"Tire encore si tu peux" ("Se sei viva, spara"), voilà sans doute le western spaghetti le plus fou jamais tourné, objet de culte pour les uns, grosse bouse pour les autres (rarement film a été aussi traîné dans la boue, interdit, censuré, et mutilé (bien se procurer la version intégrale non censurée)). Je le classerai sans hésiter dans mon top 10 du genre avec les 4 Léone (la trilogie des dollars et once upon a time...)/ "Le grand silence" et "Django" (Sergio Corbucci)/ "Face à face" et "Colorado" (Sergio Sollima)/ "Mon nom est personne" (Tonino Valérii/Léone) / "Kéoma" (Enzo Castellari) / "Le retour de Ringo" (Ducio Tessari)/ "El chuncho" (Damiano Damiani). Oups, j'en suis déjà à 12, comme les 12 salopards, bah, quand on aime on ne compte pas... Toutefois attention, il est à déconseiller aux âmes sensibles et à ceux qui voudraient découvrir le genre par celui-là ; en revanche, pour un cinéphile déviant comme moi, amateur de western et de cinéma bis c'est un vrai petit plaisir coupable...
Sorti en 1967, année faste qui voit les westerns tout en haut du box office italien, avec cette année-là "le dernier jour de la colère", "Dieu pardonne... moi pas", "Colorado", "Face à face", "la mort était au rendez-vous", "Wanted", "les longs jours de la vengeance" (55 westerns au total sortent de Cinecitta et Almeria en 67).
Le réalisateur
Giulio Questi (1924-2014) a surtout œuvré comme assistant de grands réalisateurs, mais aussi comme scénariste, monteur et documentariste. Il ne laisse que 3 films derrière lui, ce western, un thriller au titre bizarre "La mort a pondu un oeuf" (l'action se passe dans un poulailler industriel) avec Jean Louis Trintignant et Gina Lollobrigida et "Arcana", drame teinté de surréalisme. Un cinéaste mineur donc mais qui passera à la postérité du film de genre grâce au film qui nous intéresse aujourd'hui. Un film de commande (les producteurs ne voulaient que des westerns à cette période) devenue une œuvre très personnelle dans lequel Questi dit s'être inspiré de faits vécus durant la guerre où il fut résistant.
Les acteurs
Commençons par deux acteurs familiers des amateurs du cinéma italien: l'espagnol Roberto Camardiel (1917-1986) et l'italien Piero Lulli. Le premier a tourné dans plus de 130 films, péplums, thrillers, fantastiques mais surtout des westerns ("Il était une fois dans l'Ouest", 'Adios gringo", "Colorado"...) où il incarne souvent un bandit mexicain truculent. Le second (1923-1991) a aussi une filmo longue comme le bras, a tourné avec les grands réalisateurs italiens beaucoup de péplums et de westerns (citons "le dernier des salauds" et "Mon nom est personne"), souvent dans des rôles pas tibulaires mais presque...
dans Companeros |
Mais la tète d'affiche du film n'est autre que l'acteur cubain Thomas Milian (1933-2017) une des grandes vedettes du genre avec Giuliano Gemma, Franco Nero, Lee Van Cleef et Clint Eastwood .
Il naît à la Havane, son père était général sous la dictature et sera arrêté lors de la révolution, le jeune Thomas le voit se suicider devant lui. En 1955, après avoir été marqué par James Dean dans "la Fureur de vivre" il part en Amérique fréquenter l'Actor's studio et commence à se faire un nom sur les planches. C’est lors d'une tournée avec sa troupe en Italie (1959) qu'il se fait remarquer d'un réalisateur et se fait un nom, tournant dans une vingtaine de films. Mais c'est sa rencontre avec Sergio Sollima qui le fait basculer en premier rôle puisqu'il partage la vedette avec Lee Van Cleef dans "Colorado" (1966) qui sera un énorme succès. Il y incarne Cuchillo ("petit couteau") , un péon accusé à tort de viol et de meurtre, ainsi surnommé car il lance son couteau avec une vitesse et une précision diaboliques, personnage qu'il retrouvera plusieurs fois. Il tournera beaucoup de westerns zapata (ayant pour cadre la révolution mexicaine comme "Companeros", "Tepepa" avec Orson Welles, ou "saludos Hombre"), où il incarne le combat contre l'oppression et l’impérialisme, avec sa belle gueule à la Che Guevara et son coté félin. Parmi ses autres westerns notoires "le dernier face à face", " les 4 de l'apocalypse" (Fulci) , "les tueurs de l'ouest" (Eugenio Martin) et "Far West Story" (Corbucci) sans oublier le surprenant "O'Congaceiro"(1971) - remake du film brésilien du même nom - où il incarne un bandit /rebelle halluciné.
Le western passé de mode, il tournera encore dans une cinquantaine de films, jusqu'en 2005, sous les ordres de Umberto Lenzi, Antonioni ("Identification d'une femme"), Bertolucci ("La luna"), Oliver Stone ("JFK"), Sidney Pollack , Spielberg ("Amistad"). Il doit aussi sa grande popularité en Italie au personnage de Nico Giraldi, un flic peu conventionnel aux méthodes expéditives, dans une série de 11 films de 1976 à 1985 de Bruno Corbucci (le frangin de Sergio). Un grand acteur à la palette variée.
Le film
Mais on cause on cause et je ne vous ai pas encore parlé du film, il faut que je me presse, il parait que le temps moyen passé par un internaute sur un site est de 1mn30, j’espère que vous êtes encore là ; catastrophique ce zapping permanent, cette "culture twiter" de m...
Piero Lulli |
Mais l'originalité du film, et ce pourquoi il a été descendu est censuré, c'est le catalogue de vices et perversions qui y est exposé, cette ville est Sodome et Gomorrhe réunies ! Luxure, violence, péché, homosexualité, appât du gain, tout y passe allègrement.
Quelques exemples:
Camardiel (en blanc) et ses sbires |
- la violence des villageois qui nous donne des plans gore : le lynchage des bandits et le scalpage d'un indien, mais le clou est la scène quand les villageois s’aperçoivent que Oaks a été farci non pas de plomb mais d'or et plongent leurs mains dans ses plaies pour récupérer les balles, le bandit est encore vivant à ce moment là, c'est "Cannibal holocaust" (1980) avant l'heure! (un autre titre du film était "Oro hondo" ("l'or profond")...)
- profanation de sépultures, les bandits de Sorro persuadés que l'or est planqué dans une tombe retournent le cimetière.
- maltraitance animale : un bandit croise un cabot qui ne lui a rien fait et lui balance un bon coup de botte ; un cheval est sacrifié, ses bats emplis de dynamite
- le héros est crucifié et torturé à l'aide de vampires (des chauve souris, pas Dracula)
- machisme: la femme derrière les barreaux est en fait celle d'un notable qui la fait passer pour folle et la séquestre depuis qu'elle l'a trompé pense-t-il . D'ailleurs, elle est un peu nympho sur les bords et fait de Milian son 4 heures..
Le tout finira dans un brasier purificateur où le dernier notable vivant périra sous son or en fusion, une belle trouvaille.
Qu'en penser?
Alors bouse ou chef d’œuvre ? chacun jugera... c'est sûr que les aficionados de "Joséphine ange gardien" auront peut être du mal avec cette œuvre baroque et surréaliste au sujet de laquelle certains ont évoqué les influences de Bunuel, Dali, Arrabal ou Poe. Chef d’œuvre ? C'est un peu fort mais ce film reste un western singulier, violent et immoral, bien filmé, bien joué et porté par une musique particulièrement adaptée de Ivan Vandor, saxophoniste de jazz hongrois, qui signait-là sa seule BO de western.
Incontournable pour tout amateur de spaghettis et de cinéma de genre.
ROCKIN "el gaucho" -JL
Waouh, ça c'est de la chronique. Complètement dopé par ton sujet. Je me paie le DVD direct (pas donné les trucs cultes).
RépondreSupprimer55 westerns en 1967 (surement quelques nanars déments dans le tas) et on s'étonne que lundi je versais une petite larme sur l'âge d'or du cinéma italien avant la pluralité des TV libres à gogo et du VHS…
DVD que tu t'empresseras de me prêter ! J'ai hâte de voir ça, c'est très bien "vendu" par Rockin' !
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