vendredi 31 mai 2019

DOULEUR ET GLOIRE de Pedro Almodovar (2019) par Luc B.


C’est la septième collaboration entre Pedro Almodovar et Antonio Banderas. L’acteur, la tignasse grisonnante, ébouriffée y joue un metteur en scène de cinéma, homosexuel, pétri de douleurs physiques, passé chez les curés puis par pas mal d’addictions opiacées… On appellera ça une fiction autobiographique, l'ombre chinoise de l'affiche ne laissant aucun doute sur qui est réellement Mallo. Puisqu'on décrypte l'affiche, visez la lettre commune, le L, qui relie les deux mots, DOULEUR et GLOIRE sont liées, ne font qu'une. 

Un film somme, puisqu’Almodovar y traite de tous les thèmes qu’il aborde depuis 40 ans. Almodovar est sans doute un des plus grands auteurs de cinéma européens, voire mondial (qui n’a jamais cédé aux sirènes hollywoodiennes, lui) rarement pris en défaut, qui impose un style immédiatement reconnaissable, et plonge sans cesse dans sa propre histoire. Si on loue ses talents de metteur en scène, il ne faudrait pas oublier l’excellence de ses scénarios.
A travers le portrait de Salvador Mallo, réalisateur iconique des années 80 (le gloire du titre) mais incapable aujourd’hui de tourner (le douleur du titre), c’est une fois de plus pour Almodovar une plongée dans le monde artistique, cinéma comme théâtre, le monde de la création, celui de l’enfance et le portrait d’une mère aimante et dévouée. Le récit – un scénario superbement écrit et construit – est axé sur deux époques, Mallo adulte, et Salvador enfant.
L’enfance de Salvador Mallo est-elle conforme à la réalité, ou est-elle fantasmée, inventée ? Interrogation que suggère l’ultime et magnifique plan, la mère en Piéta, son fils à ses côtés. Mais je ne vous dirai dans quel contexte. Savoir conclure un film de cette manière, putain, c’est pas donné à tout le monde. Salvador Mallo est un homme qui souffre. Physiquement. Une longue scène animée, purement graphique, à coups de radiographies et d’écorchés, énumère tous les maux de Mallo : mal de dos chronique, céphalées, acouphènes, douleurs musculaires… La cinémathèque de Madrid ressort un de ses grands succès et lui demande de venir débattre avec le public. Mallo retrouve à cette occasion Alberto Crespo, l’acteur de son film, avec qui il était fâché, pour lui proposer de venir présenter le film avec lui. Avec ces retrouvailles, Mallo plonge dans la drogue, l’héroïne, seule substitut à ses douleurs.
Excellente scène où Crespo et Mallo, totalement défoncés, incapables de venir honorer le public de la cinémathèque, font une interview par téléphone. Mallo, sans arrière-pensée, raconte le passé junkie de son acteur, qui le prend très mal ! Mallo lui offre alors l’occasion de monter au théâtre une de ses créations, récit autobiographique d’un amour lointain, avec un certain Federico. Ce même Federico qui assiste à une représentation, s’y reconnait, et recontacte Mallo. C’est typique d’Almodovar, la mise en abîme de situations, personnages réels qui croisent leurs doubles de fiction. Je vous l’ai dit, le scénario est juste exceptionnel, la liste d’exemples dans sa filmographie serait longue comme le bottin, et à ce jeu-là, Almodovar parvient encore à se renouveler.
Et puis il y a l’enfance. La mère de Salvador Mallo est jouée par Penélope Cruz, une fidèle, et c’est toujours un bonheur de la voir. On voit peu le père, mais la mère de Salvador l’entoure de tout son amour – superbes scènes au bord de la rivière, avec ces femmes qui chantent et lavent le linge – et l’engage à entrer au séminaire pour y recevoir une éducation, gratuite, car la famille ne roule pas sur l’or. Et si vous avez vu LA MAUVAISE EDUCATION (2004) alors vous connaissez les sentiments du réalisateur envers les curés, pour ce qui se passe dans l’obscurité des sacristies… Salvador ne cesse de clamer « j’veux pas devenir curé ! ». C’est pour le bien du petit.
Qui donc s’éduque, lit, tout en collectionnant les images de stars dans un magazine (« Liz Taylor et Robert Taylor étaient frère et sœur ? », « Est-ce que Liz Taylor reprisait les chaussettes de son fils ? ») et qui va donner des cours de lecture et d’écriture à un jeune ouvrier en échange de travaux à la maison. Une maison dans un village troglodyte, taillée dans la roche, avec comme seule fenêtre un puits de lumière. Un cocon. Une alcôve. Le ventre de la mère ? C’est à cette occasion que le jeune Salvador semble orienter sa sexualité vers les hommes, en regardant l'ouvrier se laver dans une bassine. Ah ! Pedro, dès que tu peux filmer une bite...
On va revoir la mère de Salvador, âgée, dans des scènes tendues, sensibles et tragiques, terribles. Une mère mourante qui reproche à son fils de l’avoir déçue. Le physique de la mère jeune et âgée ne correspond pas. D’où la question sur le récit fantasmé de l’enfance. Un film à n’en pas douté très personnel, intime.   
Que dire de la mise en scène ? Plus assagie sans doute, car évoluant aux grès de l’âge des personnages (et du réalisateur, 69 ans) mais toujours aussi précise. Rien n’est innocent, cadres, mouvements d’appareil, c’est beau à pleurer, et toujours ce travail sur les couleurs, les textures, la lumière, très graphique, comme dans les grands mélodrames de Douglas Sirk. Almodovar fait de l'image - magnifique plan d'ouverture, sous l'eau d'une piscine - ce qui est tout de même la moindre des choses d'attendre d'un cinéaste, j'ai l'impression que beaucoup l'ont oublié.
Antonio Banderas livre une interprétation d’une justesse infinie, récompensée par une Palme d'Or à Cannes fort méritée. Avatar du réalisateur (en plus séduisant !) qui ne sait plus comment donner un sens à sa vie de créateur, perclus de douleurs abominables, à ne plus pouvoir lacer ses chaussures. Tous les acteurs sont parfaitement dirigés, la Cruz est juste magnifique.
DOULEUR ET GLOIRE respire l’Almodovar à plein nez, intelligence et sensibilité du récit, sans doute un de ses plus beaux films, qu’on pourrait presque prendre pour un testament cinématographique, mais j’espère pas ! Et cette langue ! Ché pas pourquoi, j’ai un truc avec l’espagnol… Comme John Cleese dans UN POISSON NOMME VANDA qui bandait à chaque mot prononcé en russe, j’adore cet accent, ces mots, surtout prononcés par Penélope



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