vendredi 23 août 2019

JIM HARRISON "Péchés Capitaux" (2015) par Luc B.


Jim Harrison (1937-2016) est un des piliers de la littérature américaine, poète, romancier et scénariste, visez sa bouille en photo, cet homme-là ne peut qu'être bon. On lui doit notamment DALVA (1988, gros succès) et le recueil de nouvelles LÉGENDES D’AUTOMNE (1978) adapté au cinéma par Edward Zwick. PÉCHÉS CAPITAUX a pour héros l’inspecteur Sunderson, flic libidineux à la retraite, qu’on retrouve aussi dans GRAND MAITRE (2011). Les deux bouquins ont en commun un sous-titre : "faux roman policier".

Jim Harrison est l’écrivain des grands espaces, de la nature, qu'il célèbre dans toute son œuvre, lui-même partageait sa vie entre le Montana et le Michigan. Ce que fait aussi son personnage, Sunderson, qui après s’être fait briser le dos lors d'une bagarre, entame une longue convalescence dans un petit chalet du Nord-Michigan. Solitude, whisky et pêche à la truite au programme. Hélas, sa petite bicoque se trouve sur le territoire des Ames. Une famille redneck dégénérée, incestueuse, sociopathe portée sur la violence, même le shérif du coin ne s’y frotte pas.

Le patriarche Simon Sr a donné une ribambelle de gosses, répartie en trois maisons. Trois fils et leurs rejetons, pervers, vicieux et alcooliques, qui font la loi. Tout ce qui représente l'Etat et s'aventure sur leurs terres est accueilli à coups de fusils à pompe. Les femmes du clan servent de chair à pâté, on les frappe, on les viole, même en bas âge. Tom avait attaché sa femme à un piquet, en plein soleil, parce que ses œufs du matin étaient froids. La jeune Lily (nièce et femme de ménage) va en faire les frais, trois balles d’AK 47 dans le bide. Sunderson repassera pour sa convalescence, et va tenter de remettre un peu d’ordre dans ce chaos.

Faux roman policier. Il y a pourtant une enquête, un flic, des meurtres et morts inexpliquées en veux-tu en voilà, des indices, mais ce bouquin ne sonne pas comme un polar. Harrison en détourne les codes. Le clan Ames est décimé par une sorte de vengeur masqué, Lemuel Ames, le seul de la famille à n’être pas un cas social, semblant tenir la corde des suspects. Mais tout ce qu’on apprend de l’enquête, sont généralement des dénonciations, des on-dit, des souvenirs de conversations, que Sunderson assemblent comme un puzzle. Le cœur du roman est ailleurs, dans sa description du Mal.

Élevé dans la religion, Sunderson est obsédé par les 7 péchés capitaux. Sa thèse est qu’il faudrait en compléter la liste par un huitième : la violence. Sunderson, et l’auteur, s’interroge à longueur de pages sur cette violence endémique, typiquement américaine. Les Ames vivent reclus en dehors de toutes les lois en vigueur, sauf celle des flingues. Lorsqu’il était inspecteur en activité, Sunderson a côtoyé la violence, notamment sur mineur. Dans son chalet, entre deux rasades de whisky canadien, il essaie d’écrire sur ce huitième péché capital. Le livre est assez violent par la multitude de cas référencés, dans l’Histoire, ou dans ce coin apparemment paisible du Michigan.

Sunderson aussi a des côtés pervers. Sa sainte trinité tient en trois B : bouffe, boisson et baise. Sunderson est un obsédé. Rares sont les pages sans sexe, direct, cru. Rien d’érotique. A 66 ans Sunderson passe beaucoup de temps au pieux avec Monica Ames, une dingue de cul aussi, qui a l’âge de sa petite-fille. Sunderson fantasme sur toutes les femmes qu’il croise, y compris sa propre fille adoptive, qui lui pompera le dard dans un hôtel chic à Paris (le premier chapitre est plein de surprises !). Disons-le, le personnage apparait malsain, l’auteur n’émet aucun jugement.

Les deux autres B, la bouffe et la boisson, réservent aussi de belles pages de beuverie, Sunderson éclusant pintes de whisky sur bouteilles de vins, se régalant de pâtés en croute, gigots, volailles rôties, mitonnés par Monica, qui doit sa survie dans le clan a ses talents de cuisinière. Le roman se passe sur plusieurs mois, vous imaginez le nombre de repas que ça fait…

L’écriture est sèche, directe, crue, les phrases courtes, le récit avance vite. C’est déroutant au début. Le contraire d'un Philip Roth - on y reviendra. Les faits, rien que les faits, pas de digression, le premier chapitre déroule un nombre de rebondissements incroyables. De superbes pages sur la nature, la pêche à la truite, tantôt cendrée, arc-en-ciel, brune, un détour par Paris et Séville, qui vaut son pesant de salades à l’œuf poché et de danseuses de flamenco. Le regard de l’auteur sur son pays et ses contemporains est noir, dérangeant, difficile de ne pas tiquer parfois, des trucs abjectes nous sont jetés comme ça, en pâture, en trois mots, mais hélas, c'est ainsi que Harrison, écœuré, regarde son monde et le retranscrit.



En poche "J'ai Lu" - 350 pages       

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