Nous
avons déjà évoqué l’écrivain Edward Bunker, dans le premier roman de sa
trilogie de la Bête - clic ici -. Trilogie par ailleurs anti-chronologique, puisque
AUSSI FÉROCE QU’UNE BÊTE évoquait la sortie de prison, puis LA BÊTE CONTRE LES
MURS parle de la vie en prison, et enfin, LA BÊTE AU VENTRE parle de comment on
en arrive en prison. Pour ceux qui aurait raté le premier épisode, Edward
Bunker a passé des années en taule (braquage, trafic), il sait de quoi il
parle, il y a découvert la littérature, y a écrit, avant de devenir
scénariste et même acteur chez Tarantino.
Les
trois romans n’ont pas de personnages communs. Les titres sont issus de l’édition
française. Celui qui nous occupe aujourd’hui s’intitule en anglais ANIMAL
FACTORY (2000) et a été porté à l’écran par Steve Buscemi, avec Willem
Dafoe, Edward Furlong, Danny Trejo et Mickey Rourke, dans le rôle d’un travelo
magnifique.
L’action se passe à la prison de Saint Quentin, à San Francisco, où Johnny Cash, BB King et récemment Metallica ont donné des concerts, et où Ed Bunker a fait son premier
séjour à 17 ans. Il s’y est fait deux fois la malle. Respect. Récit évidement
hautement autobiographique, puisque l’intrigue suit le jeune Ronald Decker qui
atterrit à Big Q. (surnom de St Quentin) pour trafic de marijuana, et découvre les us et
coutumes de la vie dans un des pénitenciers les plus répressifs du pays.
Il
se lie d’amitié avec Earl Copen, qui a 19 ans de trou derrière lui. Copen fraye
avec le gang des suprématistes blancs. Car la première chose qu’on doit savoir
pour survivre plus d’une demi-journée, c’est chacun dans son
coin. Les blancs, les noirs, les chicanos. Ca n’a pas toujours était le cas, nous
dit Bunker, mais depuis les années 60 les rivalités raciales sont devenues le
quotidien des taulards. Les groupes ethniques se radicalisent, on parle de
Black Power et de Fraternité Aryenne, les autorités laissant ce joli monde s’entretuer.
Earl
Copen et Ron Decker sont-ils vraiment amis ? Peut-on avoir des amitiés en
prison ? C’est la question que nous soumet l’auteur, par l’intermédiaire de
Copen qui recommandera à son jeune protégé de ne jamais devoir quelque chose à
quelqu’un. Ne jamais être en dette. Ne jamais rendre service car en retour on exigera de vous bien plus. Ron Decker, qui a la
malchance d’avoir une jolie petite gueule, est une proie de choix pour les
taulards libidineux. Edward Bunker met à jour l’homosexualité latente, au bout de plusieurs années, n’importe
quel collègue de cellule pourra faire l’affaire.
C’est
comme ça. Y échapper relève de l’exploit. Y’a Mike le Psycho, qui porte bien
son nom, qui a des vues sur Ron. Mais attention à ne jamais céder, si vous êtes
qualifié de fiotte alors c’est l’enfer qui s’abat. Et c’est ce qui va
précipiter Ron dans le crime, lui qui voulait rester peinard. Mais là-bas t’es
jamais peinard. Il assiste un prof de littérature, fait la classe, mais un nouvel
élève est bien décidé à se le taper. Que faire, comment réagir surtout quand il sait qu'il doit
repasser devant le jury, pour une conditionnelle ?
Les
relations entre Copen et Decker sont d’un autre ordre, presque filiales, au fil
du temps. Il y a de très belles pages expliquant cette évolution. Earl se
reconnait en ce jeune Ron. Le roman croule de personnages, Bad Eyes, Paul, Vito,
TJ, on s’y perd parfois, comme dans les blocs,
les cours, terrains de sport. Au-delà des portraits, fouillés, intimes, autant savoureux
que féroces, il y a la description de la vie en prison. Une vie faite de
débrouilles, de ruses. Copen, parce qu’il sait écrire, travaille à l’administration,
il rédige la paperasse. Il est en affaire avec les matons, la hiérarchie. Il y
a des scènes hallucinantes, pour falsifier des PV, faire passer des trucs… Et la
corruption, les passe-droits.
Comme
la dope. Le grand sujet. Pas les joints, ça c’est fastoche, mais faire rentrer
de l’héroïne, fabriquer de l’alcool. Ce que décrit le roman, c’est cette vie
parallèle, avec un autre code de conduite. Au point que chacun se dit :
une fois dehors, comment vais-je survivre ? Combien de prisonniers entaulés
depuis 20 ans ne pensent qu’à une chose : y rester. L’enfer, c’est dehors.
Je
ne vais pas vous raconter les intrigues en détails, mais arrive un moment où il faut se tirer de là. Concevoir le
plan, observer, enregistrer, calculer. Des dernières pages hautes en tension,
et un dénouement magnifique, humainement parlant. Redisons qu’Edward Bunker a
réellement passé beaucoup de temps là-bas, il en connait tous les recoins, la
description est quasi documentaire, ce qui fait la force du témoignage. Et
comme le bonhomme sait en plus écrire, à l’économie, sec, direct, sans tabou ni
romantisme de pacotille, on tient là encore un formidable roman noir.
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