samedi 1 juin 2019

MOZART – Symphonie N°39 K 543 – Trevor PINNOCK - par Claude Toon



- Houhou M'sieur Claude, il y a une coquille dans votre papier sur la 39ème symphonie de Mozart, dans l'orchestration vous avez oublié les hautbois…
- Ce n'est pas un oubli Sonia. La partition n'en prévoit pas… Par contre, vous avez deux clarinettes, instruments que découvrait Mozart avec enthousiasme…
- Ah bon ! Ah oui c'est vrai, il écrira même un quintette et un concerto, tous les deux assez célèbres, surtout le concerto dont vous avez parlé, joué par Benny Goodman.
- Fichtre c'est vrai, l'une de mes premières chroniques en 2011, que le temps passe…
- Je crois avoir déjà entendu parler de Trevor PInnock, mais il n'a encore jamais été au centre d'une chronique d'après l'index…
- Exact, j'avais mentionné son disque consacré aux concertos pour violons de Bach. Comme Harnoncourt, Gardiner ou d'autres, cet artiste venu du baroque se penche sur l'époque classique avec vitalité.

Trevor Pinnock
Petit rappel : on répartit les symphonies de Mozart en deux groupes, les N° 1 à 20, œuvres de jeunesse proches des divertimentos et les vingt dernières dont l'ambition musicale ne va cesser de croitre jusqu'à la composition des six dernières qui annoncent le jeune Beethoven voire le romantisme. Et de citer les deux dernières, la 40ème et son thème initial si connu et la 41ème dite "Jupiter". À cela s'ajoute une petite dizaine de symphonies sans numéro officiel qui sont là aussi de brillantes ébauches publiées de manière posthume. Mozart invente au siècle des Lumières la symphonie moderne. Mais il n'est pas le seul, Haydn apportera aussi une immense pierre à l'édifice avec ses 104 symphonies. Comme je le lisais récemment dans une revue spécialisée, on l'oublie trop souvent.
Depuis 1787, la vie de Mozart a pris un tournant dramatique. Il n'a plus de protecteur, l'archiduc Léopold II n'aime pas sa musique et n'apprécie guère la "Franc-maçonnerie" (à laquelle appartient le compositeur) ni la personnalité du musicien criblé de dettes mais qui continue de mener un train de vie fastueux. Seuls des concerts épisodiques permettent au ménage de subsister. Sa santé est précaire, sans aucun doute les conséquences d'une enfance épuisante qui a perturbé sa croissance (Mozart mesurait 1,52 m) et des prémices d'une maladie rénale qui le mènera à la tombe en décembre 1792 (l'une des suppositions sérieuses parmi 140 hypothèses). Pour Vienne, Mozart reste le compositeur d'opéras. Pourtant Don Juan, chanté en italien pour satisfaire la mode qui date de 1787, rencontre un triomphe à Prague lors de la première, mais un succès plus modeste lors de la création viennoise. Le style de Mozart est devenu trop riche pour les mélomanes flegmatiques qui composent la noblesse… Il y aura un lien entre cet opéra admiré par Wagner qui y voit des influences romantiques et la 39ème symphonie. (À suivre…). 1788 sera malgré ces difficultés existentielles une année de travail intense comprenant l'écriture des trois dernières symphonies pendant l'été.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Mozart en 1788
Et voici la liste de sa production de l'été 1788 reprise dans un article précédent et justifiant l'adjectif intense, voyez plutôt :
28 juin : Symphonie n° 39 en mi bémol K 543
10 juillet : Sonatine pour violon et piano
14 juillet : Trio avec piano K 548
25 juillet : Symphonie 40 en sol mineur K 550
10 août : Symphonie 41 en ut "Jupiter" K 551
Trois symphonies d'une durée de 25 à 35 minutes suivant que le chef fait les reprises ou non, pas des œuvrettes. Il y a un petit mystère concernant l'opportunité de les avoir écrites !? La dernière mouture dans le genre date de 1786, la 38ème, la symphonie "de Prague" qui comme Don Giovanni rencontra un vif succès dans la ville tchèque mais ne fut sans doute jamais jouée à Vienne dont le public de plus en plus frivole commençait à bouder la modernité de Mozart. Une symphonie à l'orchestration beethovénienne et imposante par sa richesse mélodique et héroïque. Les trois symphonies de l'été 1788 ne seront pas toutes jouées de son vivant (seulement la 40ème à Dresde en 1789) ! Les spéculations à propos de la nécessité pour Mozart de les composer avec un tel empressement posent donc question. Sans doute le souci de disposer d'une réserve d'œuvres orchestrales d'envergure prêtes à être données en concert à tout moment… On peut imaginer aussi que le maître ait voulu se mesurer avec le genre à titre personnel pour s'évader de ses tourments (sa fille Theresia Constantia est morte trois jours après l'achèvement de la 39ème symphonie à l'âge de six mois). On ne connaît même pas la date des créations, par contre elles ont été éditées en 1797, 11 ans plus tard.
Les orchestrations de Mozart ne se ressemblent pas souvent. On a expliqué ce fait par la nature de l'effectif de musiciens dont il disposait lorsque l'ouvrage répondait à une urgence comme la symphonie N°36 de "Linz" écrite en trois jours (Clic). Ici, cette raison ne peut pas être avancée. Mozart a-t-il supprimé la partie de hautbois pour promouvoir le nouvel instrument à la mode, la clarinette. Une supposition qui n'engage que moi. Donc, nous avons :
1 flûte, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et les cordes (contrebasses et violoncelles jouent à l'unisson sauf précision sur la portée commune). (Partition)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Né en 1946 dans le Kent, Trevor Pinnock fait partie du Gotha des clavecinistes et chefs d'orchestre qui ont redonné son authenticité aux couleurs et aux styles de la musique baroque ou, comme le montre l'article du jour, à celle de l'époque classique et du début de l'époque romantique. Il a suivi toute sa formation dans les écoles les plus prestigieuses d'Angleterre. Dès 1973, à la suite des pionniers du retour aux sources comme Nikolaus Harnoncourt ou Gustav Leonhardt, il fonde le English Concert composé d'instrumentistes qui jouent sur des instruments d'époque. Pour mémoire, les différences notables avec les orchestres modernes sont : cordes en boyaux, diapason adapté au style ancien, cuivres sans pistons, flûtes en bois (traversières ou à bec), et surtout effectif réduit au niveau du groupe des cordes pour laisser respirer l'harmonie.
Si le chef et claveciniste s'est notamment passionné par Bach et Rameau, on lui doit cette merveilleuse intégrale des symphonies de Mozart qui ne quitte jamais le catalogue. En 2003, il cède la direction de son orchestre au violoniste Andrew Manze pour poursuivre une carrière internationale.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Clarinette vers 1785
1 - Adagio, Allegro : Il va devenir d'usage à l'époque d'introduire une symphonie par un adagio. Innovation chez Mozart dans les symphonies 36 et 38 déjà (la 37 n'existe plus, une confusion ancienne avec un ouvrage de Michael Haydn retouchée par Wolfgang), La plupart des symphonies londoniennes de Joseph Haydn, et encore certaines symphonies de jeunesse de Beethoven et de Schubert… Ici, une suite d'accords puissants de tout l'orchestre en tutti et martelés aux timbales précède un aimable arpège descendant ; un motif répété trois fois. La musique de Mozart revendique rarement des intentions philosophiques, mais on ne peut qu'être surpris par la force épique voire brutale de ces premières mesures. [0:41] Un thème inquiétant sur fond de discret roulement de timbales se développe pendant l'adagio. Je ne peux éviter d'établir un rapport avec le dramatisme de l'ouverture de Don Juan.
[2:12] L'allegro débute sereinement sur une mélodie élégante des cordes agrémentée d'interventions des cors puis des bassons. [2:45] Une seconde idée plus vaillante notée f achève de dissiper les nuages qui assombrissent le climat initial. On note très rapidement la présence marquée des cuivres de l'English Concert, tout comme les bois, qui ne sont pas noyés dans la masse des cordes aux couleurs délicieusement râpeuses. Le mouvement suit la forme sonate classique avec sa belle polyphonie et ses réexpositions ; [4:32] pour l'allegro. Si la forme ne prétend pas à une inventivité structurelle surprenante, on ne peut nier la volonté de Mozart de jouer avec gourmandise sur les contrastes, la vitalité prenant le pas sur la morosité inquiète de l'adagio très élaboré, il faut en convenir. [7:12] Le développement central retrouve rapidement quelques accents élégiaques avant la reprise qui conduira à la conclusion [7:42].

Cor naturel
2 - Andante con moto : [10:22] Le début de l'andante est entièrement confié aux cordes. Une mélodie nocturne en la bémol majeur. Le thème principal peu accentué se déploie de manière méditative. Pourtant Mozart soigne une orchestration concertante en faisant intervenir tour à tour violoncelles et contrebasses. Les huit premières mesures sont reprises da capo. [11:44] Un second thème au climat similaire est énoncé, prenant des allures de promenade. [12:45] La réexposition jaillit avec une résolution surprenante grâce à l'entrée dans le jeu orchestral de l'harmonie. On pourrait presque parler d'accent pathétique. Le développement est orchestré avec une grande finesse et offre un rôle prépondérant aux clarinettes. [15:45] Mozart précurseur du romantisme ? On peut s'interroger à l'écoute de ce court passage ardent opposant les pupitres flûte, clarinettes et bassons à ceux des cordes. Intrigant et presque douloureux. Une péroraison déclinée de la thématique de l'andante conduit plus calmement à la mesure finale.

3 - Menuet et Trio : [18:47] Le menuet trépidant est de forme très classique avec la reprise de son thème appuyé et rythmé à [19:56]. [20:29] Le trio se présente tel un divertissement comme l'aurait écrit Mozart adolescent. Sur une scansion discrète des cordes, les bois s'amusent, se pourchassent ; une danse de soirée dont la Vienne conservatrice de ces années-là serait friande. 24 mesures de pure gaité. Le menuet est repris da capo.

4 – Allegro : [23:11] Le final se veut trépidant, avec un premier thème vigoureux, plein de sève avec ses élans agrestes des cors. Le tempo de Trevor Pinnock est allant. [23:54] une seconde idée surgit discrètement comme un léger galop. Nous sommes à l'opposé des accords empreints de gravité de l'adagio introductif. Voici une course folle très colorée. [26:14] Une variation avec de nouveau ces cors vibrants nous conduira avec humour, en traversant de nombreuses et réjouissantes joutes des bois jusqu'à une coda brillantissime. La clarté de la direction de Trevor Pinnock sert à merveille ces conflits badins entre les pupitres de l'harmonie trop souvent confus lorsque interprétés par des orchestres moderne dans des captations où les ingénieurs du son ne se soucient guère des détails. Une réussite totale…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie des dernières symphonies de Mozart est bien entendu pléthorique. Elle se répartit depuis quelques décennies en deux groupes d’enregistrements : ceux interprétés par des orchestres modernes et ceux gravés par des artistes attachés à l'authenticité des couleurs des instruments anciens. Dans les chroniques précédentes, j’avais déjà parlé des réussites majeures dues à la première approche : Karl Böhm, romantique avant l'heure mais parfois desservi par le son un peu épais des grandes philharmonies de Berlin ou de Vienne. Épais, peut-être, mais quel soyeux des cordes ! Autres grands noms : Josef Krips à Amsterdam, Otto Klemperer, ou encore en remontant plus loin Bruno Walter… Dans le second groupe, nous avions écouté la vision lumineuse de Christopher Hogwood dans la 28ème symphonie.
Continuons d'explorer le catalogue. Les interprétations modernes ont encore droit de cité. Aujourd'hui, j'en cite deux : tout d'abord une intégrale réalisée dans les années 80-90 par le chef américain James Levine avec la Philharmonie de Vienne, une conception très vivante, des tempos vif-argent et une prise de son au scalpel. Une valeur sûre pour ceux que les orchestres de style baroque rebutent (DG – 6/6).
Pour les dernières symphonies de la maturité, Herbert von Karajan a gravé juste avant l'ère du numérique le cycle qui bénéficie des chaudes couleurs de la philharmonie de Berlin, une conception moins abrupte que ses captations pour EMI début des 70' (DG – 5/6).
Enfin, pour les symphonies N°39 et 40, René Jacobs et l'orchestre baroque de Fribourg a signé un disque survolté avec des bois et des cuivres éclatants. Pour ceux qui aiment les timbres à l'ancienne et la vitalité sans une métaphysique parfois inappropriée par rapport à la spontanéité de Mozart, c'est enchanteur ! Mais uniquement pour ceux‑là… (Harmonia-Mundi – 6/6)

<
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



1 commentaire:

  1. Tu sens entend dans l'introduction que "Don Giovanni" n'était pas loin (sortie en octobre 1787) comme tu le dis.

    RépondreSupprimer