Échappé de la déferlante des shredders - espèce particulièrement expansionniste aux USA - héritiers des guitar-heroes des 80's où la vitesse primait sur le feeling, Michael Lee Firkins se démarque par un jeu plutôt singulier dans la sphère Metal. En effet, sans se défaire d'un médiator qu'il conserve précieusement dans le creux de sa paume, il joue beaucoup en finger-picking. Tout en maintenant avec l'auriculaire la tige de vibrato (à l'époque un Floyd Rose). Son picking couplé au vibrato donne souvent l'impression qu'il s'empare d'un bottleneck pour quelques dérapages contrôlés. Et comme si cela ne suffisait pas, il utilise au besoin, et parcimonieusement, le tapping.
Ce qui lui permet de jouer des phrasés étourdissants, qui évoquent une fusion de Johnny Winter , de Sonny Landreth et d'Edward Van Halen. Carrément. Seulement 23 balais, et c'est déjà un monstre.
Cependant, au contraire de nombre de ses pairs de l'époque et de la décennie précédente, ses instrumentaux ne sont pas qu'une longue et ennuyeuse revue de toutes ses capacités techniques, d'esbroufe, ou de performances sportives. Il y a une réelle recherche de composition et de structuration. On peut dire que ses morceaux racontent une histoire. Certains sont d'ailleurs assez cinématographiques.
Ce qui le détache aussi de la tribu des shredders d'alors, et même de virtuoses de la six-cordes de la sphère Heavy-metal en vogue, c'est son bagage. En effet, les connaissances musicales de Firkins ne se limitent pas au Heavy-metal ou au Heavy-rock. Au contraire de beaucoup de chevelus américains de son âge, il s'est fait les doigts sur Led Zeppelin, Black Sabbath, AC/DC, Lynyrd Skynyrd et Johnny Winter, plutôt que sur Kiss et Nugent. Et surtout par la suite, il a sérieusement étudié la technique de Danny Gatton (un des virtuoses incontestés de la Telecaster), en plus de celle de Chet Atkins, Jerry Reed et Albert Lee.
C'est ce qui lui permet d'incorporer avec une facilité déconcertante des plans de Country, de Bluesgrass et de Blues. Plus tard, il ne se gênera pas pour y rajouter quelques onces de Jazz.
On peut aussi ajouter que ses parents, tous deux musiciens (la mère pianiste et le père guitariste de Lap-steel) ne sont pas étrangers à ce talent. A moins qu'il ne s'agisse que d'hérédité.
De façon surprenante, il faut attendre quatre ans pour retrouver une trace matérielle du travail de Firkins. (était-ce une conséquence de la tornade générée par le Grunge ?). Cette fois-ci au sein d'un prometteur groupe de Blues-rock furieux et incandescent, avec Little John Chrisley, The Howling Iguanas. Bien qu'à nouveau plébiscitée par la presse, la formation ne fait pas long feu.
Firkins retourne à sa carrière solo et envoie "Chapter Eleven" en 1995 et "Cactus Crüz" en 1996, qui s'éloignent parfois radicalement des sonorités "Heavy" pour se parer d'atours plus Fenderien et Country-rock. Ce qui ne plait pas à tout le monde.
Après un album de reprises en 1999, et à part un projet avec le guitariste Gabriel Moses, il disparaît des écrans radars.
Il revient en 2007 par la grande porte avec un "Blacklight Sonatas" plein de bonnes surprises, dont un "Black Betty" incendiaire, avec une petite touche funky. Manifestement, il n'a pas fini d'éblouir, et on le croyait reparti de plus belle prêt à faire un tabac. Cependant, cet iconoclaste n'est pas le genre de gars à la mode, et n'est pas prêt à faire des concessions. A l'exception de cette nouvelle version de "Black Betty" qui doit bien moins à celle de Leadbelly qu'à celle de Ram Jam, (et surtout pas celle faisandée de Tom Jones), il n'y a rien de commercial. Rien que l'on ne puisse avec certitude réserver à un public en particulier. Sinon aux fondus de guitare en tout genre.
Cet album marque aussi un changement radical. Depuis que son père lui a donné son vieil ampli Magnatone (d'époque), Firkins s'est plongé dans le jeu en slide en étudiant le style des Billy Gibbons, David Lindley et Ry Cooder ; et même celui du joueur de Lap Steel, Speedy West. Cette étude l'a amené à s'orienter vers des guitares sans vibrato pour jouer pleinement du bottleneck en open tuning (open G et E). S'il a gardé dans son attirail une Fender Stratocaster reissue 57 et une Road Worn, il a désormais une Fender Nocaster (reissue - évidemment -), une Gibson SG II 70's et surtout deux Fender Telecaster modifiées par un résonateur de Dobro. Il fallait oser, il l'a fait. Apparemment, les Yamaha dont il a longtemps été un endosseur (en particulier le modèle Pacifica), font désormais partie du passé.
Ce n'est qu'en 2013 qu'il revient avec une nouvelle galette sous les bras, avec probablement ce qui est, à ce jour, son meilleur disque, "Yep". C'est aussi sans conteste le plus homogène, le seul d'où émarge une énergie de groupe du début à la fin. Effectivement, et c'est une première, pour l'intégralité de l'album, un collectif s'est constitué pour soutenir Firkins. Une troupe en or avec pour membre Chuck Leavell aux claviers (que l'on retrouve sur les albums des Allman Brothers Band ,Rolling Stones, Clapton, Black Crowes, John Mayer, et bien sûr son groupe Sea Level), Matt Abts aux fûts (Dickie Betts, Gov't Mule) et Andy Hess (John Scofield, Gov't Mule).
Certainement que leur réunion passée, qui a donné l'excellent "Took The Words Right Outta My Mouth" (sur "Blacklight Sonata", et rien à voir avec le hit de Meat Loaf) a dû leur donner l'envie de remettre ça, mais cette fois-ci pour tout un album.
Et, une fois n'est pas coutume, l'affiche fort attrayante ne déçoit guère ; bien au contraire. Ce n'est que du bonheur. De l'extase !
L'autre nouveauté chez Firkins, c'est que dorénavant, il assume totalement son rôle de chanteur. En effet, pour la première fois de sa carrière, il chante sur l'intégralité d'un album. Et on se demande bien pourquoi il n'a pas pris cette décision plus tôt tant son timbre sourd et légèrement pâteux, et son accent traînant à la Van Zant, se marie parfaitement à ses chansons. Quelques similitudes avec Zakk Wylde sur ses morceaux semi-acoustiques (voir "Book of Shadows" ⇰ lien). Une voix grave de sage bourrin des bois accentuant même la saveur "sudiste", en parfaite adéquation avec la tonalité rouillée et charnue, généreusement arrosée d'overdrive, de la Tele-resonator.
Avec "Yep", le Southern Rock se mélange avec brio à de fortes saveurs "swamp" et bluesy. Excellente recette à peine relevée de gumbo dont l'omniprésence de la slide apporte une nuance métallique. Une savante alchimie à base d'un ferment issu d'Elmore James, de Screamin' Cheetah Wheelies, de Lynyrd Skynyrd, de ZZ-Top,
Firkins et sa bande de flibustiers ne font guère de quartier en débutant avec deux bourrasques de "Heavy-Southern-swamp-blues". Un feu d'artifice avec un radieux "Golden Oldie Jam" illuminé de délicieuses envolées de guitare et d'orgue ; enfin, surtout de la six-cordes qui nous offre une belle démonstration de feeling et d'acrobaties à la slide. Un haut niveau en matière de slide où actuellement peu sont admis (Sonny Landreth et Lance Keltner, par exemple, y ont leur résidence).
Sur le clip de "Golden Oldie Jam" - version tronquée de deux minutes - , on distingue les albums "I" et "II" de Led Zeppelin, "Second Helping" de Lynyrd, des 45 tours des Beatles, pendant que tourne un 33 tours d'AC/DC et un 45 de Jerry Lee Lewis.
"Cajun Boogie" est une estocade qui à elle seule remplira de bonheur tout amateur de Southern-rock groovy et enlevé ou de Swamp-rock crémeux. (le solo finit sur une envolée lyrique piqué à Leslie West). Après cette formidable rafale de Heavy-southern-rock, " No More Angry Man" peut paraître balourd et indolent (la chaleur moite des Everglades ?), voire foutraque, ce que rattrape "Standing Ovation" ; un morceau plus léger et ensoleillé. Un bref instant printanier guilleret où Dire Straits croise le fer avec Sonny Landreth, avant de retomber dans une atmosphère de chaleur moite, avec le slow-blues "Long Day". Leavel y joue à la girouette en le tempérant parfois au piano, ou, au contraire, en l’asphyxiant d'orgue.
"Wearin' Black" s'enfonce dans les bois et en prend la saveur. Country-rock - plus Country que Rock - assis sur un rythme Nashvillien, countrypolitan sound, baigné d'une ambiance boisée, un rien barbecue, et aromatisé d'une slide qui prend de drôles d'airs de fantômes de parc d'attraction (ou de série B des 50's).
"Out Of Season" passe d'un coup de la quatrième vitesse à la seconde ; une pièce enlisée jusqu'aux genoux dans la bourbe (a), qui ne parvient pas à s'extirper d'une espèce d'apathie. Mais "Take Me Back" reprend des couleurs de drapeau confédéré porté par les Lynyrd Skynyrd et autres 38 Special, et stimule ainsi les sens.
A son tour, "Last Call" reprend l'étendard et le plante sur un terrain plus "Heavy" en épaississant le son et, porté par l'ambiance, Chuck Leavell se prendrait presque pour Jon Lord. Le son de guitare y est particulièrement exquis, ça joue avec les pédales (overdrive, phaser et delay) et, apparemment, une Stratocaster alterne avec la Tele-resonator.
Étonnamment, "No More Angry Man (Part 2)" n'a pas vraiment gardé de liens avec son frangin. Manifestement, il a quitté la campagne et est parti s'encanailler en ville où il s'est paré de nouveaux et sérieux atours, très typés Aerosmith pour l'occasion. Le collectif conclut par une jam à la limite du bordélique.
Retour au bayou pour le final, et dans des tonalités plus sombre. Une ténébreuse brume vaudou cerne "The Cane" qui prend des allures d'invocation baignées de Blues sulfureux.
Un album précieux, d'autant plus qu'il n'y a pas eu de suite.
P.S. : "La raison pour laquelle vous parcourez vos fichiers MP3 sans aller jusqu'au bout de la chanson, c'est que votre cerveau recherche encore de la vraie musique. Le MP3 a été inventé pour la musique de Beyonce, pas pour le Rock'n'Roll." dixit Michael Lee Firkins.
🎶⚘☙✨
(a) Bourbe : le limon ou la vase qui s'accumule au fonds des marais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire