vendredi 19 octobre 2018

PHANTOM OF THE PARADISE de Brian de Palma (1974) par Luc B.


Les films de Brian de Palma, quelques soient leurs qualités (et souvent leurs gros défauts) sont toujours des fourre-tout où viennent se nicher toutes les influences dont il a été nourries. Pour PHANTOM OF THE PARADISE, c’est un véritable déluge ! Chaque scène, chaque image est truffée de références, on y retrouve Orson Welles et Hitchcock, entre autres, mais aussi le cinéma d’horreur de la Hammer, le gallio italien cher à Dario Argento (qui a produit sa propre version du Fantôme de l’Opéra), l’Expressionnisme allemand des années 30, les films fantastiques d’Universal (FRANKESTEIN and Cie)… N’en jetez plus ! Donc forcément, cette chronique s'apparentera à un bestiaire du film fantastique, non exhaustive...

Le scénario a été écrit par Brian de Palma, s’inspirant du FANTOME DE L’OPERA de Gaston Leroux, du mythe de FAUST, comme du DORIAN GRAY d’Oscar Wilde. Mais en mode rock’n’roll. Un producteur de musique, Swan, décalque d’un Phil Spector à peine plus grand, s’empare de la musique de Winslow Leach, pour en faire le clou de son nouveau spectacle. Leach, dépossédé, tente de reprendre ses partitions, entrant par effraction dans l’antre du producteur. Raté. Il atterrit en taule dont il s'évade, à moitié dingue. Séquence jouissive traitée sur le mode burlesque, à la Tex Avery. 

Winslow Leach remet la gomme, mais cette fois sa tentative lui vaut d’être défiguré par une presse à vinyles (sic). Il se cache alors derrière un masque, une cape, et hante le théâtre pour détruire Swan et son spectacle. Là, de Palma nous ressort son pécher mignon, le split-screen : séparation de l’écran en deux images. La même scène est filmée par deux caméras, on a donc deux points de vue différents de la même action, en temps réel, même dispositif utilisé dans CARRIE. On remarquera les mains qui placent une bombe placée dans le coffre d’une voiture, et la séquence qui s'en suit, renvoyant directo au plan mythique de LA SOIF DU MAL d’Orson Welles.

Le contrat signé entre Swan et Leach est épais comme un bottin, rédigé en lettres gothiques, et les deux hommes le biffent de leur sang… C’est l’aspect Expressionniste du film, comme le décor de scène où chante Beef, réplique du décor du CABINET DU DOCTEUR CALIGARI (Robert Wiene, 1920). Beef… un chanteur découvert par Swan, qui doit avoir le premier rôle du spectacle. De Palma en fait un pantin ridicule sous amphétamine : la scène avec ses bigoudis sur la tête ! Ce qui nous vaut un pastiche réjouissant de la scène de la douche de PSYCHOSE, une ventouse en guise de couteau ! Admirable ! Le show lorgne vers Kiss, Alice Cooper, Ozzy Osbourne, mannequins tronçonnés par des guitares faucilles, et Beef apparait dans un cercueil comme Bela Lugosi dans DRACULA ! De Palma s’amuse beaucoup… 

Autre marotte du réalisateur, le thème du double, sujet de BODY DOUBLE avec Melanie Griffith. Ici on a le compositeur génial dans l’ombre face à l'interprète dans la lumière. Et le voyeurisme : Swan qui observe ces jeunes chanteuses sur un matelas d’eau de 10 mètres de diamètre (souvenez-vous de la baignoire de Toni Montana dans SCARFACE). Beaucoup de scènes sont vues par écrans interposés, notamment celle, fameuse, où Leach voit les images de Swan pactisant avec son reflet, pour garder la jeunesse éternelle. La manière dont de Palma filme, comme en apesanteur, Winslow Leach à la recherche des bandes magnétiques rangées dans une bibliothèque baignée de lumière rouge, renvoie au Dave Bowman de 2OO1 cherchant à déconnecter l'ordinateur Hal 9000. Autre exemple, lorsque que Swan épie Leach, via ses caméras, qui lui-même le mate au lit avec une jeune chanteuse, depuis le toit, et bien évidemment pendant une nuit d’orage. 

Autre scène joliment filmée, ce casting où Swan est assis au centre d’un bureau rond : un vinyle doré géant. La caméra tourne autour, et fait apparaitre dans la lumière de projecteurs différents groupes qui entrent et sortent de l'ombre. Superbe ! De Palma est adepte du travelling circulaire, bien pratique quand son film parle de disque ! Il y a plein de petits clins d’œil au rock, une couverture du magazine Rolling Stone, où cette liste d’artistes que la secrétaire de Swan garde dans ses tiroirs dans laquelle on reconnait de vrais noms. 

Le duel farouche que se livrent Swan et Winslow Leach vire au dantesque lors d’une scène finale apocalyptique. A vrai dire, on ne sait plus trop si on doit en rire ou non. Si le but était de représenter le monde impitoyable du show biz, de Palma y va à la truelle. Son film s’apparente  alors davantage à une pochade, une farce sanglante, aux effets excessifs dans lesquels le réalisateur se vautre avec un plaisir grand guignol non feint. L’interprétation est d’ailleurs volontairement caricaturale, proche du cartoon. 

A l’exception de Swan joué par Paul Williams. Qui ça ? Musicien, auteur de musiques de film, de disques, il a écrit et composé toutes les chansons, dans un registre d’abord country folk, puis mâtiné de glam. Celui de Mott the Hoopel, Bowie, T. RexWilliams est d’ailleurs l’auteur de « Fill your heart » sur l’album Hunky Dory de Bowie. Compositeur, mais aussi acteur à cette occasion, ce petit bonhomme d’1m57 a été choisi pour son physique particulier, et on le retrouvera régulièrement dans pas mal de séries télés. Pas toujours des chefs d’œuvres, ainsi Wikipédia nous apprend qu’il est des épisodes 2869, 2883, 2885, 2894 et 2899 d’Amour, Gloire et Beauté (je n'ai vu que l'épisode 2883 où Clara devenue Dimitri après une opération au Brésil déclare sa flamme au neveu du fils du cousin de Deborah dont la tante et belle fille, jumelle de Consuela, couche avec Jimmy, le chien de son frère, ou le frère de son chien, je m'y perds). Je rassure les esthètes, Paul Williams a tourné aussi un Texas Ranger avec Chuck Norris.

Petite anecdote : le personnage de Swan est propriétaire du label Death Records. Au départ, ce devait être Swan Records, sauf que... c'était déjà pris par Led Zeppelin. D'où le changement de nom pour éviter des procès (et avec Peter Grant, il y avait du mouron  se faire !).

Le travail sur les décors et l’image est très soigné. Très colorées, aux nuances saturées, les images sont striées d’ombres et de noirs profonds, de perspectives tronquées, comme dans les films allemands de Wiene ou Murnau. D’où la comparaison inévitable avec THE ROCKY PICTURE SHOW, sorti six mois plus tard, et qui avec une bande son tout aussi épatante, se voulait un vrai pastiche des séries Z et du fantastique muet. Ma préférence va à ce dernier, ne sachant trop où ranger PHANTOM OF THE PARADISE, entre exercice de style m'as-tu vu pour cinéphiles en goguette, et film d’auteur. Car Winslow Leach, l’artiste maudit muselé par d'odieux producteurs, vous l’aurez reconnu : Brian de Palma himself, aux prises avec Hollywood !
couleur  -  1h30  -  format 1 :1.85   

   

6 commentaires:

  1. Le label de Led Zep, c'était Swan Song Records. Mais c'est vrai que Peter Grant était... comment dire...susceptible

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  2. Exact, mais c'était trop proche, et la production voulait éviter les problèmes...
    Tiens, le personnage du film s'appelle Winslow Leach. Et le prof de cinéma de de Palma, c'était Wilford Leach... C'est pas un hasard !

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    1. Y'a rarement de hasard avec De Palma. A la réflexion, je rapprocherais son fonctionnement à celui de Tarantino (et aussi Led Zep), niveau références et détournements. On peut prendre ça comme des hommages ou des appropriations, mais rien ne s'invente tout se transforme isn't it?

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    2. C'est tout le problème avec de Palma. C'est pourquoi je l'aime. Il n'a fait que reprendre pour son compte ce que d'autres avaient fait avant. Hitchcock étant le premier des pillés. Il est cinéphile, ultra référencé, c'est un plaisir immense de voir ses films, mais pour des séquences déjà vues ailleurs... Ses meilleurs plans sont la copie d'autres films (sauf dans "Scarface", où il a quelques fulgurances, ce plan à la grue qui va de la rue à la salle de bain... repris d'ailleurs dans Le Dahlia Noir). Donc comment aimer un mec comme ça ? On l'aime parce qu'on aime le cinéma...

      Le rapprochement avec Tarantino et Led Zep est tout à fait pertinent ! Mais Tarantino a su créer son style à partir de ceux des autres, mais en l'élargissant au sien. Notamment l'importance des dialogues, la théâtralité (le huis clos de "8 salopards"), ce que de Palma peine à faire...
      Un débat de Palma / Tarantino devrait valoir son pesant de pellicule...

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  3. Un film culte ... que j'ai pas vu...
    Et que j'ai pas spécialement envie de voir.
    Dans le genre, effectivement, Rocky horror picture show me semble insurpassable ...

    Les films de De Palma me gonflent (oui, je sais, Scarface ...) plus souvent qu'ils me captivent ...

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    1. Regarde L'impasse, avec un Al Pacino d'une sobriété incroyable, peut être en contraste avec Sean Penn qui est méconnaissable de surenchère. C'est le boulot de De Palma, pour moi grand directeur d'acteurs! (Travolta dans Blow Out!!)

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