Giuseppe Sinopoli (1946-2001)
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- Chère Sonia, si je vous dis Puccini, Verdi, la réponse sera immédiate
: Bel Canto, Opéra, Aïda, Turandot. Bref l'âge d'or de l'art lyrique
italien !
- Oui bien entendu Monsieur Toon, ou la Tosca et même le Requiem de
Verdi…
- Parfait ! Et si je dis Ottorino Respighi ?
- Ben heuuu, nez-gorge-oreilles dirait monsieur Luc, hi hi hi… Non,
vous connaissant, surement pas, plutôt un compositeur injustement
méconnu …
- Bingo Sonia, je vous propose un voyage et des fêtes sous le soleil de
l'Italie et de Rome en particulier…
Respighi et l'ego des chefs d'orchestre
Sonia a raison. Les compositeurs véristes, les commandeurs italiens de
l'opéra et du Bel Canto, règnent sans partage sur la musique de l'Italie
de la fin du XIXème au début du XXème
siècle
: de
Verdi
à
Puccini
en passant par le super fasciste et médiocre
Mascagni. Pour les musiciens plus enclins à l'art instrumental ou symphonique,
la place et donc la reconnaissance sont quasi impossibles. Et c'est bien
dommage pour
Respighi
ou
Casella, deux poètes du son qui ont peut-être su pénétrer
au plus près l'âme de l'Italie, son soleil, ses couleurs, sa grandeur
antique, sans avoir recours à la voix du grand Caruso et encore moins à des livrets d'inspiration plus européenne
(Shakespeare, Dumas…).
Cependant, c'est incontestablement avec le
triptyque romain que Respighi
connaît une certaine notoriété :
Les Pins et Fontaines de Rome et les fêtes romaines. Ces fresques symphoniques à l'orchestration habile et luxuriante
fascinent les chefs d'orchestre qui y voient des occasions de montrer leur
maîtrise des grands effectifs orchestraux. C'est une musique d'accès
facile, voire spectaculaire, mais aussi d'une grande profondeur. Donc,
attention aux matamores de la baguette qui peuvent dénaturer la beauté de
cette musique. Et maintenant : bienvenue à Respighi dans le
Deblocnot'.
Ottorino Respighi
Ottorino Respighi
est né à Bologne en 1879. Il débute ses études musicales
avec son père, un professeur de piano de la ville. Il se perfectionne en
violon, alto et composition au Liceo Musicale de Bologne. En
1899 : Idée de génie. Il part pour Saint-Pétersbourg étudier
la composition et surtout l'orchestration auprès d'un maître incontesté en
la matière,
Rimski-Korsakov, l'auteur de Shéhérazade (clic) ! Un enseignement rigoureux qu'il saura moderniser en s'inspirant de la
puissance tellurique des orchestrations de
Richard Strauss et de l'impressionnisme de
Debussy.
Respighi
est l'un de ces compositeurs qui devra faire face à l'absolutisme du
vérisme et de l'opéra.
Son œuvre est le reflet de son intérêt pour le lumineux patrimoine
instrumental de l'Italie. Admirateur de
Monteverdi, en passant par l'intimisme ensoleillé de l'époque baroque, Respighi va
léguer un testament moderne enchanteur. Y alternent des poèmes symphoniques
somptueux comme le
triptyque de Rome (CD1) et des
œuvres plus "chambristes" inspirées de l'époque de
Vivaldi
(Suite sur des airs anciens) ou de la peinture italienne de la Renaissance (Triptyque de Botticelli) (CD2). Il composera également des opéras d'un intérêt hélas moindre que
ceux de
Verdi
ou
Puccini. "Une faute" pour briguer une grande notoriété dans l'Italie du début du
XXème siècle !
Respighi voyage beaucoup, y compris en Amérique latine, comme nombre de
ses contemporains. Il écrira une très jolie suite "Impressions brésiliennes". Respighi est un compositeur sans doute moins avant-gardiste que
Stravinsky,
Bartok
ou
Schoenberg, mais sa musique est si chaleureuse qu'elle mérite une place qu'elle n'a
pas encore.
L'attitude pendant le fascisme est discutée. Respighi n'a pas pris ses
distances avec
Mussolini
comme
Toscanini
(qui avait envoyé ch… le dictateur à la Scala), mais n'a pas non plus fait
preuve d'un zèle militant auprès de ce régime. Il composait, dirigeait et
enseignait. Comme beaucoup d'artistes, il attendait des jours meilleurs.
Respighi est mort en 1936 à Rome à 57 ans et n'a donc pas
connu la folie meurtrière de la collaboration avec le nazisme.
Giuseppe Sinopoli
Giuseppe Sinopoli faisait
partie de ces artistes que les critiques français éreintent… par principe.
Son tort : explorer les partitions pour en percer les secrets et moderniser
les concepts interprétatifs. Innover n'est jamais du goût des
critiques.
Le jeune Giuseppe est né à Venise en 1946. Il choisit deux
voies estudiantines. En médecine, il obtient un diplôme en psychiatrie et
anthropologie criminelle ?! Pour la musique, il l'étudie la composition
auprès de
Ligeti,
Stockhausen
et
Maderna. Il suit les traces de
Claudio Abbado
à Vienne auprès de
Hans Swarowsky
pour la direction d'orchestre,
Jusqu'en 1980, il compose des musiques avant-gardistes très influencées par
le sérialisme. Une des œuvres marquantes est un opéra
Lou Salomé évoquant la vie de la
petite amie de Friedrich Nietzsche. Rien d'étonnant qu'avec un tel
livret
Sinopoli
ait été un excellent interprète de
Richard Strauss.
Il se tourne vers la Direction d'Orchestre intensément à partir de 1980
et va être nommé très jeune aux postes les plus enviés : Orchestre de
l'Académie nationale de Sainte-Cécile à Rome,
Orchestre Philharmonia et enfin la Staatskapelle de Dresde.
La discographie est à l'avenant et sans facilité :
Bruckner,
Mahler, et
Richard Strauss. Ses visions des opéras de ce dernier sont encensées par la critique,
même en France, où il ne dirige pourtant plus après les cabales montées
par le "tout paris" musical. Il interprète sans concession, revisitant
l'essence des ouvrages, les imprégnant de sensualité latine. C'est parfois
déroutant, souvent admirable.
Giuseppe Sinopoli dirige Aïda
le 20 avril 2001 à Berlin. Au milieu du 3ème
acte, il s'écroule victime d'une crise cardiaque fatale, il a 55 ans. L'Italie lui offrira des obsèques nationales… La firme Dgg a réédité ses enregistrements, et très à propos ce CD
Respighi.
Cette réédition Respighi dans la collection DUO de Dgg a un double intérêt
à mon sens, pour aller à la découverte du bolognais, ou encore pour
compléter une discographie. Premièrement, elle rassemble les trois suites
symphoniques les plus connues dans une fort belle lecture, puis propose des
suites pour petit ensemble qui ne sont aucunement des œuvres mineures.
CD1 : les Fontaines, les pins et les fêtes à Rome…
Le triptyque romain défie les limites techniques de la musique
enregistrée. Entre brise instrumentale et déchainements symphoniques, les
artistes et preneurs de son n'ont pas droit à l'erreur : magnifier la
subtilité et les déferlements, permettre de tout entendre sans provoquer
l'éclatement des enceintes.
Lors de sa parution en 1993, le
Triptyque des Pins, Fontaines et fêtes romaines
par Giuseppe Sinopoli avait obtenu un diapason d'or de la revue
Diapason. Pourtant, on ne pouvait pas suspecter cette revue d'être un
aficionado du chef italien dont les enregistrements manquaient de
régularité dans la réussite... Le maestro italien a déjà pris en
main la destinée de l'Orchestre de la
Staatskapelle de Dresde. Il choisit néanmoins le ductile
Philarmonique de New York
pour cet enregistrement.
Pour ce chef qui a si bien servi Bruckner, Mahler et Strauss, répertoire
où la concurrence est redoutable, ce disque
Respighi est passionnant.
Sinopoli tourne le dos aux
fulgurances de Reiner ou Dorati. Dans ces 3 poèmes symphoniques à
l'écriture simple en apparence, l'orchestration luxuriante manque parfois
de lisibilité à l'écoute "domestique", au risque de me répéter. Sinopoli
interprète en orfèvre, se joue des détails les plus subtiles, aidé en cela
par le New York Philarmonique toujours souple et aéré comme nombre
d'orchestres américains. En magicien, le chef équilibre tous les pupitres.
Il est même possible sur un bon matériel de percevoir comme jamais les
bassons et percussions cristallines, parents pauvres de la musique
enregistrée. Sinopoli restitue une fraîcheur à ces partitions parfois
exécutées (au sens propre) pour faire briller et tonner un peu vainement
les grands orchestres.
La poésie de Respighi mérite cette transparence et cette élégance,
notamment dans
les fontaines de Rome
qui ouvre le programme. Qualités que l'on retrouve dans la transition
entre "La fontaine du triton au matin" et " "La fontaine de Trevi à midi". Exigeant une grande finesse de ses cuivres, du célesta et des autres
percussions, le chef obtient une force descriptive intense de ces jeux
d'eaux, des millier de gouttes illuminant les diverses heures du jour. Á
ce sujet "La fontaine de la vallée Giulia" se réveille dans une douceur matinale illustrée par un dialogue délicat
entre la clarinette, le hautbois, les tintements du triangle, quelques
notes de harpe, le tout baigné dans une brume colorée des cordes. Quelle
poésie !
Dans
les Pins de Rome, on pourrait discerner des sonorités wagnériennes (sans la lourdeur
germanique). La progression de "Les pins de la voie Appienne" ne culmine pas dans une apocalypse triomphante, mais bénéficie d'une
puissance processionnaire et contrôlée mettant parfaitement en relief
l'architecture de la pièce. Respighi peint dans cette marche inexorable le
triomphe des légions romaines victorieuses marchant vers le Colisée. Et
pour ceux qui doutent encore du sens de l'innovation, Respighi utilise dès
1924, une "bande magnétique" simulant les chants d'oiseaux à la fin
"des pins du janicule", l'une des collines de Rome.
Enfin, dans
les fêtes romaines
écrites plus tardivement en 1930, la joie est totalement au
rendez-vous. Les pièces de facture plus moderne rappellent par instant la
vitalité et l'extravagance d'un Stravinsky ou la désarticulation ironique
et fantasque de la Valse de
Ravel. Et dans cette débauche (au sens noble), Respighi se montre
humoristique. Dans l'Épiphanie, le compositeur nous rappelle la venue des mages en incorporant des
motifs orientalisants au milieu d'une musique qui évoque la fébrilité
foraine du
Petrouchka
de
Stravinsky. Cette dernière et quatrième fête fait penser à une bacchanale orgiaque
qui sera une source d'inspiration pour les compositeurs de musique de
Péplums (mais pas toujours aussi construites…).
La sensualité italienne du chef et la musicalité acquise en côtoyant
Mahler,
Strauss
et
Bruckner
servent comme rarement au disque cette musique. J'irai jusqu'à penser que
sa vision est moins démonstrative et rugueuse que celle de
Fritz Reiner. Oui, j'ose !
CD 2 : Les oiseaux de Botticelli jouent du luth…!
Comme expliqué dans sa Bio, Respighi embrassait par passion toute la
musique Italienne. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait imaginé écrire des
suites de type baroque avec des ensembles instrumentaux réduits.
Cette seconde facette de l'art de Respighi, passionné de musique baroque
et amateur de musique descriptive, trouve sa place dans le second disque.
Une belle place car toutes les pièces sont interprétées par
l'Orpheus Chamber Orchestra, phalange composé de solistes de premier rang et de professeurs de la
côte est américaine (clic).
Les trois transcriptions libres des "danses et airs anciens pour luth" (datant du XVIème siècle, écrites par divers compositeurs plus ou moins
oubliés) connaissent leurs références avec
Dorati. Ici ne sont présentes que les
suites 1 et 3. Comme toujours, cet ensemble joue avec cohérence et
légèreté. Il y a comme une grâce de fête princière, les instrumentistes
jouent la carte de la franchise du trait, du clair-obscur d'une chaude
nuit lors d'un ballet féérique. On songera à l'écoute de ces pages
dansantes aux concerti grosso du XVIIème et XVIIIème siècle.
Dans la suite "Les oiseaux", lesdits volatiles sont joyeux, le chant des bois aérien (forcément).
La colombe, La Poule (d'après
Jean-Philippe Rameau
– une poule qui ne nous quitte plus (clic)), le
Rossignol et le
Coucou nous replongent dans
l'inspiration champêtre et joyeuse des compositeurs de la fin de l'époque
baroque.
Ces remarques s'appliquent pour le
triptyque de Botticelli
qui se veut la traduction musicale d'impressions face à trois
chefs-d'œuvre du peintre : Le printemps (ci-contre),
l'adoration des mages et la naissance de Venus.
La complémentarité apporté par ce second disque au triptyque romain
devient lui aussi un incontournable dans la découverte de l'éventail des
inspirations du maître de Bologne.
Discographie alternative
Elle est heureusement assez riche !
En premier lieu, une surprise, le triptyque interprété en live en
1980 à Moscou par Evgueny Svetlanov. Le chef russe
oppose la poésie à la luxuriance orchestrale, une interprétation musclée.
Jamais les
fêtes romaines
n'ont connu une telle frénésie qui montre à quel point cette musique
appartient au monde moderne. La prise de son "dans l'orchestre" nous
permet d'explorer ces partitions dans les menus détails. Pour les amateurs
du triptyque seul, un enregistrement incontournable (4/6) !
Fritz Reiner
n'a enregistré que
les Pins et les fontaines de Rome. La précision et la vigueur du chef font merveille à Chicago à
l'aube de la stéréophonie
RCA (5/6).
Enfin pour l'intégrale des
trois suites sur des airs anciens pour Luth, Antal Dorati (encore lui diront certains) a signé en
1958 avec le Philarmonia Hungarica à Vienne la version de
référence. Dorati est lui aussi servi par cette stéréo au scalpel
du label Mercury (5/6).
Vidéos
Les Pins de Rome dirigé par le Symphonique de Chicago et Fritz Reiner.
Les Pins de Rome dirigé par le Symphonique de Chicago et Fritz Reiner.
Puis, Les Fontaines de Rome, Les pins de Rome et les fêtes romaines dans une l'interprétation de Giuseppe Sinopoli suivi des suites du CD2...
Pour faire plaisir à Pat Slade qui aime cet immense artiste, je vous
propose
la suite sur des airs anciens n°3 pour cordes
interprétée joliment par
l'orchestre symphonique de Boston
et Seiji Ozawa.
Si vous avez aimé cette chronique : lisez ou relisez celle consacrée à la violoniste Julia Fischer dans Poème automnal de Respighi.
J'étais a deux doigts de te parler de la version de Osawa qu'il a enregistré deux fois , avec le Chicago et le Boston bien sur ! Merci pour la dédicace .
RépondreSupprimerA un moment de l'année où l'automne s'approche, merci d'inviter le soleil d'Italie en nos salons !
RépondreSupprimerEn terme de ductilité, je ne connais pas mieux que l'interprétation du Triptyque romain par Neville Marriner / ASMF (Philips). La palette de couleurs respighienne y est volatilisée en parfums...
Une petite remarque à ce que vous écrivez au sujet des "Fontaines de Rome" : la nomenclature instrumentale ne prévoit aucun vibraphone parmi les percussions, mais seulement triangle, cymbales, glockenspiel, célesta, cloche, 2 harpes, et piano.
Merci Melomaniac. Pour l'orchestration, je vais corriger mon Texte.
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas la version Marriner. Dans la discographie, on trouve facilement un programme assez analogue à celui commenté ce jour, mais le triptyque romain est dirigé par Riccardo Mutti ou Lamberto Gardelli suivant le programme. (Les suites sur des airs anciens, ou les oiseaux et la suite de Botticelli sont dirigé par Neville Marriner.)
Le CD du triptyque chez Philips n'est plus au catalogue, mais j'ai déniché un exemplaire aux US…
En effet Pat', et à lire ta remarque en regard de celle de Melomaniac, on se rend compte que ces œuvres ont été bien servies aux disques....
RépondreSupprimerIl existe un nombre important de pages qui restent moins connues (J’écoute sa symphonie dramatique que je ne connaissais pas, un peu grandiloquent mais ça passe bien). Je ne vois pas souvent Respighi dans les programmes de concerts parisiens.
Un jour viendra.....
Derechef, votre chronique m'a donné envie ce matin de me replonger dans le séduisant univers respighien. J'espère pouvoir prochainement commenter en détail quelques versions : Ozawa/Boston, Kertesz, Svetlanov, Ormandy.
RépondreSupprimerEn attendant, je me permets d'attirer l'attention sur l'interprétation d'Edo de Waart à San Francisco, qui mérite d'être distinguée au sein d'une discographie en effet aussi riche qu'attrayante.