Souvenez-vous
il y a quelques temps nous avions parlé du film d’Ingmar Bergman PERSONA [ clic vers Persona ]. Je vous propose de rester dans cette thématique poilade et bonne humeur à tous les étages, avec MOUCHETTE de Robert Bresson. On va s’marrer. Parce que Bresson,
c’est un cas. A part. (ici en photo avec son "modèle")
Le type est étudié dans tous les programmes
universitaires du monde consacrés au cinéma, c'est un maître, une référence, un adepte du cinéma total. Bresson, soit on adhère, soit
on va se pendre à la deuxième bobine, avec la pellicule. La caractéristique de son cinéma, outre une narration purement visuelle et l'utilisation du son off, c’est
le refus total de théâtralité dans le jeu. Il disait « le cinéma c’est du
théâtre filmé, et moi je fais du cinématographe ». Ni intonation, ni sentiment
dans la voix, l’image s’en charge. « Les films vieillissent à cause du jeu des
acteurs ». Il n’avait pas (tout à fait) tort.
Regardez certains
films des années 30, encore marqués par le muet, ou ceux des années 50 quand
les casting étaient squattés par la Comédie Française (qui faisaient aussi beaucoup
de doublage) qui en faisaient des tonnes dans le tragique et la pause forcée.
Même le jeu de Marlon Brando, pourtant novateur à une époque, passe moins
aujourd’hui. En France, à l’exception de Gabin ou Michel Simon, dont le jeu
reste intemporel, on peut dater un film juste par l’interprétation des acteurs.
Robert Bresson exige la neutralité absolue de ses comédiens, et finira par ne
choisir que des amateurs, les acteurs professionnels et leurs tics étant pour
lui une tannée. D’ailleurs il ne dit pas acteur, mais modèle. Comme un simple
accessoire.
Raison pour
laquelle il n’y a pas de psychologie dans ses films. On n’explique pas. On
montre, on décrit. C’est un cinéaste catholique (le film est adapté de
Bernanos, comme UN CURE DE CAMPAGNE), il croit au destin, y compris à celui de
ses personnages, qui suivent une ligne toute tracée. C’est le cas de Mouchette,
une gamine de 12 ou 13 ans. La risée du village. Humiliée par ses professeurs
(terrible scène de la chorale où la prof telle une hyène lui tourne autour, puis lui serre la nuque pour lui écraser
le nez sur le piano et lui montrer les bonnes notes à chanter), moquée par ses
camarades lorsqu’elle débarque en classe avec des godillots trop grands,
exploitée par son père, son frère, à qui elle prépare le petit déjeuner, gestes
mécaniques (les bols remplis en rasade de café, de lait) sans un mot échangé, parce que c’est comme ça, et pis c’est tout. Gestes pour langer le bébé, son jeune frère, Mouchette n'est pas une jeune fille, juste une fonction.
Chez Bresson
tout est dans le geste, le geste pur, quitte à faire 50 prises juste pour
fermer une porte. Il était d’une exigence folle, quasi sadique avec ses modèles.
Gestes du braconnier qui installe ses pièges à lapin, gestes du
père qui trafique de l’alcool de contrebande, je décharge le cageot, j’entre
dans le café, je pose le cageot, je bois mon verre, le repose, en reprends un,
je rouvre la porte, je sors. La précision des cadrages est juste diabolique. Peu de mouvement de
caméra chez Bresson. Et le son est souvent off, il donne une information que
l’on ne voit pas encore à l’image.
La vie de
Mouchette est une succession d’agressions diverses. Le spectateur s'en prend plein la gueule. Le seul moment un peu gai pour elle,
à la fête foraine, est immédiatement anéanti par une baffe de son père. Remarquez
qu’elle s’amuse dans des auto tamponneuses, où on y prend de grands coups de
tous les côtés.
En sortant de
l’école, Mouchette rentre par les bois. Surprise par la pluie, elle est
recueillie par un braconnier, qui ivre comme un cochon finira par se jeter sur
elle. Mouchette est marquée par la honte, l’épicière semble le lire sur son
front. Terrible scène où la commerçante compatit dans un premier temps au décès
de sa mère, lui glissant un croissant dans la poche, avant de remarquer une
égratignure dans son décolleté. Une griffure d’homme à n’en pas douter, donc la
marque du pêcher. La gamine est virée sur le champ comme une trainée.
Il faut noter aussi l’organisation du récit. C’est le montage
qui nous informe, notamment des relations entre les personnages. Bresson filme cette communauté
nourrie de trafics, de secrets, de hontes, de principes que rien ne doit
troubler, surtout pas une gamine, toute abusée fut-elle. Méprisée de tous,
Mouchette reçoit un peu de compassion chez une vieille, qui lui dit
« aimer les morts » comme ces gens qui s’arrêtent sur la route quand
il y a un accident en face. Alors que la gamine est censée être en deuil, la
vieille lui offre une robe blanche.
Pour
Mouchette, cette robe sera son suaire. Elle s’enveloppe avec, roule sur le
sol, plusieurs fois, remonte la pente, redescend, recommence (encore une fois : le geste juste) calcule son coup jusqu’à
plonger dans la rivière. On le sait parce qu'on entend "plouf", en son off. Puis Bresson cadre l’eau.
Plus de Mouchette. Disparue, comme si elle n’avait jamais existé, une vie non
vécue, juste un gâchis, et on imagine que personne ne la regrettera.
On aime ou
pas, mais ça ne laisse pas indifférent. On est dans la pure mise en scène,
l’agencement d’images, de plans, de scènes, froides, glaciales, frontales. On pense à Jacques Becker (LE TROU) ou Melville, parfois Rohmer. Bresson
a développé un style unique, un langage universel, dans 200 ans et partout sur
cette planète ses films pourront être vus et compris. MOUCHETTE est un des plus
célèbres, une expérience particulière, mais si on tient jusqu'au bout, on n’en ressort pas
indemne.
noir et blanc - 1h20 - format 1:1.66
La bande annonce du film réalisée par Jean Luc Godard, et un document sur le tournage du film, chose assez inédite à l'époque.
La bande annonce du film réalisée par Jean Luc Godard, et un document sur le tournage du film, chose assez inédite à l'époque.
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