vendredi 26 juillet 2019

MARATHON MAN de John Schlesinger (1976) par Luc B.


«  C’est sans danger… »
Ce film fait partie d’un petit groupe d’élus, que l’on peut revoir sans cesse avec toujours autant d’intérêt. Je ne sais pas à quoi ça tient. Enfin si, je sais. On appelle ça l’alchimie. Entre un scénario béton, une mise en scène béton, une interprétation béton, à croire que ce film est produit par les ciments Lafarge.
L’intrigue est plutôt compliquée, ce qui en fait toute la saveur. Car le spectateur n’en sait pas plus que le héros, découvre avec lui cet imbroglio. Ce qui renforce l’aspect paranoïaque et angoissant de l’histoire, racontée du point de vue de Thomas Lévy, étudiant en histoire qui se prépare au marathon de New York, petit neutron jeté dans une grande lessiveuse. Pourquoi tous ces gens le poursuivent, s’acharnent sur lui, cherchent à le tuer ? Sans doute parce que Thomas est le frère de Henri Lévy, joué par l’impeccable Roy Scheider, vu dans KLUTE, LES DENTS DE LA MER, ALL THAT JAZZ. Henry Lévy donc, le grand frère, qui semble travailler pour le gouvernement américain, sans être vraiment flic ou espion… On ne sait pas trop, c'est brumeux... MARATHON MAN se situe dans ce genre cinématographique des années 70 du thriller conspirationniste, comme LES TROIS JOURS DU CONDOR de Sydney Pollack, LES HOMMES DU PRESIDENT d’Alan Pakula ou LE DOSSIER ANDERSON de Lumet.
Le film intrigue dès le départ, par une scène choc. Un vieil homme récupère dans le coffre d’une banque des diamants. Déjà, c’est suspect. En repartant, sa voiture cale. C’est l’été, caniculaire, les esprits s’échauffent. Un autre type en voiture s’énerve, klaxonne, emboutit le chauffard, la tension monte, les insultes fusent. Un plan cut nous montre un camion-citerne d’essence faire une manœuvre. On comprend la suite : les deux voitures percutent le camion qui explose. Il y a un second degré de lecture dans cette scène de violence quotidienne : la seconde voiture est conduite par un juif alors que la première est pilotée par un homme d’origine allemande. On apprendra qu’il s’agit du frère de Christian Szell, un nazi planqué au Brésil, qui est dans le collimateur d’Henry Lévy. Vous suivez ? 
On se dit qu’avec une scène d’ouverture pareille, la suite n’a pas intérêt à décevoir. On ne sera pas déçu. John Schlesinger, cinéaste anglais nourri de la Nouvelle Vague franco-britannique, qui six ans plus tôt réalisait MACADAM COWBOY avec déjà Dustin Hoffmanclic ] sait parfaitement entretenir le suspense et fait monter la tension un peu plus à chaque séquence. Comme cette scène où Henri Lévy se fait attaquer par un asiatique borgne dans un appartement parisien, vu depuis l’immeuble d’en face par un vieil infirme en fauteuil roulant. Et le spectateur d’essayer de relier entre elles les deux intrigues. Heureusement (enfin… c’est ce que croit…) le charme et la légèreté pointe son nez en même temps que le joli minois d’Elsa Opel, charmante jeune femme que Thomas Lévy rencontre à la bibliothèque. Vraiment très charmante puisqu’interprétée par Marthe Keller.
Arfff… Je me souviens avec émotion de ses mini-jupes dans l’excellent LE DIABLE PAR LA QUEUE de Philippe de Broca, actrice d’origine allemande, jouant en français comme en anglais, ce qui lui vaut une carrière internationale, vue chez Sydney Pollack, John Frankenheimer ou Billy Wilder, excusez du peu. Compagne d'Al Pacino, ah le salaud !
Mais revenons à notre marathon. Hitchcock disait qu’un bon film, c’est un bon méchant. John Schlesinger nous gâte avec Christian Szell, interprété par l’immense Laurence Olivier, inspiré du Dr Mengele, ordure suprême, terrifiant dans cette scène la plus célèbre : « C’est sans danger »… Plus jamais vous irez chez le dentiste après ça. On avait Robert Mitchum dans LA NUIT DU CHASSEUR et ses phalanges tatouées de « love » et « hate », on aura à jamais à l’esprit Laurence Olivier et ses lunettes métalliques tenant d’une main un flacon d’essence de girofle et de l’autre une fraise de dentiste : « Je soulage, j’inflige la douleur ». Scène terrifiante qui dut être raccourcie au montage après les avant-premières traumatisantes. Opposition du style de jeu entre la Méthode américaine d'Hoffman qui courait 40 bornes par jour pour parfaire le rôle, et Olivier l'anglais, qui comme Gabin restait encore assis trois secondes avant le "moteur" lâchant ce conseil : « contentes-toi de jouer ta réplique ! ».
Le pauvre Thomas Lévy, soumis à la torture, ne sait toujours pas ce qu’on lui veut. Le film bascule encore d’un cran avec le double jeu du sémillant Peter Janeway, ami et collègue d’Henri Lévy, joué par William Devane. Vous connaissez sa bouille rigolarde en pâte à modeler genre Walter Matthau, et on s’en méfie d’autant plus que l’on commence à comprendre ce qui se trame, et où sont les véritables intérêts des protagonistes.
MARATHON MAN aligne une ribambelle de scènes restées célèbres, le footing de Dustin Hoffman le long du réservoir de Central Park, sa course folle en pyjama sur les échangeurs (qui aurait inspiré Guillaume Canet pour NE LE DIS A PERSONNE ?) l’intrusion des tueurs dans son appartement, hautement anxiogène (vous vous souvenez de SHINING et la salle de bain  ?) , l’aide qu’il demande à ses voisins – une bande de voyous qui se foutaient de sa gueule, le surnommant « la limace » – trop heureux de pouvoir cambrioler un appart, le sien, ou encore ces travellings en champs contre champs de Christian Szell, reconnu comme ex-nazi et poursuivi dans la rue par une rescapée des camps (j’ai toujours cru que c’était l’actrice française Madeleine Robinson, c’est Lotte Palfi-Andor) et un préteur sur gage, le poignet tatoué de son matricule à Auschwitz (voir la réaction de Szell en les découvrant) qui tâteront de la lame tranchante et rétractable de Szell, en pleine rue. Et que dire du rendez-vous entre Thomas et Elsa dans la maison vide, qui vaut son pesant de parano, et l’ultime confrontation dans le réservoir…  
J’espère ne pas en avoir trop dit. Ceux qui connaissent savent, les autres découvriront ce classique oppressant filmé au cordeau par Schlesinger, né d’une période où le cinéma américain laissait les metteurs en scène porter des sujets graves et politiques à l’écran tout en assurant le spectacle. Formidable thriller sous haute tension ne nous laissant aucun répit, avec un Dustin Hoffman qui décidément, à l’instar de Pacino ou Nicholson, était THE acteur sur lequel il fallait compter (bon, il joue un étudiant alors qu'il a 40 balais...). On ne redira jamais assez le talent de cet acteur à se trouver dans les meilleures productions de l’époque. Précipitez-vous, c’est sans presque danger…

couleur -  2h05  - format 1 :1.85

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