C’est
la septième collaboration entre Pedro Almodovar et Antonio Banderas. L’acteur,
la tignasse grisonnante, ébouriffée y joue un metteur en scène de cinéma,
homosexuel, pétri de douleurs physiques, passé chez les curés puis par pas mal
d’addictions opiacées… On appellera ça une fiction autobiographique, l'ombre chinoise de l'affiche ne laissant aucun doute sur qui est réellement Mallo. Puisqu'on décrypte l'affiche, visez la lettre commune, le L, qui relie les deux mots, DOULEUR et GLOIRE sont liées, ne font qu'une.
Un film somme, puisqu’Almodovar y traite de tous les thèmes qu’il aborde depuis 40 ans. Almodovar est sans doute un des plus grands auteurs de cinéma européens, voire mondial (qui n’a jamais cédé aux sirènes hollywoodiennes, lui) rarement pris en défaut, qui impose un style immédiatement reconnaissable, et plonge sans cesse dans sa propre histoire. Si on loue ses talents de metteur en scène, il ne faudrait pas oublier l’excellence de ses scénarios.
Un film somme, puisqu’Almodovar y traite de tous les thèmes qu’il aborde depuis 40 ans. Almodovar est sans doute un des plus grands auteurs de cinéma européens, voire mondial (qui n’a jamais cédé aux sirènes hollywoodiennes, lui) rarement pris en défaut, qui impose un style immédiatement reconnaissable, et plonge sans cesse dans sa propre histoire. Si on loue ses talents de metteur en scène, il ne faudrait pas oublier l’excellence de ses scénarios.
A
travers le portrait de Salvador Mallo, réalisateur iconique des années 80 (le
gloire du titre) mais incapable aujourd’hui de tourner (le douleur du titre), c’est
une fois de plus pour Almodovar une plongée dans le monde artistique, cinéma
comme théâtre, le monde de la création, celui de l’enfance et le portrait d’une
mère aimante et dévouée. Le récit – un scénario superbement écrit et construit –
est axé sur deux époques, Mallo adulte, et Salvador enfant.
L’enfance
de Salvador Mallo est-elle conforme à la réalité, ou est-elle fantasmée,
inventée ? Interrogation que suggère l’ultime et magnifique plan, la mère
en Piéta, son fils à ses côtés. Mais je ne vous dirai dans quel contexte. Savoir
conclure un film de cette manière, putain, c’est pas donné à tout le monde. Salvador
Mallo est un homme qui souffre. Physiquement. Une longue scène animée, purement
graphique, à coups de radiographies et d’écorchés, énumère tous les maux de
Mallo : mal de dos chronique, céphalées, acouphènes, douleurs musculaires…
La cinémathèque de Madrid ressort un de ses grands succès et lui demande de
venir débattre avec le public. Mallo retrouve à cette occasion Alberto Crespo, l’acteur de son
film, avec qui il était fâché, pour lui proposer de venir présenter le film
avec lui. Avec ces retrouvailles, Mallo plonge dans la drogue, l’héroïne,
seule substitut à ses douleurs.
Excellente
scène où Crespo et Mallo, totalement défoncés, incapables de venir honorer le
public de la cinémathèque, font une interview par téléphone. Mallo, sans arrière-pensée,
raconte le passé junkie de son acteur, qui le prend très mal ! Mallo lui
offre alors l’occasion de monter au théâtre une de ses créations, récit
autobiographique d’un amour lointain, avec un certain Federico. Ce même
Federico qui assiste à une représentation, s’y reconnait, et recontacte Mallo.
C’est typique d’Almodovar, la mise en abîme de situations, personnages réels
qui croisent leurs doubles de fiction. Je vous l’ai dit, le scénario est juste
exceptionnel, la liste d’exemples dans sa filmographie serait longue comme le
bottin, et à ce jeu-là, Almodovar parvient encore à se renouveler.
Et
puis il y a l’enfance. La mère de Salvador Mallo est jouée par Penélope Cruz,
une fidèle, et c’est toujours un bonheur de la voir. On voit peu le père, mais
la mère de Salvador l’entoure de tout son amour – superbes scènes au bord de la
rivière, avec ces femmes qui chantent et lavent le linge – et l’engage à entrer
au séminaire pour y recevoir une éducation, gratuite, car la famille ne roule
pas sur l’or. Et si vous avez vu LA MAUVAISE EDUCATION (2004) alors vous
connaissez les sentiments du réalisateur envers les curés, pour ce qui se passe
dans l’obscurité des sacristies… Salvador ne cesse de clamer « j’veux
pas devenir curé ! ». C’est pour le bien du petit.
Qui
donc s’éduque, lit, tout en collectionnant les images de stars dans un magazine (« Liz
Taylor et Robert Taylor étaient frère et sœur ? », « Est-ce que Liz Taylor reprisait les chaussettes de son fils ? ») et qui va
donner des cours de lecture et d’écriture à un jeune ouvrier en échange de
travaux à la maison. Une maison dans un village troglodyte, taillée dans la
roche, avec comme seule fenêtre un puits de lumière. Un cocon. Une alcôve. Le
ventre de la mère ? C’est à cette occasion que le jeune Salvador semble
orienter sa sexualité vers les hommes, en regardant l'ouvrier se laver dans une bassine.
Ah ! Pedro, dès que tu peux filmer une bite...
On
va revoir la mère de Salvador, âgée, dans des scènes tendues, sensibles et
tragiques, terribles. Une mère mourante qui reproche à son fils de l’avoir déçue.
Le physique de la mère jeune et âgée ne correspond pas. D’où la question sur le
récit fantasmé de l’enfance. Un film à n’en pas douté très personnel, intime.
Que
dire de la mise en scène ? Plus assagie sans doute, car évoluant
aux grès de l’âge des personnages (et du réalisateur, 69 ans) mais toujours
aussi précise. Rien n’est innocent, cadres, mouvements d’appareil, c’est beau à
pleurer, et toujours ce travail sur les couleurs, les textures, la lumière, très
graphique, comme dans les grands mélodrames de Douglas Sirk. Almodovar fait de l'image - magnifique plan d'ouverture, sous l'eau d'une piscine - ce qui est tout de même la moindre des choses d'attendre d'un cinéaste, j'ai l'impression que beaucoup l'ont oublié.
Antonio Banderas
livre une interprétation d’une justesse infinie, récompensée par une Palme d'Or à Cannes fort méritée. Avatar du réalisateur (en plus
séduisant !) qui ne sait plus comment
donner un sens à sa vie de créateur, perclus de douleurs abominables, à ne plus
pouvoir lacer ses chaussures. Tous les acteurs sont parfaitement dirigés, la
Cruz est juste magnifique.
DOULEUR
ET GLOIRE respire l’Almodovar à plein nez, intelligence et sensibilité du
récit, sans doute un de ses plus beaux films, qu’on pourrait presque prendre
pour un testament cinématographique, mais j’espère pas ! Et cette langue !
Ché pas pourquoi, j’ai un truc avec l’espagnol… Comme John Cleese dans UN
POISSON NOMME VANDA qui bandait à chaque mot prononcé en russe, j’adore cet
accent, ces mots, surtout prononcés par Penélope…
couleurs - 1h45 - format 1:1.85
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