Décédé
l’année dernière, Philip Roth est considéré comme un des deux ou trois plus
grands romanciers américains contemporains, croulant sous les distinctions,
honneurs et hommages, genre publié de son vivant dans la Pléiade. Il devient célèbre en publiant PORTNOY ET SON COMPLEXE en
1969, monologue comique d’un avocat juif traumatisé par sa mère. Parmi ses
romans, certains se distinguent en reprenant le même narrateur, son double de fiction : Nathan Zuckerman. Qui apparait dans neuf livres, dont
les trois qui forment la Trilogie Américaine : PASTORALE AMÉRICAINE, J’AI ÉPOUSÉ UN COMMUNISTE, LA TACHE. Natif de Newark, dans le New Jersey, tous ses romans s'y déroulent.
Résumer
un livre de Philip Roth n’est pas aisé. A partir d’une petite intrigue, l’auteur
va dérouler la bobine des souvenirs, développer ses histoires et personnages, comme des cercles
concentriques qui s’étendent à la surface de l'eau. La construction du bouquin en
fait toute la saveur et le mystère. C’est redoutable d’intelligence, flash-back, flash-forward, mises en abime de situations, narrateurs pluriels.
C’est
ce qui m’avait un peu agacé dans PASTORALE AMÉRICAINE, où dix fois un fait était décrypté selon les points de vue. Le procédé en devenait redondant, ennuyeux. Ce n’est pas le cas -
ou presque - de LA TACHE. Le principe de départ est le même. L’écrivain Nathan
Zukerman est chargé d’écrire l’histoire d’un autre. A savoir Coleman Silk, célèbre
professeur et doyen de l’université d’Athena qui a démissionné après avoir été
accusé de racisme envers deux étudiants. Ils ne venaient jamais en cours, et en
faisant l’appel, Silk demande à la classe : « Existent-ils vraiment
ces deux-là, ou est-ce des zombies ? ». Le terme zombie signifiant
fantôme, spectre, mais pouvait en argot être interprété par bougnoule. Or, les
deux étudiants étaient Noirs. Ce que Coleman Silk ignorait, puisqu’il ne les
avait jamais vus en cours.
Les
rumeurs, le procès, le stress ont eu raison de sa femme, qui est décédée. Silk
enrage, veut que justice lui soit rendue. D'autant qu'une lettre anonyme dénonce les relations sexuelles qu'il entretient avec Faunia, une jeune femme de ménage analphabète.
Newark, NJ. |
C’est
à partir de ce noyau que Philip Roth va développer ses intrigues, passant d’un
narrateur à un autre, d’une époque à une autre, avec une fluidité dans la
narration qui laisse pantois. Chez Roth, pas d'insertion du type "4 ans plus tard" ou "1962, New York"... c'est par les situations que l'on comprend où on en est. Outre la jeunesse de Coleman Silk et sa famille, on
y croise ses enfants, l’histoire de Faunia, celle de son mari Lester Farley,
vétéran du Vietnam, traumatisé à vie, violent, d’autant que ses deux enfants
sont morts dans l’incendie de leur maison, pendant que leur mère s’envoyait en
l’air dans une camionnette. Il y a des pages éblouissantes sur le Vietnam, le
retour au pays, la violence de l’accueil faite aux vétérans, la réinsertion. On pourra tiquer
sur le portrait de Delphine Roux, caricature d’intellectuelle universitaire
française, très Rive-gauche, embauchée à Athena par Silk.
Mais
là où Philip Roth nous souffle, c’est à l’entame de la seconde partie. On aurait
raté un truc ? (je ne vais pas vous dire quoi…). Je pense que tous ceux
qui ont lu ce livre sont revenus vingt pages en arrière. Hein, y’s
passe quoi ? Coleman Silk a engagé Nathan Zukerman pour écrire son
histoire, et son secret. Et quel secret ! Tout est remis en cause, le
personnage de Silk se complexifie davantage. Il va falloir repartir dans le
passé, creuser encore, des pages formidables sur l’après-guerre,
l’école de boxe, les rencontres
amoureuses.
On
a parlé de l’auteur Jim Harrison et son phrasé sec [lien vers Péchés Capitaux]. Tout l’inverse chez Roth,
dont les phrases, magnifiquement composées, construites, sinueuses, peuvent
pendre une page entière. Pas de chapitre, mais cinq parties. Le style est assez éblouissant, l’auteur parvient à
dresser le portrait d’une Amérique corsetée dans son puritanisme - des pages
drolissimes sur Clinton, Monica Lewinski et son cigare - y’a beaucoup de scènes
de sexe dans le bouquin, une radiographie de l'Amérique post-Vietnam, et le portrait de la psyché masculine (son grand dada) dans ce qu’elle
a de plus intime, poétique, et libidineuse.
***************************
En
marge du livre, il s’est passé un truc incroyable. Philip Roth est tombé sur la
page Wikipédia consacrée à son livre LA TACHE. L’auteur de l’article y affirmait
que Coleman Silk était inspiré d’un personnage réel (là encore, je ne vous dis
pas…). Philip Roth modifie donc sa propre page Wiki, en rétablissant la vérité : Coleman Silk est inspiré par un de ses amis à qui
il est arrivé la même mésaventure.
Ses corrections ne sont pas acceptées au motif qu’elles ne sont pas étayées, que
Roth ne dispose pas de sources crédibles. Sauf que c’est lui, la source, c’est
lui l’auteur du roman ! Il fera paraitre une lettre ouverte vitriolée
anti-Wikipédia dans les journaux, en 2012, titrée « Je suis Philip Roth » ! Et c'est donc cette lettre ouverte, pouvant désormais être citée comme source, qui a permis à Philip Roth de modifier sa page Wiki !
Édition Poche, Folio, 479 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire