samedi 27 juillet 2019

RIMSKI-KORSAKOV – Ouverture de la Grande Pâque Russe – Jos van IMMERSEEL vs E. SVETLANOV – par Claude Toon



- Coucou M'sieur Claude, je passe à Paris entre deux séances de bronzage… Mais ? On a déjà commenté ce disque il y a quelques mois !!! Vous devenez gâteux ?!
- Pas d'impertinence Sonia ! Nous avions écouté les deux œuvres de Borodine sur ce disque vraiment original, du coup un petit complément avec Rimski-Korsakov…
- Ah oui, l'ouverture de la Grande Pâque Russe… Connu ça ! Mais vous n'aviez pas d'autres choix que de proposer de nouveau le maestro belge ?
- Si et cette interprétation toute en finesse ne plaira sans doute pas à tout le monde… Du coup j'ai ajouté une version bien énergique de Evgeny Svetlanov…
- On n'en a jamais parlé de ce chef russe très connu… Une volonté de votre part ?
- Ô non, pas du tout mais, soit les vidéos YouTube disparaissent en permanence, soit ses disques ne sont pas réédités, je ne suis pas marchand de disques mais quand même…

Evgeny Svetlanov (1928-2002)
Pour changer de mon plan habituel, parlons d'abord des artistes de cette confrontation amicale… Sonia a raison, et j'attends l'opinion de M'sieur Pat sur le sujet, le recours à un orchestre jouant sur des instruments des XVIIIème et XIXème siècles une musique de la fin du romantisme peut faire craindre un rétrécissement de la puissance évocatrice de cette orchestration généreuse.
C'est amusant de constater que les deux interprétations sont passionnantes. Il faut dire que l'orchestre d'État d'URSS en 1984 est au mieux de sa forme sous la direction de son chef Evgeny Svetlanov peu enclin à insuffler de la métaphysique là où il n'y en a pas. Un maestro que j'avais sans doute évoqué dans des discographies alternatives, un grand serviteur de la musique russe et fan de Mahler, mais pour trouver de bons disques sur le plan technique, quelle galère ! Quant aux vidéos You Tube, dur ! Elles disparaissent bien vite…
Retour de Jos van Immerseel, quelques mois après l'écoute des deux petits ouvrages de Borodine présents sur ce disque et trois ans après un article consacré au Trio "des esprits" de Beethoven, gravure pour laquelle il tient la partie de piano. Musique baroque, classique, de chambre et même romantique, voilà un musicien belge pour le moins éclectique… (Clic) J'aime beaucoup la transparence de l'interprétation de cette ouverture à l'orchestration éloquente de Rimski-Korsakov même si je trouve que l'espace stéréophonique du disque n'est pas assez large…
- Pfff ! Jamais content de rien !!
- Ô M'enfin Sonia, juste un petit regret sur la technique sonore….

Saint-Basile-le-Bienheureux de Moscou
En discutant avec Sonia, j'ai utilisé volontairement le mot énergique à propos de la direction d'Evgeny Svetlanov et surtout pas "bourrin" comme on le lit parfois sous la plume des méchantes langues. Né en 1928 à Moscou, le maestro ne commencera vraiment sa carrière qu'en 1954 après la mort de Staline en dirigeant un opéra mineur de Rimski-Korsakov au Bolchoï. Enfant de la génération suivant celle de Mravinsky ou de Chostakovitch, il n'aura pas à subir la dictature artistique de Jdanov, l'âme damnée du dictateur dans le domaine intellectuel, à participer aux pathétiques séances d'autocritique. J'en ai souvent parlé dans mes papiers consacrés à Chostakovitch ou encore à Prokofiev.
Hyperactif, le chef dirigera 33 ans (de 1965 à 1998) l'orchestre d'État de l'URSS (futur Orchestre symphonique de la fédération de Russie après la chute du bloc de l'Est). Il sera l'un des rares artistes soviétiques à occuper des postes à temps complet à l'Ouest, auprès de trois phalanges anglaises de haut vol : Le Philharmonia, Le symphonique de Londres et l'orchestre de la BBC. Pour compléter le CV, de 1992 à 2000, il est chef principal de l'Orchestre de la Résidence la Haye. Il sera écarté de son poste à Moscou malgré 35 ans de travail durant lequel il a hissé à très haut niveau l'orchestre d'État, ses absences et son trop grand nombre de casquettes ayant fini par agacer le ministère de la culture (des intrigues politiques, comme partout).
Svetlanov a beaucoup enregistré, prioritairement de la musique russe. Il faut avoir entendu la fougue de sa battue dans le poème de l'extase de Scriabine (une référence dionysiaque) ou Manfred de Tchaïkovski. Il y a quelques années, plusieurs dizaines de CDs avaient été réédités dans une copieuse anthologie "collector" consacrée au maestro. Temporairement hélas. Pour Manfred, un commentateur Amazon notait "Survolté, puissant, insurpassable", je n'aurais pas dit mieux pour ce CD disponible sur le marché pour collectionneurs…
Svetlanov conduisait de manière athlétique, dégageant une force granitique des ouvrages abordés, un engagement sans doute épuisant car le chef est décédé assez tôt en 2002 à 74 ans.
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L'œuvre du jour est une Ouverture de Concert écrite par Rimski-Korsakov contemporaine de la création de son chef-d'œuvre : Schéhérazade, orientalisant et coloré poème symphonique mais organisé en quatre mouvements comme une symphonie traditionelle (Clic).
Dédiée in memoriam à Moussorgski  (+1881) et à Borodine (+1887, un an avant), elle s'inspire grandement de la liturgie orthodoxe, l'édition originale portant la mention "Ouverture sur des thèmes liturgiques d'après le psaume 68 et l'Évangile selon Saint Marc, chapitre XVI." Créée fin 1888 par le compositeur lui-même, elle mêle avec ferveur des références aux textes sacrés de la fête de la résurrection mais également à des chants laïcs populaires en Russie. Comme souvent chez ce composteur l'écriture est rigoureuse et l'orchestration luxuriante : 
3 flûtes, la 3ème jouant le piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes (en ut), 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes (en la et en si bémol), 3 trombones, tuba, 3 timbales, cloches tubulaires, grosse caisse, caisse claire, tam-tam, cymbales, triangle, harpe et cordes.
Rimski-Korsakov aborde son sujet comme une œuvre de circonstance, avec ferveur certes, mais n'évite pas quelques faiblesses de composition comme la répétition tout de même insistante du thème principal.
La partition enchaîne quatre parties sans interruption, le compositeur proposait des commentaires à propos des textes religieux qui l'avaient inspiré ; je les mentionne par copier/coller :
1 - Lento mystico – Maestoso : [0:00]  Lento mystico [1:26] Maestoso : Le thème principal est énoncé sous forme d'un choral des bois sur les premières mesures à 5/2. Un beau motif des cordes conclu par un accord de cuivres est suivi par un solo du violon… Le maestoso s'élance par une noble reprise du thème initial par les trombones. En quelques mesures Rimski-Korsakov démontre son talent d'orchestrateur bien mis en relief par les deux chefs, intimiste chez Jos van Imerseel, plus passionné chez Svetlanov
Je ne détaillerai pas plus, cette musique se suit très bien, richement colorée et rythmée. La grandeur mystique est évidente. Le travail sur la polyphonie est varié avec des moments de grâce comme le solo de violon à [8:21]. Méditation et joie populaire s'opposeront farouchement en ce jour de liesse. Voici en italique les commentaires de la main du compositeur :
"L’assez longue et lente introduction à La Grande Pâque russe sur le thème Dieu ressuscitera, évoquait pour moi la prophétie d’Isaïe sur la résurrection du Christ."
2 - Andante lugubre [3:00] : "Les sombres couleurs de l’andante lugubre semblent représenter le Saint Sépulcre s’illuminant au moment de la résurrection… "
3 - Allegro agitato [4:02] : "Le commencement de l’Allegro, extrait du psaume Ceux qui le haïssent fuiront de devant sa face, est bien en harmonie avec la joie qui caractérise la cérémonie orthodoxe : la trompette solennelle de l’Archange alterne avec le son joyeux et presque dansant des cloches, coupé tantôt par la lecture rapide du diacre, tantôt par le chant du prêtre lisant dans le Livre saint la Bonne Nouvelle."
4 - Maestoso alla breve [11:48] : "Le thème Christ est ressuscité, constituant en quelque sorte le thème secondaire de l’œuvre, apparaissait entre l’appel des trompettes et le son des cloches, et formait également une coda solennelle."

La discographie est pléthorique pour cette œuvre populaire qui constitue fréquemment un complément de programme sur les CDs.
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