Jim
Harrison (1937-2016) est un des piliers de la littérature américaine, poète, romancier et scénariste, visez sa bouille en photo, cet homme-là ne peut qu'être bon. On lui doit notamment DALVA (1988, gros succès) et le recueil de nouvelles LÉGENDES D’AUTOMNE (1978) adapté au cinéma par Edward Zwick. PÉCHÉS CAPITAUX a
pour héros l’inspecteur Sunderson, flic libidineux à la retraite, qu’on retrouve aussi dans GRAND MAITRE (2011). Les deux bouquins
ont en commun un sous-titre : "faux roman policier".
Jim
Harrison est l’écrivain des grands espaces, de la nature, qu'il célèbre dans toute son œuvre, lui-même partageait sa vie entre le
Montana et le Michigan. Ce que fait aussi son personnage, Sunderson, qui après
s’être fait briser le dos lors d'une bagarre, entame une longue convalescence dans un petit chalet
du Nord-Michigan. Solitude, whisky et pêche à la truite au programme. Hélas, sa
petite bicoque se trouve sur le territoire des Ames. Une famille redneck
dégénérée, incestueuse, sociopathe portée sur la violence, même
le shérif du coin ne s’y frotte pas.
Le
patriarche Simon Sr a donné une ribambelle de gosses, répartie en trois maisons.
Trois fils et leurs rejetons, pervers, vicieux et alcooliques, qui font la loi. Tout ce qui représente l'Etat et s'aventure sur leurs terres est accueilli à coups de fusils à pompe. Les femmes du clan servent de chair à pâté, on les
frappe, on les viole, même en bas âge. Tom avait attaché sa
femme à un piquet, en plein soleil, parce que ses œufs du matin étaient froids. La jeune Lily (nièce et femme de ménage) va
en faire les frais, trois balles d’AK 47 dans le bide. Sunderson repassera pour
sa convalescence, et va tenter de remettre un peu d’ordre dans ce chaos.
Faux
roman policier. Il y a pourtant une enquête, un flic, des meurtres et morts inexpliquées
en veux-tu en voilà, des indices, mais ce bouquin ne sonne pas comme un polar. Harrison en détourne les codes. Le
clan Ames est décimé par une sorte de vengeur masqué, Lemuel Ames, le seul de
la famille à n’être pas un cas social, semblant tenir la corde des suspects. Mais
tout ce qu’on apprend de l’enquête, sont généralement des dénonciations, des
on-dit, des souvenirs de conversations, que Sunderson assemblent comme un
puzzle. Le cœur du roman est ailleurs, dans sa description du Mal.
Élevé dans la religion, Sunderson est obsédé par les 7 péchés capitaux. Sa thèse
est qu’il faudrait en compléter la liste par un huitième : la violence.
Sunderson, et l’auteur, s’interroge à longueur de pages sur cette violence endémique,
typiquement américaine. Les Ames vivent reclus en dehors de toutes les lois en
vigueur, sauf celle des flingues. Lorsqu’il était inspecteur en activité,
Sunderson a côtoyé la violence, notamment sur mineur. Dans son chalet, entre deux
rasades de whisky canadien, il essaie d’écrire sur ce huitième péché capital.
Le livre est assez violent par la multitude de cas référencés, dans l’Histoire,
ou dans ce coin apparemment paisible du Michigan.
Sunderson
aussi a des côtés pervers. Sa sainte trinité tient en trois B : bouffe,
boisson et baise. Sunderson est un obsédé. Rares sont les pages sans sexe, direct,
cru. Rien d’érotique. A 66 ans Sunderson passe beaucoup de temps au pieux avec
Monica Ames, une dingue de cul aussi, qui a l’âge de sa petite-fille. Sunderson
fantasme sur toutes les femmes qu’il croise, y compris sa propre fille
adoptive, qui lui pompera le dard dans un hôtel chic à Paris (le premier
chapitre est plein de surprises !). Disons-le, le personnage apparait
malsain, l’auteur n’émet aucun jugement.
Les
deux autres B, la bouffe et la boisson, réservent aussi de belles pages de
beuverie, Sunderson éclusant pintes de whisky sur bouteilles de vins, se régalant
de pâtés en croute, gigots, volailles rôties, mitonnés par Monica, qui doit sa
survie dans le clan a ses talents de cuisinière. Le roman se passe sur
plusieurs mois, vous imaginez le nombre de repas que ça fait…
L’écriture
est sèche, directe, crue, les phrases courtes, le récit avance vite. C’est déroutant
au début. Le contraire d'un Philip Roth - on y reviendra. Les faits, rien que les faits, pas de digression, le premier chapitre
déroule un nombre de rebondissements incroyables. De superbes pages sur la
nature, la pêche à la truite, tantôt cendrée, arc-en-ciel, brune, un détour
par Paris et Séville, qui vaut son pesant de salades à l’œuf poché et de danseuses de flamenco. Le regard de l’auteur sur son pays et ses contemporains est noir,
dérangeant, difficile de ne pas tiquer parfois, des trucs abjectes nous sont jetés comme ça, en pâture, en trois mots, mais hélas, c'est ainsi que Harrison, écœuré, regarde son monde et le retranscrit.
En poche "J'ai Lu" - 350 pages
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