Rassérénées par les Joanna Connors, Susan Tedeschi, Sue Foley, Deborah Coleman, de la décennie précédente, ainsi que par de jeunes labels indépendants prêts à leur ouvrir leurs portes, elles sont apparues de toutes parts, inondant le marché jusqu'à le saturer.
Les machos ont dû faire le dos rond et ravaler leur fierté ...
Mais comme toujours sur la durée, la sélection s'opère et beaucoup y ont laissé des plumes, et, déçues ou dépitées, certaines raccrochèrent leur belles guitares. Certes, et malheureusement, la chance demeure un facteur de poids dans la carrière d'un artiste, mais le talent est un atout indispensable pour la pérenniser. [ou alors, il convient d'avoir les bonnes fréquentations permettant d'y surseoir]
Joanne Shaw Taylor est une Anglaise qui a débuté sa carrière à seize ans (!) - elle est née en 1986 à Wednesbury (Black country) - avec pour moteur l'oeuvre d'Albert Collins et de Stevie Ray Vaughan. La chance, elle l'eut lorsque Dave Stewart, qui n'a pas ses esgourdes dans la poche, la découvrit par hasard et l'invita à partir en tournée avec son projet D.U.P..
"Cette jeune Anglaise joue avec une fougue et une passion qui m'ont fait dresser les cheveux sur la tête" dixit Dave Stewart.
Une aubaine. Pour la carte de visite, cela fait de suite sérieux. Plus tard, en 2012, elle jouera avec Annie Lennox à l'occasion du concert pour le Diamond Jubilee de la reine-mère.
Cependant, il lui faut attendre la générosité de Thomas Ruf, qui en a d'ailleurs particulièrement pour la gent féminine. Son premier disque ne sort qu'en février 2009, mais se retrouve récompensé l'année suivante par une percée aux USA avec une huitième place au billboard. Une surprise pour le premier disque d'une jeune Anglaise dans un pays où la concurrence est rude et où les musiciens et groupes de Blues-rock sont légions. Son second, sorti en 2010, récidive l'exploit, en parvenant cette fois-ci à trôner plus de onze semaines dans les charts.
Elle gagne le respect de ses pairs - mâles y-compris - et Joe Bonamassa lui accorde son soutien. Ils deviendront amis.
C'est qu'au contraire d'une bonne partie de ses contemporains, elle compose bien suffisamment pour remplir ses albums, se contentant en moyenne d'une reprise tous les deux opus. Un fait plutôt rare dans ce milieu où c'est carrément une tradition d'incorporer des reprises.
Joanne Shaw Taylor a pris le parti de proposer un Blues-rock personnel, et d'entrée son Blues se teinte à l'envie de parfums Funk, boogie et même Heavy-rock (ce qui lui a parfois valu quelques critiques acerbes). La seule fois où elle a fait appel à de l'aide extérieure, pour le précédent "Wild", le résultat est mitigé, un peu bancal ; ce qui en fait son album le moins bon. On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Avec celui-ci, elle reprend les choses en main, composant et écrivant l'intégralité à l'exception de l'entrée en matière, co-écrit. Une pièce plutôt basique, probablement placée en première ligne pour rassurer ; pourtant, c'est par la suite que l'on trouve et déguste le meilleur.
"Reckless Heart" risque de surprendre. En effet, d'entrée, bien que "In The Mood" soit d'une structure classique - shuffle énergique mixant Stevie Ray Vaughan à Smokin' Joe Kubek ? -, le son de la guitare peut laisser dubitatif. Elle semble avoir été branchée dans un modeste petit ampli, poussé au maximum de ses possibilités, crachant sous l'effort, prêt à succomber au moindre bend dans les aigus, ou sous l'assaut d'une pédale de gain. Et pour couronner le tout, on l'aurait placé dans une salle-de-bain, ou une cave, avec l'écho brouillon renvoyé par un mur carrelé. Alors que jusqu'à présent, elle s'était distinguée par un son plein, précis et relativement puissant, là, ça sonne carrément "garage". Sur ce morceau enlevé et trépidant, la basse est aussi couverte par la batterie. La signature par Sony/Silvertone augurait un gros son bien défini - ou, au pire, d'un polissage en dû et bonne forme d'un modèle radiophonique - mais non. C'est, a priori, proche de la démo (par ailleurs excellente).
Alors, choix délibéré ou erreur de mixage ? D'autant plus que le producteur, Al Sutton, est un ami de Taylor.
Ce mixage est d'autant plus surprenant venant d'un produit Sony, sachant que les grosses boîtes oeuvrent depuis au moins deux décennies pour aligner sur un même niveau tous les instruments afin que l'auditeur n'ait aucun effort d'écoute à fournir. En faisant abstraction de détails, de toile de fond musicale ou d'ornementations diverses. La puissance du son au détriment du détail, la simplicité plutôt que la richesse d'une orchestration d'habiles artisans. Du "prêt-à-consommer" conçu pour les gadgets addictifs et les téléchargements (payants).
Là, ce n'est aucunement le cas. Au contraire. Et finalement, à part pour "In The Mood", cette production se cale plutôt bien sur la direction - la bifurcation - de Joanne. On parle bien de direction car s'il ne s'agit pas d'un changement radical, "Reckless Heart" est à ce jour sa réalisation la moins marquée par le Blues. Dans l'ensemble, ce serait plus proche de Bob Seger que de Vaughan ou de Bonamassa. Ne parlons même pas d'Albert Collins ou de BB King. Évidemment, sa guitare ne s'est pas pour autant départi de son instinct Blues qui ressurgit dans ses étincelants soli.
Cette démarche avait déjà été doucement entamée avec l'excellent "Almost Always Never", mais là, ça y est. Elle a fait le plongeon. Et c'est une franche réussite.
Un Rock bluesy plutôt que du pur Blues-rock. Nuance. Un peu comme que le Tedeschi-Trucks Band ou Marcus King Band. Et comme ces derniers, initialement enfants du Blues, elle ne fait pas une croix dessus. Elle ne renie en rien son école, celle qui l'a construite. "I've Been Loving You Too Long" est là pour le confirmer. Un slow-blues poignant, dont la structure peut autant évoquer Led-Zeppelin que le Gary Moore de, par exemple, "Still Got the Blues" et de "I Love You More Than You'll Ever Know".
Plus que jamais, son talent explose avec "All My Love" illuminé par un grand riff de guitare, brut, groovy et franchement Rock'nroll à la fois. (La plupart des guitares auraient été captées directement branchées dans l'ampli, sans effet intermédiaire). A croire que l'aura des grands riffeurs de Detroit l'ont influencée (de Wayne Kramer à Gonzo, en passant par Dick Wagner). A croire que de vivre à Detroit depuis une dizaine d'années a laissé des traces.
Mais la Motor City (comme on l'appelait couramment autrefois) est aussi source de Soul-music. Et c'est aussi ce que l'on retrouve, à l'état brut. C'est là que la référence de Bob Seger revient, à laquelle on pourrait rajouter celle de Mitch Ryder. Bel exemple avec "The Best Thing" où, dans la voix, on y décèle le poids de Mavis Staples.
Et, étonnament, "Creepin' ", malgré son solo d'obédience Hendrixienne, retrouve même les joies simples d'un Hard-rock 70's, entre Nugent et Grand Funk, avec orgue Hammond à l'avenant (justement dans le style de Graig Frost de Grand Funk).
Toutefois, le Heavy-folk printanier "Break My Heart Anyway" et le Heavy-rock fringuant et galvanisant "New 89" renouent avec les racines anglaises, la guitare reflétant parfois l'imposante ombre de Sir Jimmy Page.
Probablement son disque le plus personnel, et le plus intime. Et par là même touchant. Tout au long de cet album prenant, profondément émotionnel, Taylor retranscrit dans une catharsis salvatrice, les montagnes russes de ses relations tumultueuses, de sa vie amoureuse. Une femme qui, avec pudeur, se livre et ouvre son coeur.
A l'exception peut-être de "Reckless Heart" qui évoque le style ronronnant et prêt-à-porter d'Alannah Myles, la grosse production en moins. La seule concession, s'il y en a une, assez conventionnelle et surtout apte à séduire un public (américain) peu exigeant et consommateur conditionné et obéissant. On a d'ailleurs sorti les cordes de rigueur. Néanmoins, cela n'enlève rien à la qualité de ce titre qui essaye de conjuguer la Soul avec un Rock bluesy.
Preuve d'un talent débordant, elle termine par une pièce à la sensibilité exacerbée. Un final précieux, de toute beauté. Sur "I'm Only Lonely" le rythme ondule, balance comme une berceuse ... ou une valse ... à cinq temps.
Elle danse avec elle-même, enlaçant un cavalier imaginaire, tournoyant dans une pièce baignée d'une lumière tamisée, où le mensonge et les non-dits n'ont plus court. Seule mais libre.
"Don't be a fool you've been untrue. I know what's been going on. Don't deny it, I won't fight it, if it's her you really want ... Ooh, ask anyone who knows me, and they'll tell you that I'm only lonely, I'm lonely lonely when you're here. ... You've already left me, so please don't stay. If you do, no one gains, just walk away before someone's blamed ..."
Ce n'est plus du Blues dans la structure et les notes, c'est du Blues dans l'âme.
🎼🎶♬♥
Autre article (lien) : "The Dirty Truth" (2014)
Les 3 songs liées au commentaire me font dire que ton avis me semble pertinent. j'avais été assez déçu des derniers opus de la Dame devenue un peu trop bourrique à mon gout. Je pense qu'avec ce "Reckless Heart" je vais revoir mon jugement.
RépondreSupprimerSalutations.
Les trois chansons présentées sont un bon éventail. A mon sens, "I'm Only Lonely" est la plus belle pièce (que je passe parfois en "replay").
SupprimerSon compte "YouTube" propose l'intégralité de son album. Comme ça, on évite les déceptions (même si une écoute sur le net ne rend pas toujours service - parfois, c'est l'inverse-)
Rien à jeter chez la demoiselle.....à la guitare, son doigté est tout bonnement extraordinaire et le feeling itou. S'il y avait un petit problème ce serait sa voix....éraillée comme on aime, le clone de Janis Joplin.. à la longue cela peut être fatiguant surtout si elle force un peu... mais tout ça c'est peanuts..... ruez vous sur sa discographie vous ne serez pas déçu.
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