lundi 17 juin 2019

U-TURN : ICI COMMENCE L'ENFER d'Oliver stone (1997) - par Claude Toon




Jennifer Lopez et Sean Penn
Encore un film bien barré mêlant comédie satirique, polar noir foncé et au fur et à mesure de son déroulement, une débauche de violence. Des réalisateurs ont parfois envie de se faire plaisir, changer de style, réunir un casting de dingue avec des "stars" ne venant parfois que pour une minute de figuration. Sortir du registre habituel peut déconcerter leurs aficionados et les critiques. Ce fut le cas pour U-Turn tourné en 1997 par Oliver Stone qui divisa les cinéphiles et fut même nominé deux fois au Razzie Awards : pire réalisateur pour Oliver Stone et pire second rôle masculin pour Jon Voight. Aucune "récompense" cela dit, Postman de Kevin Costner ayant raflé la mise cette année-là. Pourtant le public avait plutôt adhéré à ce délire avec une moyenne de 3,3 sur le site allociné.
Razzie Awards ? Dur pour Oliver Stone, le réalisateur militant et humaniste, plusieurs Oscars au compteur, Midnight Express, Platoon, né un 4 juillet, en bref 52 nominations dans divers grands shows et 14 prix. Pour l'anecdote, le plutôt bien léché Alexandre fut nominé 4 fois auxdits Razzie Awards. On s'en fout un peu, mais avec des réalisations sérieuses comme JFK (tiens, avec Kevin Costner dans le rôle du procureur Garisson) ou Tueurs nés, on n'attend pas un film opposant truculence et hyper violence. Cela dit hyper violence, si on a vu Midnight Express ou Tueurs nés
J'en arrive au film du jour.

Billy  Bob Thorton  (si, si...)
Bobby Cooper (Sean Penn) taille la route à vive allure à bord d'une mustang décapotable collector modèle 1964 rouge. Ah l'Arizona et ses paysages grandioses et désertiques. Enfin, Oliver Stone nous affranchit d'entrée, on n'assistera pas aux vacances de M. Cooper. Plans furtifs de vautours qui se régalent de bestioles écrasées. Bobby en ajoute une au stock. Et puis il pète une durite (pas lui, la Mustang). Un carrefour, quelques pancartes trouées comme au temps des Dalton, un bled proche au nom ambigu, Superior. Arrivée dans un garage décrépi mi mécanique, mi carrossier, mi casse (ok ça fait trois mi). Un seul mécano, Darrell (Billy Bob Thorton), un amas ventripotent de crasse et de cambouis à l'air débile, dégénéré et escroc, une dentition de zombie en fin de vie (oxymore). Un Billy  Bob Thorton méconnaissable ou plutôt identifiable grâce au générique ; penser à donner le prix Nobel pour les maquilleurs et les costumiers. Pas de mystère, Bobby débarque dans l'un de ces bleds oubliés par Dieu dans l'Amérique profonde. Oliver Stone ricane derrière sa caméra à filmer l'échange entre le garagiste surréaliste et un Bobby hâbleur, impatient, désagréable et prétentieux. On identifie vite : une petite frappe qui s'est taillée d'un Las Vegas où pour lui l'air est malsain vu son bandage à la main (ceux qui ont vu Casino de Scorcese connaisse le tarif de l'amende infligée au tricheur ou débiteur de la Mafia : une manucure à coups de marteau ou de cisaille).
John Voigth et Sean Penn
Une durite, une durite… de 1964, il faut un peu de délai… Bobby cherche un troquet pour échapper au soleil de plomb. Visite de Superior : bâtiments en ciment sans aucun charme (euphémisme), usines en ruines ; le paradis. Le scénario est très dense et je ne dois pas raconter l'histoire. Bobby est entré en enfer comme a cru bon d'ajouter le distributeur français. Bobby trimbale un sac rempli de dizaine de millier de dollars pour aller solder ses dettes dans la Capitale du jeu du Nevada. Mais Bobby se révèle la scoumoune incarnée. Pour Dante, l'enfer est derrière une porte surmontée de l'inscription "Abandonne tout espoir toi qui entre ici". Pour Bobby la porte prendra la forme d'un drugstore où il veut acheter une simple bière. Mince, ça ne devrait pas être compliqué d'acheter une bière, et bien si quand deux abrutis débarquent pour braquer la tôlière : un clone mexicain de Mimie Mathy qui bute les malfrats à coup de fusil à pompe et disperse le magot de Bobby lors de cette tuerie à la Tarantino !

Pour trouver les 200 $ destinés à Darell, Bobby enchaînera les plans foireux jusqu'à un final digne du Grand-Guignol, occasion pour le cinéaste de faire défiler une faune locale très haut de gamme. Examinons ces barjos plus ou moins dans le désordre. Un mendiant aveugle (John Voight) d'origine indéterminée traîne en ville, un ancien baba cool de Woodstock reconverti en SDF qui philosophe des inepties à longueur de temps (le John Voight de Délivrance ou Macadam cowboy est lui aussi identifiable uniquement au générique). Oliver Stone métamorphose ses comédiens en monstres caricaturaux, un festival de l'outrance. Deux débutants : Toby N. Tucker (Joaquin Phoenix à 22 ans), un ado que les hormones ont rendu sociopathe et qui s'est fait tondre TNT dans la tignasse. Il veille comme un mac sur Jenny (Claire Danes, 17 ans) qui l’ignore, une blondinette nymphomane qui fait du gringue à tout ce qui porte un pantalon, Bobby compris. (D'où une bagarre en trio d'anthologie en pleine rue.)
Nicke Nolte
Continuons. Plus au cœur de cette histoire sordide : Grace McKenna (Jennifer Lopez), une bombe rescapée d'une réserve indienne ; tous les mâles de Superior matent sa plastique avenante avec en priorité son postérieur. La belle est mariée à l'ex de sa mère, une autre indienne morte (sous les coups ou suicidée ?). Donc mariée au bourgeois du coin, Jake McKenna (Nick Nolte), une brute sans scrupule qui maltraite Grace. Du coup, est-ce sa fille ? de l'inceste ? Allez savoir dans ce bled de fous. Jake crève de jalousie mais de manière plus vicieuse que Toby… Il ira jusqu'à proposer à Bobby de buter sa femme pour partager une assurance vie !!!! Il a surpris Bobby en train de bisouiller Grace d'ailleurs. Bobby est une petite frappe, mais de là à tuer… Ajoutons la cerise sur le gâteau : Le shérif Virgil Potter (Powers Boothe)  qui tient le volant de sa bagnole de service d'une main et une flasque d'alcool dans l'autre. Marié, un gosse, on pourrait imaginer un personnage presque normal ; pas le moins du monde, il en pince aussi pour Grace qui semble être le catalyseur des déviances sexuelles de Superior. Ah les braves gens !

On se résume et on conclut : vous plongez tous ces cinglés dans un creuset abject et vous touillez, les stratégies les plus glauques s'échafaudent pour permette à Bobby d’honorer une facture de 200 $. Qui sortira vivant de ce délire de roman noir jailli de la plume de John Ridley qui marche à sa façon sur les plates-bandes d'un Elmore Leonard (Jacky Brown) ?

Oliver Stone rythme son film avec gourmandise. Il y a quelques longueurs, des roucoulades entre Bobby et Grace un peu superflues à mon sens. Les dialogues sont savoureux. Le réalisateur adore les coquetteries côté photographie et cadrage : des floutés et même du NB, des contreplongées…, mais sans logique affirmée. De rares petits points faibles dans cette fable grotesque et sanguinolente. Le casting est d'enfer (sans jeu de mot), chacun survoltant le rôle de composition qui lui est confié, toujours diabolique. Des habitués du réalisateur ont détesté le côté "foutoir" du script, un avis pertinent au regard des outrances volontaires de la mise en scène.

Format : Couleurs (Technicolor) - 35 mm - 1,85:1 - Dolby Digital / SDDS
Durée : 120 minutes - interdit -16 ans.
Musique : Ennio Morricone plus chanson de Peggy Lee au générique (it’s a good day - Enfin si on veut)



1 commentaire:

  1. Ah, je me souviens avoir adoré ce film! Faut que je le ressorte de la collec' du frangin.
    Sean Penn est un très grand acteur, et puis c'est le seul mec dont Madonna avoue regretter s'être séparé...
    La façon dont Bobby reste prisonnier de ce bled de barges me rappelle Red Rock West dans lequel Nicolas Cage croit s'échapper pour revenir illico sitôt le panneau dépassé.
    Grand film, franchement à découvrir!

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