vendredi 9 août 2019

LA BETE CONTRE LES MURS (1977) d'Edward Bunker, par Luc B. comme Bunker


Nous avons déjà évoqué l’écrivain Edward Bunker, dans le premier roman de sa trilogie de la Bête  - clic ici -. Trilogie par ailleurs anti-chronologique, puisque AUSSI FÉROCE QU’UNE BÊTE évoquait la sortie de prison, puis LA BÊTE CONTRE LES MURS parle de la vie en prison, et enfin, LA BÊTE AU VENTRE parle de comment on en arrive en prison. Pour ceux qui aurait raté le premier épisode, Edward Bunker a passé des années en taule (braquage, trafic), il sait de quoi il parle, il y a découvert la littérature, y a écrit, avant de devenir scénariste et même acteur chez Tarantino 
Les trois romans n’ont pas de personnages communs. Les titres sont issus de l’édition française. Celui qui nous occupe aujourd’hui s’intitule en anglais ANIMAL FACTORY (2000) et a été porté à l’écran par Steve Buscemi, avec Willem Dafoe, Edward Furlong, Danny Trejo et Mickey Rourke, dans le rôle d’un travelo magnifique. L’action se passe à la prison de Saint Quentin, à San Francisco, où Johnny Cash, BB King et récemment Metallica ont donné des concerts, et où Ed Bunker a fait son premier séjour à 17 ans. Il s’y est fait deux fois la malle. Respect. Récit évidement hautement autobiographique, puisque l’intrigue suit le jeune Ronald Decker qui atterrit à Big Q. (surnom de St Quentin) pour trafic de marijuana, et découvre les us et coutumes de la vie dans un des pénitenciers les plus répressifs du pays.
Il se lie d’amitié avec Earl Copen, qui a 19 ans de trou derrière lui. Copen fraye avec le gang des suprématistes blancs. Car la première chose qu’on doit savoir pour survivre plus d’une demi-journée, c’est chacun dans son coin. Les blancs, les noirs, les chicanos. Ca n’a pas toujours était le cas, nous dit Bunker, mais depuis les années 60 les rivalités raciales sont devenues le quotidien des taulards. Les groupes ethniques se radicalisent, on parle de Black Power et de Fraternité Aryenne, les autorités laissant ce joli monde s’entretuer.
Earl Copen et Ron Decker sont-ils vraiment amis ? Peut-on avoir des amitiés en prison ? C’est la question que nous soumet l’auteur, par l’intermédiaire de Copen qui recommandera à son jeune protégé de ne jamais devoir quelque chose à quelqu’un. Ne jamais être en dette. Ne jamais rendre service car en retour on exigera de vous bien plus. Ron Decker, qui a la malchance d’avoir une jolie petite gueule, est une proie de choix pour les taulards libidineux. Edward Bunker met à jour l’homosexualité latente, au bout de plusieurs années, n’importe quel collègue de cellule pourra faire l’affaire. 
C’est comme ça. Y échapper relève de l’exploit. Y’a Mike le Psycho, qui porte bien son nom, qui a des vues sur Ron. Mais attention à ne jamais céder, si vous êtes qualifié de fiotte alors c’est l’enfer qui s’abat. Et c’est ce qui va précipiter Ron dans le crime, lui qui voulait rester peinard. Mais là-bas t’es jamais peinard. Il assiste un prof de littérature, fait la classe, mais un nouvel élève est bien décidé à se le taper. Que faire, comment réagir surtout quand il sait qu'il doit repasser devant le jury, pour une conditionnelle ?
Les relations entre Copen et Decker sont d’un autre ordre, presque filiales, au fil du temps. Il y a de très belles pages expliquant cette évolution. Earl se reconnait en ce jeune Ron. Le roman croule de personnages, Bad Eyes, Paul, Vito, TJ, on s’y perd parfois, comme dans les blocs, les cours, terrains de sport. Au-delà des portraits, fouillés, intimes, autant savoureux que féroces, il y a la description de la vie en prison. Une vie faite de débrouilles, de ruses. Copen, parce qu’il sait écrire, travaille à l’administration, il rédige la paperasse. Il est en affaire avec les matons, la hiérarchie. Il y a des scènes hallucinantes, pour falsifier des PV, faire passer des trucs… Et la corruption, les passe-droits.
Comme la dope. Le grand sujet. Pas les joints, ça c’est fastoche, mais faire rentrer de l’héroïne, fabriquer de l’alcool. Ce que décrit le roman, c’est cette vie parallèle, avec un autre code de conduite. Au point que chacun se dit : une fois dehors, comment vais-je survivre ? Combien de prisonniers entaulés depuis 20 ans ne pensent qu’à une chose : y rester. L’enfer, c’est dehors.
Je ne vais pas vous raconter les intrigues en détails, mais arrive un moment où il faut se tirer de là. Concevoir le plan, observer, enregistrer, calculer. Des dernières pages hautes en tension, et un dénouement magnifique, humainement parlant. Redisons qu’Edward Bunker a réellement passé beaucoup de temps là-bas, il en connait tous les recoins, la description est quasi documentaire, ce qui fait la force du témoignage. Et comme le bonhomme sait en plus écrire, à l’économie, sec, direct, sans tabou ni romantisme de pacotille, on tient là encore un formidable roman noir.  

   


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