Ah
quel beau livre ! Pas donné à 30 euros mais ça les vaut.
Est-ce un livre ou une bande dessinée ? Ni l’un ni l’autre, un roman
graphique, comme il est d’usage de les nommer aujourd’hui, comme les adaptations par Tardi de Céline. Sauf que là on parle d’un truc dessiné y’a 40
ans. Hans Hillmann (1925-2014) est un illustrateur et graphiste allemand,
professeur d’université, qui a dessiné beaucoup d’affiches de cinéma, pour Buñuel
notamment. Son idée était de faire du cinéma sur papier. Fondu d’Amérique et
fana de Film Noir, il jette son dévolu en 1975 sur une nouvelle de Dashiell
Hammett publiée dans la revue Black Mask dans les années 20, avant que le célèbre auteur ne sorte son classique LE FAUCON
MALTAIS.
L’intrigue
de PAPIER TUE-MOUCHE est typique de ces histoires de détectives, comme Raymond
Chandler en écrira aussi. Un récit resserré au strict minimum, complexe,
confus, le lecteur n’a d’autre choix que de suivre le narrateur, le détective,
pour s’y retrouver. L’enquête est prétexte à flirter avec le milieu, la nuit,
le crime, les mauvaises graines. L’entame est très classique. Ca commence comme
ça : « C’était une affaire de jeune fille en fugue ». A savoir
Sue Hambleton, née dans la soie, qui plaque sa famille newyorkaise friquée pour
les bras d’un minable truand. Le patriarche confie à une agence de détective le
soin de retrouver l’héritière. Qui reçoit plus tard une lettre de sa
fille, genre, promis je vais revenir mais envoie-moi 1000 dollars, à San
Francisco. Le privé s’y précipite, une photo de la fille en poche pour être sûr
de l’identifier, avant de filer le fric. Et c’est là que l’affaire va se
compliquer… Et c’est peu dire !
Le
récit se présente sous deux formes. Le roman dessiné, avec des extraits du
texte, parfois narration, parfois dialogues, et à la fin, la nouvelle
intégralement retranscrite. On peut la lire en premier, puis suivre les
dessins, ou l’inverse. La technique utilisée est le lavis, dessin au pinceau, à
l’encre noire, de Chine, avec ce merveilleux relief dû au papier à grains. Une illustration
par page, au format français - qui s’oppose au format italien, allongé.
Autrement dit, l’inverse de ce que propose un écran de cinéma. Sauf que
parfois, Hillmann utilise les deux pages pour une même action, qui sera
découpée en deux planches. Le dessin accapare toute l’attention, c’est fabuleux
de parcourir les planches, remarquer les détails, et les axes. Tout y passe, les
gros plans, les inserts, plongées, contre-plongées, mais surtout ces grands
plans d’ensemble sur la ville, les immeubles de San Francisco, avec mille
détails. Surement les planches que je préfère, on peut les parcourir des yeux de
longues minutes et se régaler.
Certaines
actions sont découpées presque seconde par seconde (le détective et la
logeuse qui montent à l’appartement de Sue), et toujours des points de vue
graphiquement intéressants, des axes cinématographiques. L’influence du Film
Noir, d’Orson Welles, est évidemment présente, déterminante, c’est le genre qui veut ça. Hillmann
est allé à San Francisco se nourrir de l’architecture, en a rapporté des
dessins, des croquis. Dans les scènes à l’intérieur de bar, on pense à Edward
Hopper et ses célèbres tableaux, ces personnages massifs dans un espace aéré.
Tout
le monde ment, tout le monde se cherche les noises, ça se castagne, ça flingue,
on se balade dans le Chinatown de Frisco, dans la campagne environnante, on ne
pige pas tout, tout de suite, mais peu importe. Et question : pourquoi PAPIER
TUE-MOUCHE, en quoi ces petites plaquettes imbibées repoussoir d’insectes
pourraient être une arme de crime ? Si crime il y a eu ? Parce qu’il
y a de l’arsenic dedans, et mine de rien, à petites doses, à long terme, et
judicieusement utilisé, ça peut faire des dégâts… C'est machiavélique ! (je ne sais pas si ça marcherait aujourd'hui avec du Baygon Vert ?!)
Belle
intrigue retorse, superbes illustrations, voilà un des pères du roman
graphique, que l’on peut feuilleter des heures sans se lasser.
Edition La Table Ronde - 285 pages.
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