«
C’est sans danger… »
Ce
film fait partie d’un petit groupe d’élus, que l’on peut revoir sans cesse avec
toujours autant d’intérêt. Je ne sais pas à quoi ça tient. Enfin si, je sais.
On appelle ça l’alchimie. Entre un scénario béton, une mise en scène béton, une
interprétation béton, à croire que ce film est produit par les ciments Lafarge.
L’intrigue
est plutôt compliquée, ce qui en fait toute la saveur. Car le spectateur n’en
sait pas plus que le héros, découvre avec lui cet imbroglio. Ce qui renforce l’aspect
paranoïaque et angoissant de l’histoire, racontée du point de vue de Thomas
Lévy, étudiant en histoire qui se prépare au marathon de New York, petit
neutron jeté dans une grande lessiveuse. Pourquoi tous ces gens le poursuivent,
s’acharnent sur lui, cherchent à le tuer ? Sans doute parce que Thomas est
le frère de Henri Lévy, joué par l’impeccable Roy Scheider, vu dans KLUTE, LES
DENTS DE LA MER, ALL THAT JAZZ. Henry Lévy donc, le
grand frère, qui semble travailler pour le gouvernement américain, sans être
vraiment flic ou espion… On ne sait pas trop, c'est brumeux... MARATHON MAN se situe dans ce genre cinématographique
des années 70 du thriller conspirationniste, comme LES TROIS JOURS DU CONDOR de
Sydney Pollack, LES HOMMES DU PRESIDENT d’Alan Pakula ou LE DOSSIER ANDERSON de
Lumet.
Le
film intrigue dès le départ, par une scène choc. Un vieil homme récupère dans
le coffre d’une banque des diamants. Déjà, c’est suspect. En repartant, sa
voiture cale. C’est l’été, caniculaire, les esprits s’échauffent. Un autre type
en voiture s’énerve, klaxonne, emboutit le chauffard, la tension monte, les
insultes fusent. Un plan cut nous montre un camion-citerne d’essence faire une manœuvre.
On comprend la suite : les deux voitures percutent le camion qui explose. Il
y a un second degré de lecture dans cette scène de violence quotidienne :
la seconde voiture est conduite par un juif alors que la première est pilotée
par un homme d’origine allemande. On apprendra qu’il s’agit du frère de
Christian Szell, un nazi planqué au Brésil, qui est dans le collimateur
d’Henry Lévy. Vous suivez ?
On
se dit qu’avec une scène d’ouverture pareille, la suite n’a pas intérêt à décevoir.
On ne sera pas déçu. John Schlesinger, cinéaste anglais nourri de la Nouvelle Vague franco-britannique, qui six ans plus tôt réalisait MACADAM
COWBOY avec déjà Dustin Hoffman [ clic ] sait parfaitement entretenir le suspense
et fait monter la tension un peu plus à chaque séquence. Comme cette scène où Henri
Lévy se fait attaquer par un asiatique borgne dans un appartement parisien, vu
depuis l’immeuble d’en face par un vieil infirme en fauteuil roulant. Et le
spectateur d’essayer de relier entre elles les deux intrigues. Heureusement
(enfin… c’est ce que croit…) le charme et la légèreté pointe son nez en même
temps que le joli minois d’Elsa Opel, charmante jeune femme que Thomas Lévy
rencontre à la bibliothèque. Vraiment très charmante puisqu’interprétée par
Marthe Keller.
Arfff…
Je me souviens avec émotion de ses mini-jupes dans l’excellent LE DIABLE PAR LA
QUEUE de Philippe de Broca, actrice d’origine allemande, jouant en français
comme en anglais, ce qui lui vaut une carrière internationale, vue chez Sydney
Pollack, John Frankenheimer ou Billy Wilder, excusez du peu. Compagne d'Al Pacino, ah le salaud !
Mais
revenons à notre marathon. Hitchcock disait qu’un bon film, c’est un bon
méchant. John Schlesinger nous gâte avec Christian Szell, interprété par l’immense
Laurence Olivier, inspiré du Dr Mengele, ordure suprême, terrifiant dans cette
scène la plus célèbre : « C’est sans danger »… Plus jamais vous
irez chez le dentiste après ça. On avait Robert Mitchum dans LA NUIT DU
CHASSEUR et ses phalanges tatouées de « love » et « hate »,
on aura à jamais à l’esprit Laurence Olivier et ses lunettes métalliques tenant d’une
main un flacon d’essence de girofle et de l’autre une fraise de dentiste :
« Je soulage, j’inflige la douleur ». Scène terrifiante qui dut être raccourcie
au montage après les avant-premières traumatisantes. Opposition du style de jeu entre la Méthode américaine d'Hoffman qui courait 40 bornes par jour pour parfaire le rôle, et Olivier l'anglais, qui comme Gabin restait encore assis trois secondes avant le "moteur" lâchant ce conseil : « contentes-toi de jouer ta réplique ! ».
Le pauvre Thomas Lévy, soumis à la torture, ne sait toujours pas ce
qu’on lui veut. Le film bascule encore d’un cran avec le double jeu du
sémillant Peter Janeway, ami et collègue d’Henri Lévy, joué par William Devane.
Vous connaissez sa bouille rigolarde en pâte à modeler genre Walter Matthau, et
on s’en méfie d’autant plus que l’on commence à comprendre ce qui se trame, et
où sont les véritables intérêts des protagonistes.
MARATHON
MAN aligne une ribambelle de scènes restées célèbres, le footing de Dustin Hoffman
le long du réservoir de Central Park, sa course folle en pyjama sur les
échangeurs (qui aurait inspiré Guillaume Canet pour NE LE DIS A PERSONNE ?)
l’intrusion des tueurs dans son appartement, hautement anxiogène (vous vous souvenez de SHINING et la salle de bain ?) , l’aide qu’il
demande à ses voisins – une bande de voyous qui se foutaient de sa gueule, le
surnommant « la limace » – trop heureux de pouvoir cambrioler un
appart, le sien, ou encore ces travellings en champs contre champs de Christian
Szell, reconnu comme ex-nazi et poursuivi dans la rue par une rescapée des
camps (j’ai toujours cru que c’était l’actrice française Madeleine Robinson, c’est
Lotte Palfi-Andor) et un préteur sur gage, le poignet tatoué de son matricule à
Auschwitz (voir la réaction de Szell en les découvrant) qui tâteront de la lame
tranchante et rétractable de Szell, en pleine rue. Et que dire du rendez-vous
entre Thomas et Elsa dans la maison vide, qui vaut son pesant de parano, et l’ultime confrontation dans le
réservoir…
J’espère
ne pas en avoir trop dit. Ceux qui connaissent savent, les autres découvriront
ce classique oppressant filmé au cordeau par Schlesinger, né d’une période où le cinéma américain laissait les metteurs en
scène porter des sujets graves et politiques à l’écran tout en assurant le spectacle.
Formidable thriller sous haute tension ne nous laissant aucun répit, avec un
Dustin Hoffman qui décidément, à l’instar de Pacino ou Nicholson, était THE
acteur sur lequel il fallait compter (bon, il joue un étudiant alors qu'il a 40 balais...). On ne redira jamais assez le talent de cet acteur à se trouver dans les meilleures productions de l’époque. Précipitez-vous,
c’est sans presque danger…
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