6)
Grand brucknérien, Karl Böhm avait enregistré en 1976 les 7ème et 8ème à Vienne, un coffret qui fit sensation par sa légèreté, la 7ème étant disponible en édition bon marché. Quarante ans plus tard, des approches plus aériennes ont changé la donne, et à cette interprétation somme toute un peu raide on préfèrera la luminosité d'un live de 1977 avec l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise (Audite – 6/6).
Autre légende de la tradition autrichienne, Herbert von Karajan revient à la fin de sa vie à Bruckner qu'il avait bousculé sèchement dans son intégrale inégale des années 70-80. En 1989, quelques semaines avant sa disparition il enregistre son ultime gravure avec cette symphonie. Pour une fois, diraient les méchantes langues, nous n'écoutons pas le maestro mais Bruckner : articulation parfaite, couleur de la philharmonie de Vienne somptueuse, tempos acérés chassant tout hédonisme, bref une gravure testamentaire et bouleversante (DG - 6/6).
Surprise. Jeune, Nikolaus Harnoncourt disait de Bruckner, de mémoire "ce compositeur a passé sa vie à recomposer la même symphonie, déroutant". Apôtre des baroqueux et des musiques dégraissées des fadeurs romantiques, le chef aborde classique et romantisme tardivement en appliquant ses découvertes à propos du baroque. Ce disque de 1999 est un miracle ! Le maestro retrouve l'humanité et la fraicheur oubliées chez l'homme Bruckner. Alacrité, transparence, un phrasé ciselé magnifiant bonheur et mélancolie. Encore la philharmonie de Vienne mais avec un effectif de cordes réduit. Une prouesse de prise de son analytique de la part des ingénieurs du son. (Teldec – 6+/6). Existe en coffret avec les symphonies 3, 4 et 8. (Version Haas pour la 7).

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5 commentaires:

  1. Il existe aussi une très chouette version de Karajan avec l'OP Berlin, parue chez EMI et enregistrée en 1971 -c'était paru dans un coffret de 3 LP, avec en complément, la 4ème symphonie du même Bruckner-. Elle est moins connue, mais meilleure à mon avis, que celle enregistrée pour DGG dans le cadre de l'intégrale Bruckner.
    Si tu aimes Bruckner, comme cela semble être le cas, je te recommande également la 4ème remarquablement narrative enregistrée par William Steinberg, elle est peu connue, comme d'ailleurs ce chef très injustement tombé dans un relatif oubli...

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    1. William Steinberg ? Injustement oublié, le mot est faible ! J'avais commenté (il y au bail) sa version volcanique des Planètes de Holst avec le symphonique de Boston disque DG avec une prise de son démente en vinyle !!! J'en avais deux exemplaires ; j'ai pu en vendre un super prix à un collectionneur. Il a du resté 3 jours sur rakuten... Sur le CD, en complément, Ainsi parla Zarathoustra de Strauss en 29', fulgurant pour cette partition un peu disons... rugueuse.
      Je ne connaissais pas cette version de 1971. Par contre j'ai découvert Bruckner en 1970 (18 ans) avec la 9ème à Berlin pour DG, une belle version isolée, crépusculaire... A priori, nous sommes d'accord l'intégrale DG (avec une aile sur les jaquettes) n'est pas un must.
      Merci pour ta fidélité, ce papier pensé depuis des mois m'a sérieusement occupé :o)
      Bon dimanche...
      La semaine prochaine, Brahms : Trio N° 3
      Oui Bruckner est l'un de mes chouchous, de 5 à 8 versions pour chaque symphonies en album isolé ou en intégrales...

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  2. Quand il arriva à Boston au courant des années 70, Steinberg était déjà fatigué et très malade : il enregistra donc peu pour DGG, et, outre les deux excellents disquues que tu as ctés, on trouve aussi un très disque Hindemith avec cet orchestre. En revanche, pour Capitol, dans les années 50-60, il enregistra énormément avec son orchestre de Pittsburgh, et souvent avec un très vif succès: quasiment aucun déchet ! J'en parle un peu ici : http://latelierdediablotin.fr/WordPress3/2017/01/buffalo-bill-se-rend-a-vienne/
    En revanche, et contrairement à toi, j'aime beaucoup l'intégrale Bruckner - Karajan/Berlin, et, parmi toutes celles qui peuplent ma discothèque -les deux Jochum, l'iconoclaste Celibidache, Wand/Cologne, Barenboim/Chicago ou encore Tintner, sans même parler des versions isolées de telle sou telle symphonie (auchoix : Böhm, Abbado, Sinopoli que j'aime beaucoup pour les 8 et 9, Haitink, ...-, je n'en connais aucune qui me plaise plus. En Allemagne ou en Angleterre, elle reste assez systématiquement recommandée comme premier choix, il n'y a guère qu'en France qu'on la critique de manière plus nuancée -et où l'on voue un culte aussi prononcé pour Celibidache, même si le soufflet semble un peu retombé désormais...-.
    J'ao également une merveilleuse version de cette 7ème transcrite pour orchestre de chambre par Eisler : c'est réellement très beau ! (1 CD MDG)

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  3. Un des interprètes qui a toujours fait autorité dans Bruckner était le chef roumain Sergiu Célibidache, assez avare d'enregistrements malheureusement. C'est à lui que je dois d'avoir eu une révélation concernant cette œuvre de Bruckner, que je ne connaissais jusque là que dans la version Bohm-Vienne. Je dois avouer que j'ai du mal avec ce compositeur : je trouve que... "ça n'avance pas", que c'est grandiloquent de façon assez gratuite. Bref, je trouve ça assez spécial, c'est pas ma tasse de thé (suis volontiers mahlerien, par contre). Mais j'ai eu un choc en écoutant cette septième, par ce chef (un live avec l'orchestre de la radio de Stuttgart, concert du 8 juin 1971, chez Arkadia). Là, ça avançait, ça progressait, là le 1er mouvement devenait enfin cette cathédrale que je n'avais jamais entrevue avant, et là je ne me suis pas ennuyé une seconde ! J'en suis resté très étonné moi-même, à vrai dire...

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  4. Curieusement les tempos de Celibidache à Stuttgart sont ceux indiqués sur la partition. Exemple 27 min contre 35 lors des lives de Munich édités par EMI. Années 80 90... Je vous rejoins il y a toujours une forme de stagnation mystique dans les mouvements lents. Au maestro d'apporter les bonnes articulations.

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