Debussy en 1900 |
Pour le piano : un titre qui pourrait apparaître comme une
lapalissade sémantique pour une œuvre pour le clavier, œuvre scindée en trois
parties et d'un petit quart d'heure en tout. Petit est le mot, car pris
isolément, les morceaux écrits par Debussy
ne dépassent jamais en général les cinq à six minutes. Debussy
était accro à la concision… Inutile de chercher l'équivalent de des allegros de
20 minutes débutant la 21ème
sonate de Schubert
ou la 29ème
sonate de Beethoven.
Donc un titre au singulier pour un trio de pièces dont les noms fleurent bon
l'époque classique que Debussy
semble vouloir honorer ici : Prélude, Sarabande, Toccata.
Bach n'est pas loin…
Emil Gilels (1916-1985) |
Pour résumé, Debussy
considérait chacune de ses compositions comme une œuvre indépendante. Dans les
recueils des préludes, le sommet de son
art de l'écriture impressionniste, ou dans cette Suite
"pour le piano", il n'existe qu'un fil conducteur ténu
dans son inspiration. la lecture des poètes de son temps, la contemplation d'un objet d'art ou d'un
élément d'architecture, en un mot ce qui lui passait par la tête nourrissent les 24 préludes. Pour la suite, l'hommage
aux formes de l'époque baroque est évident, notamment celui aux compositeurs majeurs
du siècle des lumières, de Bach
à Scarlatti, mais également à nos français à
l'écriture imagée jusqu'à la facétie qu'étaient Rameau
ou Couperin. On situe le début de la
composition vers 1894 pour la sarabande. Debussy
a 32 ans, il commence réellement à échafauder son patrimoine pianistique. Il
n'est pas un compositeur précoce pour le clavier à haut niveau ; logique pour
un homme qui cherche des voies nouvelles d'écriture comme les gammes tonales
par exemple… Le prélude et la toccata datent de 1896, mais le compositeur va peaufiner l'ensemble jusqu'en 1901. (La sarabande
ayant été publiée séparément en 1896.)
Joyeuse, lyrique et d'une difficulté technique réelle,
la Suite sera créé par le pianiste espagnol virtuose
Ricardo Viñes, un nom souvent rencontré à
l'époque et qui sera aussi le créateur des redoutables partitions de Ravel comme Gaspard
de la nuit… Debussy
était un excellent pianiste, mais en concert, il faut assurer😁.
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Deuxième rencontre avec le pianiste russe Emil Gilels. Un premier article lui était
consacré à propos de son interprétation du 4ème concerto de Beethoven, une gravure de 1968 où le virtuose entrait en
communion avec George Szell dirigeant l'Orchestre de Cleveland. (Clic)
Une biographie est à lire dans ce billet de 2016. Gilels, l'homme du
répertoire romantique dit-on : Beethoven,
Schumann, Brahms
(les deux concertos avec Jochum
sont miraculeux), mais pas que : les compositeurs russes bien entendu : Prokofiev et Rachmaninov
en tête.
Plus surprenant, Gilels
put voyager à sa guise à l'ouest en pleine guerre froide et l'on possède ainsi
des enregistrements de concerts de grand intérêt. Je possède ainsi un CD d'une
soirée pour la Radio Suisse Italienne avec au programme Scarlatti
(sublime sonate
K466 parmi six), les Études symphoniques de Schumann et déjà la suite pour le piano
de Debussy. Un ouvrage que le virtuose affectionnait
car nous l'entendons de nouveau ce jour lors d'un concert donné à la BBC.
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Ricardo Viñes |
Debussy tourne
complètement le dos à la rigueur de l'école franckiste. Les transitions
incessantes tant sur le plan mélodique que rythmique sont négociées avec une
adresse redoutable par Emil Gilels.
La dynamique de l'enregistrement est assez maigre et pourtant chaque note est
audible, il faut dire que la célèbre subtilité du legato-staccato fait
merveille dans une musique aussi survoltée.
2- Sarabande (avec une
élégance grave et lente) : [4:15] J'enfonce une porte ouverte en
rappelant qu'une sarabande est une danse lente aux accents nostalgiques très à
la mode dans l'ancien régime. L'une des pages les plus célèbres étant due à Haendel et immortalisée par Stanley Kubrick. Debussy
applique un rythme très nocturne et enchaîne avec parcimonie les notes et accords
apportant une lumière crépusculaire au discours, on pensera au célèbre prélude "…La cathédrale engloutie" bien
plus tardif. Les passages intimes alternent avec ceux plus épiques. Féérique ! [5:52]
Changement de style avec une marche poétique, quand je dis marche, j'ai le mot
chorégraphie en tête. [7:44] La construction ici plus classique nous offre
une reprise du thème ténébreux introductifs. Plus élégiaque que sombre…
3 - Toccata (vif)
: [9:35] La toccata est une prouesse pianistique éprouvante pour l'interprète.
Une réjouissance diabolique de doubles croches traitée comme un mouvement
perpétuel. Elle fait appel à une virtuosité d'une telle vélocité que l'on pense
à la douce folie du scherzo du 2ème concerto de Prokofiev que bien peu de pianiste assume
avec facilité. [11:53] À partir d'un motif répétitif et obsédant à la main
gauche, Debussy construit une
furieuse coda prise de démence, avec des croisements de mains vertigineux. Un
final flamboyant marqué par un explosif accord fff dans l'extrême aigu ! (Partition)
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En complément, la sonate K466 de Scarlatti dans l'enregistrement dont j'ai parlé plus haut, l'un des derniers concerts du pianiste, le 25 septembre 1984. Un CD Ermitage devenu rare et hors de prix, offert pour ma fête en 1996.
près sa victoire triomphale au concours de la reine Elisabeth face à une concurrence très élevée, Gilels -dont je possède une bonne centaine de CD, c'est mon pianiste préféré- fut, très tôt, décoré comme "Artiste du peuple de l'Union soviétique", comme David Oistrakh. A ce titre, il fut autorisé rapidement à sortir d'URSS pour contribuer au rayonnement culturel de son pays et mettre en valeur le système de formation -hyper élitiste et sélectif- qui y avait été mis en place. C'est pourquoi, dès le début des années 50, il entreprit quelques tournées -absolument triomphales : les témoignages dans la presse de l'époque attestent de la sidération produite par son jeu remarquablement virtuose dans ses toutes jeunes années- et enregistra, pour RCA et EMI, quelques disques qui restent, aujourd'hui encore, de fort belles références : Tchaikovsky et Brahms avec Reiner, Beethoven avec Ludwig...
RépondreSupprimerLe disque Ermitage évoqué comporte un remarquable texte de présentation, il était offert avec la revue "Piano" au courant des années 90 -numéro spécial Emil Gilels-. La version de "Pour le piano" qu'on y trouve est fort belle, mais comporte quelques pains formidables ! Mais pas autant qu'ici : http://latelierdediablotin.fr/WordPress3/tag/beethoven/page/6/ (une vraie fusée de notes à côté, et, cependant, une très grande version...).
Lors de sa dernière tournée, Gilels jouait certains soir -et de quelle manière !- quelques sonates de Scarlatti en remplacement des "Variations Paganini" de Rachmaninoff, lorsqu'il se sentait trop fatigué pour jouer ces dernières. Il existe aussi des témoignages de soirs où il se sentait en bien meilleure forme, et, alors, les "Etudes symphoniques" de Schumann sont proprement stupéfiantes -elles sont déjà remarquables sur le CD Ermitage-.
Merci Diablotin pour toutes ces précisions et votre lecture.
SupprimerLes Etudes symphoniques de Schumann constituent un projet de chronique. Il me reste à trouver une belle version dans laquelle le final n'apparaît pas trop disons... appuyé :o)
Bon WE