- Bonjour
M'sieur Claude… Heu, pourquoi vous écarquillez les yeux comme ça ?
- Ben, un
short stretch et une simple brassière, bref une tenue de running pour le
bureau, c'est… ravissant… mais ça distrait quand même le personnel masculin…
- Oui, je
sais, mais marre de la canicule… Remettez-vous, et parlez-moi du sujet du jour au
lieu de mater mon look… Petit coquin… Que dirait Mme Toon ?
- Ok ! La
symphonie de "Prague" de Mozart, ambitieuse, originale, et écrite
pour ses amis tchèques à une époque où Vienne faisait la fine bouche devant sa musique…
- Humm ça me
dit quelque chose, dans le papier sur la 39ème je crois, un cadeau
pour le succès obtenu avec Don Juan à Prague… Britten l'a dirigée ?
- Quelle mémoire
! Oui, un grand compositeur moderne qui
dirige un confrère classique avec un talent fou. Britten a gravé de nombreux
disques…
Mozart en 1789 (Miniature de Doris Stock) |
Après l'écoute de la 39ème
symphonie début juin, une symphonie de 1788, place à la 38ème
de 1786. N'y voyez
pas un manque d'imagination dans la programmation des articles. Cette
symphonie, magnifique, est assez singulière sur plusieurs points, un tournant
majeur dans la biographie et l'innovation musicologique qui dans les six
dernières années de la vie de Mozart amèneront le compositeur aux frontières du romantisme.
D'une
richesse proche de celles du groupe des symphonies N°39 à 41
"Jupiter" de l'été 1788, il peut être intéressant de relire le
chapitre introductif de la chronique de juin (Clic).
En l'an 1786,
Mozart dispose de peu de temps avant de
perdre son mécène, l'archiduc Léopold II
qui n'aime ni sa personnalité fantasque et dépensière, ni sa musique et encore
moins son appartenance à une Loge maçonnique. Après avoir rompu avec chagrin
les relations houleuses avec son père autocrate qui entendait gérer sa vie, et avoir
épousé Constance, cause principale de la brouille avec son père, le compositeur
est confronté à un autre problème : le désintérêt croissant pour ses œuvres par la Vienne musicale. À trente ans, Wofgang
semble enfin libre mais n'intéresse plus le public qui raffolait de ses divertimentos et de toutes ses œuvres
merveilleusement travaillées tout en étant accessibles sur le fond. L'heure est
aux concertos pour piano où l'homme confie ses
joies et ses tourments à travers des partitions de durée imposante et de
difficulté croissante avec le recours au pianoforte enfin au point. Son opéra
Les Noces de Figaro est retiré de l'affiche
car considéré comme offensant pour la cour ; même désaffection pour Don Giovanni qui a déçu par son esprit plus
tragique que comique…
Si la médiocrité musicale semble s'abattre sur la
Capitale de l'Autriche, il n'en est rien à Prague, centre intellectuel de la
Bohème. Mozart est bien introduit
dans la Franc-maçonnerie praguoise qui influence le goût pour la nouveauté
musicale. Les Noces de Figaro et Don Giovanni sont attendus avec impatience
et Mozart sensible à cette considération décide
d'offrir à l'occasion de leurs créations deux de ses ouvrages majeurs : le 25ème
concerto pour piano (Clic) et la symphonie "Prague".
Comme la symphonie N°36 composée en deux
jours lors d'un passage à Linz, la symphonie "Prague"
n'appartient pas à un groupe de compositions similaires, méthode de travail
rencontrée souvent chez Mozart ; c'est le cas des trois dernières et célèbres
symphonies de l'été 1788. Une
première singularité.
L'œuvre n'est pas une commande tout comme le 25ème concerto composé en
parallèle avec la même intention : deux cadeaux musicaux pour ses amis
praguois. Deuxième particularité.
Et pour compléter la liste des surprises, autres remarques sur la construction. L'adagio introductif du premier mouvement, déjà
présent dans la symphonie "Linz" et qui deviendra à la mode chez
Haydn et même Beethoven,
est ici exceptionnellement long et imaginatif. Enfin, vraiment libéré de
conventions formelles obligées, Mozart
supprime le menuet, moment de détente entre le mouvement lent et le final et
pas toujours indispensable même dans les symphonies des plus grands.
Le Scherzo plus étoffé sur le plan thématique le remplacera à l'époque
romantique jusqu'à devenir une œuvre dans l'œuvre chez Mahler…
Cinquième et dernière bizarrerie, les vents ne comportent pas de pupitres de clarinettes,
pourtant l'instrument fétiche de Mozart
et qui prenait son envol au siècle des Lumières. On évoque l'incertitude du
maître quant à bénéficier de deux clarinettistes expérimentés à Prague.
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La création aura donc lieu à Prague en janvier 1787.
Elle ne comprend que trois mouvements. 3 : un chiffre symbolique en franc-maçonnerie.
L'orchestration est celle de la fin de l'âge classique, effectif qui va
perdurer au début du romantisme :
2/2/ pas de clarinettes/2, 2 cors, 2 trompettes, 2
timbales.
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La revue Diapason a consacré ce mois-ci un article à cette symphonie. J'avoue avoir repris l'idée et profiter de la discographie
proposée. Je n'aurais jamais pensé que Benjamin Britten
avait enregistré peu avant de nous quitter quatre symphonies de Mozart parmi les moins rabâchées. Son
disque avec l'orchestre de Chambre anglais
faisait partie de ceux conseillés… Comme on va le voir, Britten
prend son temps, joue presque toutes les reprises, s'efface devant Mozart.
Benjamin Britten est
un membre du club des compositeurs maestros. À l'inverse d'un Mahler,
il composera beaucoup plus qu'il ne dirigera. N'appartenant à aucune école très
définie (comme le sérialisme), auteur d'opéras comme Mozart,
Britten se révèle attentif aux conflits émotionnels
traversant cette symphonie atypique.
Une biographie détaillée de ce grand musicien anglais
est à lire dans l'article dédié à sa Simple Symphonie (Clic). L'auteur de cette vivifiante symphonie
nourrie du style baroque et classique se devait d'être en symbiose avec le
génie mozartien.
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Prague en 1843 |
1 – Adagio -
Allegro (ré majeur) : Un accord héroïque, olympien, impérial… On conclut
souvent les œuvres orchestrales par un tel accord en point d'orgue… Mozart les
commence ainsi rarement. Est-ce l'expression de l'angoisse ? Mozart pressent-il sa destinée tragique, la maladie,
l'incompréhension du public ? Quatre arpèges ascendants, syncopés et tout aussi
dramatiques, noté f, s'imposent comme
l'ouverture d'un drame lyrique. Le parallèle avec l'ouverture fracassante de Don Juan
est évident. Un court intermède de quatre mesures conduit à l'énoncé aux cordes
d'un long thème élégiaque, un motif de bois intervenant gaiement à mis parcours. Jamais Mozart ne s'est aventuré aussi loin dans
la modernité de l'écriture : syncopes, dynamique hallucinée, chromatisme dense sans
équivalent à l'époque, un bon demi-siècle avant Wagner.
L'adagio introductif en cette fin de siècle n'est souvent qu'une entrée en
matière élégante pour focaliser l'attention des mélomanes. Ici, Mozart construit un vaste sous-mouvement de
quatre minutes à l'intention soit anxiogène soit altière, l'usage du ré majeur
permettant cette ambiguïté. [1:44] Une marche inflexible prend son élan,
répétition d'un arpège complexe de manière obsessionnelle, on pense à une
procession faustienne martelée par les coups de timbales ou encore par les
interventions staccato des bassons. Seule la symphonie "Jupiter" de
1788, jamais jouée du vivant de Mozart, retrouvera un ton aussi implacable. Le tempo choisi par Britten
est très lent, même exceptionnellement lent. Ainsi il élimine tout excès de
pathos et de dramaturgie épique hors sujet. Le monde de la symphonie n'est pas celui de
l'opéra. Le chef évoque non pas la peur des blessures à venir mais le tracas intérieur du moment. Il
traduit à merveille l'introspection que Mozart
a dissimulée avec pudeur sur les portées. Prise de son DECCA de la grande époque aidant, l'orchestre de chambre anglais sonne sans
lourdeur (ce n'était hélas pas le cas dans l'intégrale des concertos pour piano
avec Barenboïm). Les bois sont lisibles, le
soyeux des cordes enivrant.
[4:12] Dès les premières mesures on retrouve l'art de
la mélodie allègre du compositeur. Les nuages sombres se sont dissipés, l'œuvre
est jouée en terrain ami. À l'inverse de la gravité de l'adagio faisant écho à
Don Juan, la mélodie chante à la manière d'un air facétieux des Noces de Figaro.
On retrouve le classique rythme appuyé. Une écoute superficielle
pourrait suggérer un abus des reprises. Il n'en est rien car le récit musical s'appuyant
sur des thèmes riches et contrastés offre aux trois groupes de bois et aux
cuivres une liberté d'intervention inconnue jusqu'alors. [4:26] le premier groupe
thématique se veut trépidant et jubilatoire. [5:54] le second thème sera par
contraste plus mélodique et poétique. [7:15] Reprise inhérente à la forme
sonate bien entendu mais avec diverses fantaisies. [10:17] Le développement
central fleure bon la fugue débridée. [11:21] Une reprise fantasque avec ses
dialogues rayonnants de bois apporte encore une innovation. Il faudra attendre
les symphonies 3, 7 et 9 de Beethoven pour découvrir des mouvements initiaux
d'un quart d'heure pour retrouver une telle inventivité… L'absence de rubato dans la battue de Benjamin Britten accentue l'exaltation fébrile
de cet allegro. Quelle vitalité !
Prague 1834 |
2 – Andante
(sol majeur) : [V2] L'andante prend son essor aux cordes sur un
premier thème de quatre mesures dont les deux dernières constituent un
crescendo arpégé de croches liées très émouvant. La partie violon, noire de
chromatisme, conjugue sérénité et mystère par cette incertitude tonale. (Dominante
de sol majeur, une tonalité pastorale). Le flot musical très libre oppose une
légère gravité à un lyrisme poignant. On pense à un air d'opéra mélancolique.
Difficile de parler de variations à partir du thème initial, mais
indubitablement Mozart joue la carte du
suspens. Les changements de tonalités sont incessants. Si la mélodie sinueuse
ne connaît pas vraiment d'interruption, des motifs orageux des vents tentent à
maintes reprises de troubler l'atmosphère élégiaque du discours. [0:58] et [4:15]
Par exemples. [3:43] Un motif accentué cantabile confirme les liens stylistiques
avec les opéras géniaux récemment créés ; des personnage s'invitent dans la
symphonie, on songe à Leporello dans
l'air de "la
liste des conquêtes de Don Juan." [8:40] Ne s'écartant pas complètement
de la forme sonate, nous entendons le retour du thème initial mais suivi d'un
passage dramatique. Le style aria fait son retour. Mozart
réussit la synthèse entre une musique évocatrice de son travail sur l'art
lyrique et l'émotion intense que peut procurer la musique pure.
3 - Presto
(ré majeur) : [V3] Le final explose, virevoltant et rageur avec
ses motifs furieux aux flûtes puis attribués à d'autres pupitres. Plus court
que les deux grands mouvements initiaux, Mozart
y exacerbe une vitalité débonnaire. Sans aucune pause dans la frénésie, le
compositeur fait preuve d'une inventivité intense dans l'orchestration. Là
encore on pensera à un dialogue passionné entre chanteurs. Une joyeuse folie. (Partition)
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Si ce disque de Britten
est un modèle d'équilibre, magnifiant la dualité art lyrique vs musique
instrumentale, d'autres approches ne laissent pas indifférent.
Bien entendu, les figures marquantes des maestros
adeptes des instruments d'époque se sont emparés de l'œuvre si colorée. René Jacobs avec son orchestre
de Fribourg a divisé les fans. Les sonorités à l'ancienne enchantent.
Voici un Mozart très pimpant et pourtant
les tempi ne précipitent rien. Une interprétation vivante, jamais hors sujet certes. Mais où est la poésie un soupçon chagrine du Mozart
dernière manière. La qualité principale reste tout compte fait la lisibilité du
tissu mélodique (HM – 5/6) (Deezer)
Nikolaus Harnoncourt a gravé deux
fois cette symphonie. L'interprétation avec le Concertgebouw
d'Amsterdam reste ma favorite. L'éclat des bois et
cuivres lors des accords de l'adagio magnifie l'illustre phalange néerlandaise.
Quelle hauteur de vue, à la limite du hautain. Le chef n'évite aucune reprise,
de fait les vingt minutes de l'adagio-allegro (!) tire le discours vers la redite. Chacun jugera (Teldec
– 5/6). (Deezer)
Curieusement, les enregistrements des grands anciens,
de Klemperer
à Karajan et même Krips (Adagio devenu allegretto) ont assez mal vieilli à
mon goût. Du beau Mozart certes, mais souvent le son épais d'orchestre aux effectifs romantiques surchargés de cordes et l'absence de toute reprise sont des options qui
nuisent à la magie. Néanmoins, Karl Böhm à la Philharmonie de Berlin dans les années 60, grâce à des instrumentistes de haute-volée et une mise en place au cordeau permet de savourer la modernité de l'écriture (DG - 5/6) (Deezer)
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