samedi 30 juin 2018

Benjamin BRITTEN - Simple Symphony - Orpheus Chamber Orchestra - Par Claude Toon



- Ah un petit nouveau M'sieur Claude… Vous en trouvez toujours… C'est curieux, je ne suis pas experte en classique, mais le nom du compositeur me dit quelque chose…
- En effet Sonia, Benjamin Britten est un grand compositeur britannique du XXème siècle à côté de Vaughan Williams et d'Elgar…
- C'est bizarre, avec plus de 300 chroniques "classique", vous n'en avez jamais parlé, vous n'aimez pas sa musique ? C'est trop moderne ?
- Non pas du tout, mais j'avoue avoir du mal à pénétrer le sens de sa musique, d'autant qu'il est très connu comme auteur d'opéras, ce qui n'est pas mon style favori…
- Moui, je vois. Simple Symphony ? Une œuvrette avec un nom pareil ?
- Une symphonie pour cordes écrite dans ses jeunes années, un joli pastiche hérité de la musique baroque… Excellent moment en cette période estivale…

Peter Pears et Benjamin Britten (à droite) en 1943
Les musicologues considèrent Benjamin Britten comme le compositeur anglais le plus important depuis Henry Purcell (1659-1695). Haendel a marqué d'une empreinte éternelle la musique britannique, mais n'oublions pas qu'il était allemand de naissance. Curieusement, nous avons rencontré d'autres grands compositeurs british dans ce blog sauf Britten : Ralph Vaughan Williams, Edward Elgar, Arnold Bax et Gustav Holst, ce dernier essentiellement connu pour sa suite exubérante Les Planètes. Sans doute un rendez-vous manqué, car en écrivant ces lignes, j'écoute son War Requiem considéré comme l'une des œuvres pacifistes majeures du XXème siècle. À l'écoute, je ne suis pas surpris que Britten soit devenu un ami proche de Dmitri Chostakovitch auquel est d'ailleurs dédié ce requiem. Il est fort possible qu'en écrivant ce billet, et donc en m'intéressant tant à l'homme qu'à son œuvre, je fasse des découvertes. Comme le dit Sonia… toujours du nouveau à explorer. À suivre.

Benjamin Britten est né en 1913 dans le Sufolk. Son père est un personnage un peu extravagant qui interdit l'usage du gramophone et des premières radios chez lui ! Amish intégriste ? Non pas du tout, il incite sa famille à jouer de la musique plutôt que l'écouter dans les conditions sonores pour le moins précaires de l'époque. Quand on voit de nos jours les gamins se déformer l'audition à coup de MP3 ou pire sur des iphone ou autres, l'idée est pertinente… J'invite toujours mes lecteurs à utiliser un casque ou des enceintes additionnelles pour PC pour écouter les Vidéos Youtube en limitant la casse, d'autant qu'il s'agit uniquement de découvrir une œuvre et un style d'interprétation… Bref !
Revenons au gamin dont la mère joue du piano et chante, elle sera son premier professeur ; avec talent à l'évidence puisque Benjamin écrit ses premières petites compositions vers cinq six ans. Son institutrice, également pianiste, complète le travail maternel quand son jeune élève a huit ans. À 11 ans, il étudie l'alto, puis à 14 il suit les cours de Frank Bridge. L'altiste et compositeur déjà âgé s'intéresse aux travaux sur l'atonalité de l'École de Vienne. Le jeune adolescent va faire de même. À 16 ans, il compose la Sinfonietta pour dix instruments nettement influencé par Schoenberg. Ce n'est pas du goût des enseignants dans cette Angleterre très attachée au postromantisme. On lui refusera le départ pour Vienne et les cours avec Alban Berg, compositeur jugé "néfaste". Ah les anglais…

Les ruines de la cathédrale de Coventry
Le War Requiem sera créé dans l'église reconstruite
Britten bourlingue et est rapidement reconnu comme un compositeur influent. Lors de ses nombreux voyages sur le vieux continent et aux USA, il va rencontrer le ténor britannique Peter Pears qui deviendra son compagnon jusqu'à la fin de sa vie. Être gay à cette époque est difficile. Si Peter Pears le vit très bien, Britten sera toujours plus sensible aux regards torves de la société anglaise. Il ne faut pas oublier la tragédie et le martyre de Alan Turing, l'inventeur d'un ordinateur de décryptage des messages allemands Enigma pendant la guerre, un génie qui a sans doute sauvé la vie de millions de gens, mais qui, pourchassé et bourré de médoc de force finira par se suicider… (Voir le film Imitation Game.) Peter Pears, un chanteur d'exception pour lequel Britten composera quasiment tous ses opéras tel Peter Grimms.
De 1939 à 1942, Benjamin Britten, objecteur de conscience, se réfugie aux USA. L'Angleterre le lui reprochera bien plus cette initiative que son homosexualité. Malgré cela, la reconnaissance envers le talent du compositeur est telle que sa carrière ne sera jamais entravée. Il sera même anobli en 1973. La création en 1961 du War Requiem, symbiose entre la tradition chrétienne et des poèmes connaîtra un succès planétaire, une œuvre très souvent jouée et dont on possède un enregistrement incontournable dirigé par le compositeur. Dmitri Chostakovitch n'aura qu'admiration pour cette partition et dédicacera à Britten sa 14ème symphonie. Il y a un point commun entre les deux ouvrages puisque le compositeur russe y mettra en musique une dizaine de poèmes humanistes de poètes européens : Garcia Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke, les textes conservant leurs langues de rédaction ou étant traduits en russe, au choix. Les censeurs de Khrouchtchev feront la sourde oreille…
Excellent pianiste, Britten nous a légué de nombreux disques dont certains à quatre mains avec Sviatoslav Richter (La célèbre fantaisie de Schubert). Il était aussi un ami proche de Rostropovitch avec qui il gravera de très beaux disques.
Compositeur prolifique, usant d'un langage très personnel, Benjamin Britten a laissé une œuvre abondante dans tous les genres qui reste à redécouvrir. Pas toujours facile car très intériorisée, rejetant tout apparat. Britten est mort en 1976. Son compagnon Peter Pears est inhumé à ses côtés depuis 1986.
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Pour la première chronique sur ce compositeur que je connais si mal, j'ai choisi la Simple Symphony, une œuvre pour cordes de jeunesse. Benjamin Britten l'a composée entre ses vingt et vingt et un ans dans la station balnéaire de Lowestoft. Le jeune homme va utiliser des petites pièces pour piano écrites pendant l'adolescence. Il l'a dédiée à Mrs Audrey Alston qui fut son professeur d'alto et qui le présenta à Frank Bridge.
Mrs Audrey Alston
Il faut noter au passage que les compositeurs anglais en ce début du XXème siècle ont un faible pour les œuvres orchestrales réservées aux cordes. Je cite quelques exemples dont deux à écouter dans le blog : de Ralph Vaughan Williams, la Fantaisie sur un thème de Tallis (Clic), la sérénades pour cordes d'Edward Elgar… sans compter les nombreux concertos grosso de Haendel. Une tradition ?
L'ouvrage sera créé en mars 1934. Il existe une gravure par Britten himself dirigeant the English Chamber Orchestra. Je vous propose une vivifiante interprétation due à l'Orpheus Chamber Orchestra souvent écouté dans le blog. Un ensemble qui réunit des professeurs et des solistes des grands orchestres de la cote Est US. Je me demande pourquoi leurs disques toujours au top sont si rares à se maintenir au catalogue ? Une réédition globale de leurs enregistrements pour DG serait à envisager. Une belle grosse boîte comme on en trouve à la pelle de nos jours. (Et là, ce serait justifié.)
Britten a-t-il été influencé par les charmes de l'époque baroque et les danses de cours en vogue à l'époque élisabéthaine ou de Haendel ? À lire les sous-titres des quatre mouvements et les tempos indiqués, on peut le penser.

Le jeune Benjamin et Frank Bridge
1 - Boisterous Bourrée  (Presto) : Le prélude vigoureux joue sur des traits cinglants de cordes et sur un contrepoint hérité de l'époque du baroque tardif. L'effectif est léger, les sonorités claires et drues. Une chorégraphie festive bien dans l'esprit d'une soirée galante de l'âge des lumières, avec de-ci de-là des accents plus modernes. [V1-1:22] Une seconde idée pétillante surgit, bondissante, rythmée par quelques pizzicati. [V1-2:29] Soucieux de symétrie, une conclusion pleine de verve voire d'humour se développe joyeusement, sur un air de bourrée pastorale, en guise de coda et en intégrant également le motif introductif…
2 - Playful Pizzicato : (allegro) : [V1-3:23] peut-on parler de scherzo ? Oui, une structure tripartite avec un trio en forme de chansonnette. Voici une facétieuse course poursuite de pizzicati, une technique qui ne ménage pas les instruments (voir le scherzo de la symphonie N°4 de Tchaïkovski). [V1-4:22] Place à une chanson amusante, une comptine enfantine. Il s'agit de la musique d'une chanson composée en 1924 pour illustrer un texte de Rudyard Kipling extrait du livre de la jungle, The Road Song of the "Bandar-Log". L'alacrité de ce mouvement affiche clairement le "swing" débridé du baroque vénitien immortalisé par Vivaldi.
3 - Sentimental Sarabande (Poco lento) : [V2-0:0] Le mouvement le plus long de cette symphonie d'une vingtaine de minutes. Britten intègre des éléments d'une suite pour piano de 1925. La sarabande est une danse lente et majestueuse. Qui n'a pas dans l'oreille celle de la de la Suite n°11 en ré mineur de Haendel qui offre son climat inexorablement dramatique dans Barry Lyndon de Kubrick. Le mouvement s'ouvre sur une longue plainte bouleversante. Même si on sent l'admiration de Britten pour la forme classique, l'écriture est de son temps. Henry Purcell s'entend en filigrane avec la pathétique musique pour les funérailles de la reine Mary. Il est surprenant de rencontrer une telle gravité dans la musique d'un homme aussi jeune. Le sentiment d'une écriture monothématique est contredit par de subtiles transitions. [V2-7:10] Dans les dernières mesures, un rai de lumière vient percer la sombre nébulosité.
4 - Frolicsome Finale (Prestissimo) : La frénésie vaillamment concertante du final tranche très nettement avec l'obscurité de la Sarabande. On pense ici aux facéties d'un Haydn du courant préromantique sturm und drang (tempête et passion). Je ne l'ai pas précisé, mais l'habituelle vivacité interprétative de L'Orpheus Chamber Orchestra est au diapason de la fougue juvénile de cette partition.
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