- Ah M'sieur
Claude, nouvel épisode de la saga des symphonies de Bruckner ; après ce papier
il restera encore la 1ère et la 7ème à commenter ?
- Oui Sonia,
et peut-être une symphonie d'étude de jeunesse qui ne porte pas de numéro…
- Hum je
vois. Le titre est surchargé de dates ! En un mot et avant de détailler,
pourquoi cela, c'est important ?
- La 3ème
symphonie a vu le jour en 1873 et était dédié à Wagner. Trop élaborée pour
l'époque, on ne la joue qu'une fois sans succès. Elle va être révisée un nombre
incalculable de fois et pas toujours avec pertinence. Cette édition ultime de
1981 à partir de la première adaptation de la main de Bruckner en 1877-78 est
très équilibrée mais encore peu enregistrée…
- C'est vrai,
le compositeur autrichien n'était guère apprécié de son temps, vous le dites
souvent… Une belle version du maestro Sinopoli déjà entendu dans le blog ?
- Oui, je
trouve. Une direction ciselée et pourtant diablement hardie, bien wagnérienne
comme il se doit. Et puis c'est Dresde et une prise de son apocalyptique…
Bruckner en 1868 |
1873 : Bruckner a 49 ans et a déjà composé quatre
symphonies : une symphonie d'étude en Fa (1863) qu'il a
rejetée aux oubliettes. Une autre en ré mineur en 1869 qui a
failli connaître le même sort, mais que des disciples avisés sauveront de la
corbeille à la fin de la vie du maître ; la N°0 (Clic). Ah, si tous les symphonistes avaient
écrit au moins une œuvre de ce niveau soi-disant "insatisfaisant"…
N'oublions pas la 1ère officielle de 1865-1866
modifiée x fois jusqu'en 1891 et la 2ème de 1872, elle aussi
finalisée en 1892 (Clic).
Ces réécritures incessantes sont une constante dans le travail de Bruckner.
Le compositeur arrive néanmoins à faire créer ses
partitions (la 1ère et la 2ème), hélas sans lendemain.
Pourquoi ? Souvent les chefs d'orchestre, plus à l'aise dans les valses de Strauss, se défilent et Bruckner prend la baguette. Hors c'est un
bien piètre maestro ; il dessert son talent de compositeur. Pourtant si les critiques
renâclent, les musiciens de l'orchestre seront plutôt enthousiastes lorsqu'il dirigera tant bien que mal sa 2nde symphonie : un accueil
encourageant des vrais professionnels. Dédains des chefs et mauvaises critiques
: les deux facteurs les plus défavorables à l'inscription de ses ouvrages aux
programmes des concerts. Liszt avait trouvé très passionnante la 2nde symphonie, pourtant il
en refusera après coup la dédicace. Courageux et attentifs aux remarques
rarement pertinentes mais parfois avisées, Bruckner et quelquefois ses élèves vont
charcuter, bricoler, mutiler et produire un nombre dément d'éditions
successives qui posent une énigme quant au choix de la partition la plus
authentique à utiliser. (Voir le tableau du "problème Bruckner" dans Wikipédia (Clic)). Pour la 3ème, on atteint des sommets… 7
ou 8 réécritures, mes sources ne s'accordent guère. Les musicologues du XXème siècle
ont réussi à reconstituer des éditions solides. Il existe pour le disque des
intégrales qui proposent les variantes les plus
significatives de l'évolution de l'art de Bruckner.
Une rencontre avec Wagner en 1873 va changer
un petit peu la donne, lui ouvrir les portes d'une reconnaissance polie, mais Bruckner connaîtra toute sa vie cette
indifférence par rapport à son génie. Il n'entendra pas toujours ses
compositions qui sont aujourd'hui, pour la plupart, des incontournables des
saisons symphoniques.
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Wagner en 1873 |
Les vacheries ne se font pas attendre. Eduard Hanslick, le plus discutable
critique de l'époque (une réalité pour un type qui ne connaissait pas vraiment
le solfège et ne maîtrisait aucun instrument), Eduard Hanslick donc, à propos de la 3ème symphonie,
écrit : "La 9ème à la sauce
Walkyrie". Sympa et guère surprenant de la part d'un personnage
qui trouvait Bach formaliste, Beethoven dernière manière imperméable, et
Wagner trop descriptif (!),
etc. Seul Brahms a droit aux
honneurs. En résumé, soit un pittoresque polémiste soit un vrai con. Je
m'égare, mais j'aime bien ces anecdotes significatives de l'ambiance dans laquelle
Bruckner tente de faire
exploser le modèle figé de la symphonie. Sonia et Luc vont me gronder…
Septembre 1873.
Bruckner rencontre Wagner qu'il admire. Depuis 1865 et la création de Tristan et
Isolde, le philosophe et compositeur est une légende vivante. Il travaille sur
le Ring. L'orgueil du "grand maître" n'a pas de limite mais il est
impressionné par le talent de Bruckner
qui a adopté ses propres recherches sur le chromatisme. Il lui donne quelques
conseils. Il accepte d'être le dédicataire de la 3ème symphonie
moyennant le retrait de quelques citations de sa propre musique présentes dans la
symphonie. Diverses caricatures ont immortalisé cette rencontre. Hélas, ce qui
aurait dû être un tremplin pour consolider la place de Bruckner dans le monde musical va avoir un
effet contraire. Vienne n'apprécie pas que le génie bavarois soutienne un
compositeur dans la capitale acquise à Brahms.
La philharmonie refuse par trois fois de programmer la création… La querelle
fait rage. Une personnalité va voler au secours d'Anton. Johann
von Herbeck est un compositeur oubliable mais un chef
d'orchestre de grand talent qui a créé, entre autres, la symphonie "Inachevée"
de Schubert mort depuis 37 ans
(il n'est jamais trop tard) et une partie du Requiem allemand
de Brahms. Il a fondé la société des amis de la musique en 1858. Novateur et ami de Bruckner qui le considère comme un
"second père" (même si Anton a 7 ans de plus), le maestro programme
la création de la 3ème pour le 16 décembre 1877.
Une version sensiblement révisée suite à la visite chez Wagner. Mais Bruckner a décidément la scoumoune ! En octobre, Herbeck meurt brutalement à 45 ans…
Bruckner le
remplace au pied levé. C'est un désastre ! Le public s'échappe entre les mouvements.
Le compositeur finit seul devant un parterre limité à quelques amis et étudiants.
Pourtant un autre personnage clé va intervenir, Theodor Rättig, éditeur de son état, propose la publication de cette version
révisée, plus concise et que nous écoutons ce jour. Pourtant l'ouvrage ne
convainc toujours pas. Bruckner
le reprendra avec maladresse vers 1888-1889
tout en travaillant sur la 8ème symphonie. Trop confiant, Il
écoute les conseils généreux de ses disciples Franz et Josef Schalk. L'œuvre est
déséquilibrée par les coupures trop importantes, la partition a perdu 20
minutes en 14 ans ! Pourtant elle reçoit un accueil triomphal en 1890. Là est le mérite des Schalk. Bruckner
a 66 ans. C'est enfin un géant reconnu, mais il n'a plus que six ans à vivre.
On va jouer jusqu'au début des années 1960 cette édition étriquée imprimée par Rättig. De nos jours, sont plutôt
jouées la version originelle de 1873
et les deux éditions reflétant les révisions appropriées de 1877-1878 dont celle de Leopold Nowak parue en 1981 pour répondre à la question de Sonia concernant le titre de
cette chronique. Quelques chefs historiques sont restés fidèles jusqu'à la fin du siècle dernier à l'édition de Rättig mais elle aussi corrigée par Nowak en 1959. Rigolo ce sac de nœuds éditorial. Un thriller !
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Malgré sa genèse chaotique, l'orchestration restera
inchangée et proche de celle de la 5ème symphonie
de Beethoven :
2/2/2/2, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, timbales
et cordes.
J'ai choisi pour illustrer l'écoute l'enregistrement
de 1991 de Giuseppe
Sinopoli qui a retenu la dernière mouture de Nowak qui s'appuie sur les
modifications apportées en 1877-1878,
révision qui comportait une petite coda volcanique concluant le
scherzo (comme pour la 2ème symphonie) ; coda
qu'abandonnera par la suite Bruckner.
Le chef déjà invité dans le blog est présenté dans un article consacré au triptyque
romain de Respighi
(Clic).
Il dirige ici un orchestre d'exception très familiarisé avec la musique de Bruckner : la Staastkapelle de Dresde.
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Johann von Herbeck |
Il faut souligner que Bruckner
va développer ce long premier mouvement dans la forme sonate élargie qu'il
maîtrise désormais totalement, c’est-à-dire le recours à trois thèmes et non
deux, thèmes eux-mêmes constitués de groupe de motifs. Comme l'avait écrit Luc
lors de son baptême symphonique avec ce compositeur et sa 5ème symphonie :
"Chez Bruckner, les thèmes sont
courts…" Eh non, au contraire, mais très intentionnellement le compositeur avait
piégé notre ami deblocnoteur. Les thèmes s'étirent sur un grand nombre de mesures mais sont
sécables en motifs brefs (comme les comprimés si je puis me permettre la
facétie de cette métaphore). Les petits motifs vont réapparaître de-ci de-là, offrant
au compositeur très ingénieux des possibilités infinies dans le traitement du
contrepoint, un imaginatif puzzle mélodique malgré la durée imposante des mouvements. Le premier thème de la 3ème
symphonie est caractéristique de cette technique sans précédent.
Ce thème va naître au sein d'arpèges aux cordes égaillés par les bois, un climat pastoral qu'affectionnait Bruckner,
et que l'on rencontre en introduction dans les symphonies 2 à 4 et 6. [0:14] Le thème de 8
mesures est joué par la trompette. Noble et chaleureux mais sans ostentation.
Un premier motif austère de 3 mesures staccato et un second plus guilleret de 5 mesures.
5/3, quasiment le nombre d'or, une proportion parfaite ; Bruckner n'a pas oublié l'attrait de Bach pour la numérologie. Et de plus : une
quinte suivie d'une quarte soit une octave pour ce premier motif qui, à la manière
de Wagner, deviendra un leitmotiv qui va
s'insinuer dans toute la symphonie, notamment dans les codas du 1er
mouvement et du final (les quatre dernières notes entre autres). Le second motif est répété au cor. Des premières mesures
qui nous renvoient dans les grandes forêts viennoises, ses mystères brumeux, mystères notés dans
le tempo. Parlons dès à présent de la direction de Sinopoli
: un legato minimaliste pour ciseler finement ces mélodies féériques, une
articulation marquée qui libère les voix contrapuntiques, un équilibre
instrumental tendre et coloré avec une mise en place claire de la registration qui nous
rappelle que Bruckner reste un
organiste dans l'âme. On a entendu si souvent cette musique gonflée à bloc et
barbaresque (de moins en moins bien heureusement).
Thème 1 : Quarte + quinte = Octave, triolet, opposition de climats ; pas d’erreur c'est du Bruckner |
Franz Schalk |
Bruckner
aurait-il peur de la tradition, tout en se gaussant de se voir encore reproché de trop développer
son écriture ? [0:33]- [0:41] Le second thème apparait déjà, sans réexposition complète
du premier. Un joli chant épique au cor sur un accompagnement bucolique des altos.
Le compositeur expose rondement tous ses matériaux thématiques. À l'auditeur de
les mémoriser hâtivement… Et là encore deux motifs avec répétition du second. Et,
pure gourmandise, déjà le troisième thème, plus extraverti, en forme de choral,
plus olympien que les deux précédents [1:07]-[1:18]. Soupirs et pauses
permettront à l'évidence le recours à des scissions dans le développement. On
fait le point : en moins d'une minute et demi, Bruckner
nous offre 19 mesures d'idées mélodiques typiques de son style : poétique et champêtre
pour les deux premières, vigoureuse et dramatique pour la troisième. A travers
cette riche thématique, on peut à mon sens évoquer un autoportrait mélodique. Thèmes opposant l'homme
débonnaire et opiniâtre qui se refuse de se plier aux modes d'écritures
dogmatiques (le provincial d'un enthousiasme naïf) à l'homme en proie au blues
et à l'angoisse de se voir rejeté par les critiques et les milieux musicaux qui
ont pignon sur rue à Vienne. (Les caciques comme Hanslick maintenant une tradition vieillissante du classicisme et du romantisme.)
Oui, héritage peut-être un soupçon suranné comme
ont commencé à le montrer Liszt
et Wagner.
Bruckner travaille avec gourmandise un mouvement riche en rebondissements :
renversement des motifs, ruptures de rythme, variations diverses. Une musique à
la fois musclée et passionnée, mais avec ses passages plus rêveurs qui
préfigurent les interrogations mystiques à venir dès la 5ème symphonie.
Bruckner est bien exigeant avec
son public qui ne doit jamais relâcher son attention, parcourir un labyrinthe
musical dont il est le héros. Exigeant aussi avec les interprètes qui doivent énoncer
avec précision et logique chaque surprise, chaque transition souvent abrupte. Analyser
plus en détail serait insensé et inutile. Laissons-nous guider par l'habileté
de la composition allégée des longueurs de la partition originelle.
[14:10] La réexposition surgit alors que l'on ne
l'attend plus… Après une reprise des motifs initiaux da capo, la coda
va se développer de manière élégiaque dans un premier temps, avec de beaux solos
de flûtes et d'autres pupitres. [18:32] l'incontournable petite procession des
bois, autre signature du style du maître pour introduire la véritable coda. Une conclusion énergique,
interrompue par un ultime chant intime des bois suivi d'une apothéose, une
péroraison sur le motif initial du premier thème.
Dédicace à Wagner |
2 - Adagio, bewegt, quasi Andante : Alors,
si je m'amuse : Bruckner exige
un tempo adagio (très lent) mais à jouer plutôt comme un andante (allant) et
assez animé, pas évident… Ironie mise à part, doit-on interpréter ce mouvement serein en
traînant, dans un style mystico-tragique. Et bien surtout pas (sauf si on
s'appelle Celibidache et que l'on est
capable de le faire sans endormir l'auditoire et dans un souci de distiller tous
les charmes des portées). Et l'ami Sinopoli
l'a bien compris ce besoin de transporter le public avec un tempo soutenu pour vivifier cet adagio nourri
de contrastes et de vivacité.
Comme le premier mouvement, trois thèmes au programme.
[21:16] L'introduction et le premier thème ne font qu'un : une longue phrase de 4 mesures d'apparence sereine mais où transparaît une certaine tristesse. Souvent
chez cet homme secret et pudique, le désarroi se cache derrière ces mélodies
affables et les effets granitiques aux accents trompeurs de musique pure. Léger développement puis [22:01] second thème plus affirmé et travaillé par Bruckner telle une sarabande. Très rare
chez le compositeur, ce thème se répète en continuum mobile comme une complainte. Bouleversant.
[24:32] Le troisième thème plus animé (quasi allegretto) surgit après un
passage concertant des bois et des cors qui par sa sonorité nous renvoie à Tristan.
Il existait initialement des citations (dont un 4ème thème dans le
premier mouvement) en hommage à Wagner mais dont celui-ci en avait demandé le
retrait. Cet adagio nous ballade au sens propre dans l'univers intérieur du
compositeur. [28:15] À quelques traits pathétiques s'oppose une petite marche
débonnaire. Quand je parlais de contrastes. L'orchestre de Dresde sonne avec
chaleur, Sinopoli respecte avec célérité
les tempi indiqués, permettant une mise en avant détaillée des changements de climat, fruits de l'imagination fertile de Bruckner.
Par ailleurs, le chef italien sait retenir les élans de ses musiciens pour éviter l'outrance rugissante des tuttis
quand celle-ci serait malvenue. Il ne ménage pourtant pas la grandeur du sujet
lors du climax, clé de voute du développement. [33:07] et [34:48] Bruckner en majesté avec des cuivres étincelants…
[35:14] Venu de l'abîme, une coda expansive, extatique, frémissante de
trémolos des cordes, illuminée par les chants de l'harmonie vient conclure ce
mouvement lent très prometteur à ce stade de la carrière de Bruckner.
3 – Scherzo – Ziemlich Schnell (Assez vite). Les scherzos
de Bruckner sont souvent les
points faibles de ses symphonies : longs et surtout d'une symétrie absolue
et donc peu originaux en termes de construction ! Il semble que le compositeur
n'est jamais su prendre ses distances avec celui, parfait, de la 9ème de Beethoven, surtout après cette 3ème
symphonie. Et pourtant, nous écoutons ce jour un petit
mouvement vif argent de seulement sept minutes et doté d'une amusante petite coda qui
contredit mon propos. Petite coda qui n'existe QUE dans cette édition de 1981.
D'où sort-elle ? Mystère !
[37:24] Une mélodie tournoyante aux cordes et
agrémentée de pizzicati conduit à l'entrée d'un thème dansant diaboliquement farouche. Bruckner aimait ses scansions véhémentes
dans ses scherzos. Après une reprise des mesures introductives, un thème secondaire
de danses villageoises allège le climat rugueux initial. Une accalmie dans un
tourbillon frénétique. [39:42] La bonhomie du trio en forme de ländler tranche
nettement avec le scherzo : joyeux, pittoresque, une orchestration chamarrée.
Rare moment de bonheur ? Possible avec sa tonalité la majeur opposée à celle du scherzo au sévère ré mineur. Une page rustique et charmante assez inattendue
dans cette symphonie démesurée. [41:40] Reprise da capo du scherzo comme
toujours, mais Bruckner n'en
reste pas là… [43:47] Une coda d'enfer conclut le mouvement. Une péroraison sur
le thème du scherzo, une danse macabre, une marche vers le sabbat qui fait songer à Berlioz. Exercice de style où démonstration d'un
art consommé de l'enchaînement surprenant et cocasse ? Aller savoir !
Eduard Hanslick, le fan des opérettes lénifiantes |
Le final débute sur un incisif crescendo des cordes
précédant l'énoncé du premier thème aux cuivres. Puissant, presque vindicatif.
Impossible de ne pas penser à Wagner, aux combats de titans de la Walkyrie ou
encore à l'entrée des dieux au Walhalla concluant l'Or du Rhin. Un premier
groupe repris derechef. [45:44] Bruckner établit ici définitivement ce qui sera
une caractéristique de son art : les ruptures abruptes tant sur le fond que sur
la forme, une dynamique paroxystique. Ainsi, après ces clameurs, les cordes entonnent une polka ! Un second groupe thématique très
primesautier après l'expression des forces du destin jaillies des premières
mesures de cette danse. Voici la vision qui aurait inspiré à Bruckner ce double passage introductif : la musique d'un bal donné à
Vienne tandis qu'à l'étage on veillait un défunt… Toujours ce conflit entre
l'ombre et la lumière et, traduit en musique : le rugissement et la prière. Un
très joli développement s'écoule à partir de ces motifs initiaux.
[48:33] Arrivée tardive du troisième thème : impétueux
et tragique ; des traits de cordes et des accords vaillants des cuivres. Encore
une rupture abrupte marquée par un court intermède paisible qui précède une réexposition de cet ultime groupe thématique.
Un groupe dont l'orchestration raffinée a gagné en cohérence lors des réécritures de 1877-78. La
symphonie va atteindre sa conclusion en traversant maints épisodes très variés. Giuseppe Sinopoli semble se jouer de cette
complexité par une battue rigoureuse, le rejet du moindre rubato, la
valorisation des contrastes d'orchestration. [58:29] La coda triomphale s'achève sur le motif 1 du
Thème 1 du premier mouvement (quinte et quarte) clamé à l'unisson par
l'orchestre [59:08].
Cette symphonie, moins populaire que la 4ème,
pâtit de son histoire tourmentée et des réécritures qui en firent une éternelle
ébauche avant que les musicologues la ressuscitent dans sa quintessence. Une œuvre
de Bruckner qui supporte moins
que les autres les fanfaronnades d'orchestres trop lourds et encore moins un
éventuel hédonisme de la part des chefs. Elle exige de l'orchestre un sens de
la limpidité dans le phrasé, une cohésion, une indépendance des pupitres à
l'identique des jeux d'un orgue. Nous avons tout cela ici avec l'orchestre de la Staastkapelle de Dresde, phalange familiarisée avec la musique d'Anton depuis fort longtemps.
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Conseiller une interprétation et une seule est bien
difficile en regard d'une discographie pléthorique et de la problématique des
éditions. Voici une belle sélection de trois albums sortis hors intégrales :
a) La version originale de 1873. Il a fallu attendre 1982
pour découvrir au disque la partition originale grâce à Eliahu Inbal et l'orchestre de la radio de Francfort. Un
coffret de 4 vinyles réunissant les symphonies 3, 4 et 8 jouées dans leur première
rédaction. Telefuken tentait de
donner une dernière vie au vinyle avec la technologie DMM. J'ai ce coffret
vieux de 36 ans, grande pureté des timbres, aucun bruit de surface, pas de
saturation quand les cuivres donnent de la voix… Ces disques sont toujours
disponibles en CD.
On découvrait l'œuvre dans sa complétude mais aussi,
il est vrai, avec ses longueurs, notamment dans le final où le énième développement tarabiscoté
avant la coda n'est sans doute pas indispensable. Pour ce final près de 22
sections en 1873 au lieu de 12 pour la révision de 1877-78 (donc plus lisible) et seulement 5 pour celle de 1889. Mais à ce stade de mutilation, ce
n'est plus du Bruckner mais de la banalité
criarde !!! Quant
aux nombres de mesures pour l'allegro, on descend de 764 à 638 puis 495. Pour
conclure, les spécialistes ont montré que bien des difficultés techniques
(doubles croches syncopés dans l'adagio) étaient absolument injouables par les
instrumentistes de cette époque. Même Mahler, pourtant un inconditionnel admirateur de son professeur, parlera de "morcèlement"
à propos de ce final première version.
Cette édition longue reste donc une curiosité pour les
fans ou ceux qui souhaitent voir comment une œuvre a pu connaître tant de mutations
au fil d'une vie de travail. Récemment, Yannick
Nézet-Séguin ("le
jeune chef canadien qui monte" ; on voit des centaines de grandes affiches
dans le métro) a signé avec la Staastkapelle de
Dresde, une interprétation en concert qui rend totalement grâce
à cette première mouture si novatrice et originale. Tempi idéaux, délicatesse
et tension dans l'adagio, prise de son live subtile et équilibrée. (Édition Staastkapelle de Dresde – 2016 - 6/6).
b) Pour la refonte de 1877-78, découvrir l'œuvre avec l'édition Nowak de 1981 écoutée ce
jour est la meilleur voie. Face à Sinopoli
granitique, on trouve de beaux disques d'Harnoncourt
(une surprise, tempi en folie, 49 minutes 😯) et même de Solti. Et pourtant, à mon
humble avis, la perfection nous a été offerte par Bernard
Haitink et l'Orchestre Philharmonique
de Vienne en 1988, on
trouvera même une indéniable légèreté face au discours tellurique du chef
italien. La beauté plastique de cet orchestre, l'intelligence du chef néerlandais,
la tendresse dans l'adagio en font ma version favorite (sur 7 que je possède) (Philips – 1988 – 6+/6). Hélas difficile à trouver malgré un retour passager en CD
économique. Decca réédite ces gravures, un peu de patience…
c) Version "définitive" de 1889. Tous les chefs de la vieille garde
s'y sont attelés : De Knapperbusch
à, très récemment, Janowski. Les
plus marquants : Böhm, Wand
(3 fois), Celibidache (mystique et
pointilleux donc recevable), et surtout Eugen Jochum
dans son intégrale des années 60-70 puis plus tard, encore avec la Staastkapelle de
Dresde. Mais un allegro réduit à 10 minutes donne
l'impression d'une partition qui se dépêche d'en finir. Je viens de réécouter ce final, un seul mot : la coda est grotesque. Un seul disque récent
s'impose, je crois. A 91 ans, peu de temps avant sa mort, Stanislaw
Skrowaczewski bénéficiait de la souplesse de la Philharmonie de Londres pour graver sans
doute la version testamentaire d'une édition à abandonner. Tempo retenu,
sagacité du trait, mise en perspective de l'orchestration, prise de son
dynamique. (Lpo 2014 – 5/6).
On aura compris, cette œuvre géniale, trop en avance
sur son temps, a enfin acquis ses lettres de noblesse au bout d'un siècle, au
disque tout au moins. Il est certain que pour les fans de cette musique à la fois
luxuriante et extatique, un enregistrement de chaque édition permettra de voir se mettre en place des techniques qui
ouvriront les portes de la musique postromantique et contemporaine, et cela bien avant le déclin de l'époque romantique…
- Dites
M'sieur Claude, sympa votre roman, mais M'sieur Luc vous demande de le couper
en deux pour publier sur deux semaines…
- Je ne pense
pas Sonia, Luc est bien plus tolérant et ouvert qu'un Hanslick, ce n'est pas difficile. Vous me dites ça pour
vous économiser du taf'…
- Heu, hein,
bah, c'était juste une suggestion, et puis "Skrowaczewski", vous en
avez beaucoup comme ça… Enfin, je m'y mets… C'est rigolo, ces réécritures à n'en
plus finir me rappellent l'évolution du NB à la couleur des premiers albums de
Tintin…
- Oui mon petit,
on peut le voir comme ça… (Gros soupir)
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Bonjour Claude Toon,
RépondreSupprimerj'avoue que j'avais du mal à comprendre la musique de Bruckner,eh bien, grâce à vos explications , j'en saisis mieux le sens. merci pour ce beau travail.
Merci, ce message me fait plaisir car le but de mes papiers est exactement ça !
RépondreSupprimerToutes les symphonies ont été commentées. la 3ème n'est pourtant pas celle d'un abord immédiat :o) Merci M. Sinopoli...