vendredi 14 juin 2019

MOUCHETTE de Robert Bresson (1967) par Luc B. comme Bresson



Souvenez-vous il y a quelques temps nous avions parlé du film d’Ingmar Bergman PERSONA [ clic vers Persona ]. Je vous propose de rester dans cette thématique poilade et bonne humeur à tous les étages, avec MOUCHETTE de Robert Bresson. On va s’marrer. Parce que Bresson, c’est un cas. A part. (ici en photo avec son "modèle")

Le type est étudié dans tous les programmes universitaires du monde consacrés au cinéma, c'est un maître, une référence, un adepte du cinéma total. Bresson, soit on adhère, soit on va se pendre à la deuxième bobine, avec la pellicule. La caractéristique de son cinéma, outre une narration purement visuelle et l'utilisation du son off, c’est le refus total de théâtralité dans le jeu. Il disait « le cinéma c’est du théâtre filmé, et moi je fais du cinématographe ». Ni intonation, ni sentiment dans la voix, l’image s’en charge. « Les films vieillissent à cause du jeu des acteurs ». Il n’avait pas (tout à fait) tort.

Regardez certains films des années 30, encore marqués par le muet, ou ceux des années 50 quand les casting étaient squattés par la Comédie Française (qui faisaient aussi beaucoup de doublage) qui en faisaient des tonnes dans le tragique et la pause forcée. Même le jeu de Marlon Brando, pourtant novateur à une époque, passe moins aujourd’hui. En France, à l’exception de Gabin ou Michel Simon, dont le jeu reste intemporel, on peut dater un film juste par l’interprétation des acteurs. Robert Bresson exige la neutralité absolue de ses comédiens, et finira par ne choisir que des amateurs, les acteurs professionnels et leurs tics étant pour lui une tannée. D’ailleurs il ne dit pas acteur, mais modèle. Comme un simple accessoire.

Raison pour laquelle il n’y a pas de psychologie dans ses films. On n’explique pas. On montre, on décrit. C’est un cinéaste catholique (le film est adapté de Bernanos, comme UN CURE DE CAMPAGNE), il croit au destin, y compris à celui de ses personnages, qui suivent une ligne toute tracée. C’est le cas de Mouchette, une gamine de 12 ou 13 ans. La risée du village. Humiliée par ses professeurs (terrible scène de la chorale où la prof telle une hyène lui tourne autour, puis lui serre la nuque pour lui écraser le nez sur le piano et lui montrer les bonnes notes à chanter), moquée par ses camarades lorsqu’elle débarque en classe avec des godillots trop grands, exploitée par son père, son frère, à qui elle prépare le petit déjeuner, gestes mécaniques (les bols remplis en rasade de café, de lait) sans un mot échangé, parce que c’est comme ça, et pis c’est tout. Gestes pour langer le bébé, son jeune frère, Mouchette n'est pas une jeune fille, juste une fonction.

Chez Bresson tout est dans le geste, le geste pur, quitte à faire 50 prises juste pour fermer une porte. Il était d’une exigence folle, quasi sadique avec ses modèles. Gestes du braconnier qui installe ses pièges à lapin, gestes du père qui trafique de l’alcool de contrebande, je décharge le cageot, j’entre dans le café, je pose le cageot, je bois mon verre, le repose, en reprends un, je rouvre la porte, je sors. La précision des cadrages est juste diabolique. Peu de mouvement de caméra chez Bresson. Et le son est souvent off, il donne une information que l’on ne voit pas encore à l’image.

La vie de Mouchette est une succession d’agressions diverses. Le spectateur s'en prend plein la gueule. Le seul moment un peu gai pour elle, à la fête foraine, est immédiatement anéanti par une baffe de son père. Remarquez qu’elle s’amuse dans des auto tamponneuses, où on y prend de grands coups de tous les côtés.

En sortant de l’école, Mouchette rentre par les bois. Surprise par la pluie, elle est recueillie par un braconnier, qui ivre comme un cochon finira par se jeter sur elle. Mouchette est marquée par la honte, l’épicière semble le lire sur son front. Terrible scène où la commerçante compatit dans un premier temps au décès de sa mère, lui glissant un croissant dans la poche, avant de remarquer une égratignure dans son décolleté. Une griffure d’homme à n’en pas douter, donc la marque du pêcher. La gamine est virée sur le champ comme une trainée.

Il faut noter aussi l’organisation du récit. C’est le montage qui nous informe, notamment des relations entre les personnages. Bresson filme cette communauté nourrie de trafics, de secrets, de hontes, de principes que rien ne doit troubler, surtout pas une gamine, toute abusée fut-elle. Méprisée de tous, Mouchette reçoit un peu de compassion chez une vieille, qui lui dit « aimer les morts » comme ces gens qui s’arrêtent sur la route quand il y a un accident en face. Alors que la gamine est censée être en deuil, la vieille lui offre une robe blanche.

Pour Mouchette, cette robe sera son suaire. Elle s’enveloppe avec, roule sur le sol, plusieurs fois, remonte la pente, redescend, recommence (encore une fois : le geste juste) calcule son coup jusqu’à plonger dans la rivière. On le sait parce qu'on entend "plouf", en son off. Puis Bresson cadre l’eau. Plus de Mouchette. Disparue, comme si elle n’avait jamais existé, une vie non vécue, juste un gâchis, et on imagine que personne ne la regrettera.

On aime ou pas, mais ça ne laisse pas indifférent. On est dans la pure mise en scène, l’agencement d’images, de plans, de scènes, froides, glaciales, frontales. On pense à Jacques Becker (LE TROU) ou Melville, parfois Rohmer. Bresson a développé un style unique, un langage universel, dans 200 ans et partout sur cette planète ses films pourront être vus et compris. MOUCHETTE est un des plus célèbres, une expérience particulière, mais si on tient jusqu'au bout, on n’en ressort pas indemne.


noir et blanc  -  1h20  -  format 1:1.66

La bande annonce du film réalisée par Jean Luc Godard, et un document sur le tournage du film, chose assez inédite à l'époque.

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