vendredi 16 août 2019

PAPIER TUE-MOUCHE de Hans Hillmann (1975) par Luc B.


Ah quel beau livre ! Pas donné à 30 euros mais ça les vaut. Est-ce un livre ou une bande dessinée ? Ni l’un ni l’autre, un roman graphique, comme il est d’usage de les nommer aujourd’hui, comme les adaptations par Tardi de Céline. Sauf que là on parle d’un truc dessiné y’a 40 ans. Hans Hillmann (1925-2014) est un illustrateur et graphiste allemand, professeur d’université, qui a dessiné beaucoup d’affiches de cinéma, pour Buñuel notamment. Son idée était de faire du cinéma sur papier. Fondu d’Amérique et fana de Film Noir, il jette son dévolu en 1975 sur une nouvelle de Dashiell Hammett publiée dans la revue Black Mask dans les années 20, avant que le célèbre auteur ne sorte son classique LE FAUCON MALTAIS.  

L’intrigue de PAPIER TUE-MOUCHE est typique de ces histoires de détectives, comme Raymond Chandler en écrira aussi. Un récit resserré au strict minimum, complexe, confus, le lecteur n’a d’autre choix que de suivre le narrateur, le détective, pour s’y retrouver. L’enquête est prétexte à flirter avec le milieu, la nuit, le crime, les mauvaises graines. L’entame est très classique. Ca commence comme ça : « C’était une affaire de jeune fille en fugue ». A savoir Sue Hambleton, née dans la soie, qui plaque sa famille newyorkaise friquée pour les bras d’un minable truand. Le patriarche confie à une agence de détective le soin de retrouver l’héritière. Qui reçoit plus tard une lettre de sa fille, genre, promis je vais revenir mais envoie-moi 1000 dollars, à San Francisco. Le privé s’y précipite, une photo de la fille en poche pour être sûr de l’identifier, avant de filer le fric. Et c’est là que l’affaire va se compliquer… Et c’est peu dire !

Le récit se présente sous deux formes. Le roman dessiné, avec des extraits du texte, parfois narration, parfois dialogues, et à la fin, la nouvelle intégralement retranscrite. On peut la lire en premier, puis suivre les dessins, ou l’inverse. La technique utilisée est le lavis, dessin au pinceau, à l’encre noire, de Chine, avec ce merveilleux relief dû au papier à grains. Une illustration par page, au format français - qui s’oppose au format italien, allongé.

Autrement dit, l’inverse de ce que propose un écran de cinéma. Sauf que parfois, Hillmann utilise les deux pages pour une même action, qui sera découpée en deux planches. Le dessin accapare toute l’attention, c’est fabuleux de parcourir les planches, remarquer les détails, et les axes. Tout y passe, les gros plans, les inserts, plongées, contre-plongées, mais surtout ces grands plans d’ensemble sur la ville, les immeubles de San Francisco, avec mille détails. Surement les planches que je préfère, on peut les parcourir des yeux de longues minutes et se régaler.

Certaines actions sont découpées presque seconde par seconde (le détective et la logeuse qui montent à l’appartement de Sue), et toujours des points de vue graphiquement intéressants, des axes cinématographiques. L’influence du Film Noir, d’Orson Welles, est évidemment présente, déterminante, c’est le genre qui veut ça. Hillmann est allé à San Francisco se nourrir de l’architecture, en a rapporté des dessins, des croquis. Dans les scènes à l’intérieur de bar, on pense à Edward Hopper et ses célèbres tableaux, ces personnages massifs dans un espace aéré.

Tout le monde ment, tout le monde se cherche les noises, ça se castagne, ça flingue, on se balade dans le Chinatown de Frisco, dans la campagne environnante, on ne pige pas tout, tout de suite, mais peu importe. Et question : pourquoi PAPIER TUE-MOUCHE, en quoi ces petites plaquettes imbibées repoussoir d’insectes pourraient être une arme de crime ? Si crime il y a eu ? Parce qu’il y a de l’arsenic dedans, et mine de rien, à petites doses, à long terme, et judicieusement utilisé, ça peut faire des dégâts… C'est machiavélique ! (je ne sais pas si ça marcherait aujourd'hui avec du Baygon Vert ?!)

Belle intrigue retorse, superbes illustrations, voilà un des pères du roman graphique, que l’on peut feuilleter des heures sans se lasser.

Edition La Table Ronde  -  285 pages.

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