samedi 15 juin 2019

BEETHOVEN – Sonate pour violon et piano N°5 "Le Printemps" – A. DUMAY & M.J. PIRES – par Claude Toon



- Petit air de musique de chambre M'sieur Claude après plusieurs semaines vouées à l'orchestre. Jolie cette mélodie, je l'ai déjà entendue quelque part…
- Oui Sonia, le thème initial de la sonate pour violon et piano n°5 de Beethoven est à sa musique de chambre ce que le thème du destin qui frappe à la porte est à la 5ème symphonie…
- Je vois dans le titre qu'elle porte le sous-titre "le printemps", un Beethoven bucolique de la même veine que sa symphonie "pastorale" ?
- Beethoven n'y est pour rien, c'est une idée de l'éditeur. Par ailleurs, ce n'est pas la même époque que la 6ème symphonie plus tardive… Mais en effet, quelle fraîcheur !
- Maria Joäo Pires a déjà été au centre d'une chronique à propos d'une célèbre sonate de Mozart. Je ne trouve pas le nom du violoniste…
- Augustin Dumay est l'un des grands violonistes français ; on l'accueille dans le blog pour la première fois et avec plaisir…

Beethoven en 1800
Encore Beethoven me diriez-vous, mais je répondrais que le compositeur a tellement exceller dans tous les genres que le blog risque d'avoir disparu du web (ou tout au moins subsister comme patrimoine) avant d'avoir épuisé le sujet. Nous avions déjà écouté la sonate pour violon et piano N°9 "À Kreutzer" et donc logiquement j'ai envie de vous faire découvrir ou réécouter l'autre sonate pour cette formation tout aussi célèbre dans un groupe de dix ouvrages, la N°5 sous-titrée lors de l'édition "Le printemps". Pourquoi ? Je n'en sais absolument rien, sans doute son style poétique et fringant a fait penser au retour des beaux jours à l'inconnu qui a eu cette idée.
Il semblerait que cette sonate ait été commencée dès les années 1794-1795 par un jeune Beethoven dans la vingtaine. Le compositeur était né en 1770. C'est en 1800-1801 qu'il achèvera sa partition qui de nous jours porte le numéro d'opus 24. Elle est éditée dès 1801 en même temps que l'opus 23. Comme souvent dans le domaine de la musique de chambre, les sonates ont été écrites par groupes à différentes époques du musicien, l'opus 12 publié en 1799 en comporte 4, les opus 23 et 24 sont contemporaines de l'année 1801, l'opus 30 en réunit 3 et date de 1802, quant aux deux dernières, les opus 47 "À Kreutzer" et opus 96, elles seront écrites successivement en 1805 et 1813. Une remarque s'impose : la plupart des sonates de cette dizaine ont vu le jour sur une période courte entre 1799 et 1802 donc avant la période définitivement romantique initiée par Beethoven avec la symphonie "héroïque" de 1803. J'ai tendance à penser en écoutant le tendre mouvement lent de la 5ème sonate que ledit romantisme est indéniablement déjà présent dans l'esprit de Beethoven au tournant du XIXème siècle
La sonate est dédiée au comte Moritz von Fries, un noble très fortuné doublé d'un mécène qui soutiendra financièrement Beethoven et Schubert. Il n'agira pas en tant que "protecteur" mais sera plutôt le fidèle des fidèles, ce qui lui vaudra la dédicace de la 7ème symphonie composée en 1812.
On ignore quand la sonate fut jouée officiellement pour la première fois. Une certitude par contre, cette sonate est l'une des plus populaires et interprétées de Beethoven en particulier et du répertoire violon-piano en général…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Maria Joäo Pires et Augustin Dumay
1801-1802 : Beethoven, qui contrairement à Mozart n'a pas eu le privilège d'accéder au statut de génie dès la plus tendre enfance, devient un compositeur influent et a produit déjà des œuvres importantes qui vont marquer l'histoire de la musique : ses deux premières symphonies, les concertos pour piano 1 & 2, le 3ème est en cours de composition, une dizaine de sonates pour piano et les six quatuors de l'opus 18. Certes, il y a ses acouphènes qui le gênent depuis 1796 mais la vraie surdité est à venir. Sans doute le compositeur est-il au stade où comme chacun on se dit "ça passera…" ce qui hélas ne sera pas le cas. Les temps sont encore à l'optimisme contrairement aux années 1806-1808 où son handicap le conduira à un état dépressif bipolaire définitif.
Donc rien d'étonnant que les sonates pour violon et piano, ouvrages sans virtuosité exigeante et destinés au divertissement haut de gamme respirent une certaine joie de vivre. Par contre l'écriture se complexifie nettement par rapport à ce que Mozart ou Haydn ont pu produire dans le genre. Chaque sonate dure une bonne vingtaine de minutes et le premier mouvement de la 5ème sonate à lui seul a une durée proche de celle rencontrée dans des concertos ou des symphonies. Certes la forme reste classique en quatre mouvements mais on sera déconcerté par le scherzo (appellation nouvelle du menuet) fort bref qui ne dure qu'une minute, comme si Beethoven l'avait intégré contraint et forcé sans vraiment croire à son utilité… il le supprimera dans la sonate "À Kreutzer". Est-ce un ultime respect des conventions académiques dans la structure sonate ?
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Augustin Dumay est né en 1949. Si on le connaît comme violoniste, il est également pianiste et chef d'orchestre. Ses premiers maîtres au Conservatoire de Paris ont été Roland Charmy (violon) et Jean Hubeau (piano). Ses débuts de carrière ont été marqués par des invitations à la Philharmonie de Berlin dirigée par Herbert von Karajan ou Colin Davis.
Comme chef, il a surtout dirigé des ensembles chambristes et dans ce cadre, il a gravé une intégrale des concertos de Mozart avec la Camerata Salzburg, à la fois comme soliste et comme maestro. Sa discographie compte une quarantaine de disques.
Quant à la biographie de Maria Joäo Pires, voir son interprétation de la sonate "Turque" de Mozart (Clic).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

1 – Allegro : Le premier thème est énoncé au violon, thème d'une élégance et une tendresse suffocantes, lyrique et un soupçon bucolique. Vous allez trouver cette suite d'épithètes dithyrambique. Elle l'est, car voici l'un de ces traits de pur génie caractéristiques de l'art de Beethoven, cette capacité à toucher l'auditeur d'emblée, à le stupéfier, conduisant parfois ses confrères moins inventifs au découragement, heureusement pas trop… Le piano semble prendre son indépendance, la main droite enchainant de délicats arpèges ascendants-descendants. Un bloc thématique primesautier et aux accents printaniers (l'éditeur a dû partager cette impression si il est à l'origine du sous-titre). Pendant que le violon chante, le piano fait ses gammes pourrait-on dire. [0:19] Un vaillant et long arpège en crescendo au clavier inverse les rôles. Le piano parodie dans la foulée (au sens musical) le thème initial proposé par le violon qui en toute logique rejoue la suite d'arpèges déjà entendue au piano. [0:39] Après quelques mesures de transition, un second groupe thématique plus épique apparait. Comme lors de l'introduction, piano et violon s'interpellent et échangent les motifs de manière ludique. Les deux instrumentistes organisent un jeu de cachecache vivant et coloré. Lumière solaire illumine et petite brise souffle sur l'une des pages les plus sereines jamais écrites par Beethoven.
[2:30] La première reprise applique la forme sonate stricte, la répétition des groupes thématiques. [4:56] le développement n'apporte pas un contraste stylistique marqué mais nous entraîne à travers des variations débridées nourries des motifs initiaux. [5:58] Pseudo reprise sous forme d'un rappel du second motif du premier thème. [7:14] le compositeur fait preuve de fantaisie par la présence d'une péroraison en style de cadence en duo. [8:13] la musique se fait interrogative par l'insertion de quelques syncopes facétieuses avant d'aborder une coda bien scandée.

2 - Adagio molto espressivo [9:48] : L'adagio débute par un récitatif élégiaque au violon soutenu par un perpetuum mobile rythmé sur le pas d'une promenade champêtre au clavier. [11:11] Une seconde idée pensive mais troublée de quelques éclats constitue la seconde thématique. La musique s'écoule tel un ruisseau sous la ramure, le violon suggère des épanchements de galants comme nous l'entendrons dans la symphonie "pastorale". [14:23] Des échanges concertants des deux instruments surgissent des frissons, témoins d'un tel émoi que l'on ne peut pas nier que le romantisme est déjà né dans l'esprit du maître. Le jeu de Maria Joäo Pires distille chaque note grâce à un legato d'une précision d'orfèvre mais attention sans sécheresse aucune, plutôt de la sensualité. Le son des cordes d'Augustin Dumay évite lui aussi tout vibrato hédoniste au bénéfice d'un timbre soyeux et si je puis dire d'une virilité en totale osmose avec le phrasé tout en finesse de la pianiste portugaise.

3 - Scherzo: Allegro molto : [16:00] Comme expliqué plus haut le scherzo est d'une brièveté absolu, trépidant de plus. [16:25] Le trio est aussi virevoltant avec des arpèges vertigineux voire frénétiques au violon. Le grand Beethoven n'a pas cherché une thématique élaborée pour ce qui n'est qu'une simple facétie. Pour ne fâcher personne en cette époque éprise d'académisme, des reprises sont prévues mais nos deux artistes fidèles au souci de concision d'une simple page de partition ne les font pas. Bonne idée…

4 - Rondo: Allegro ma non troppo : [17:13] Terminer une sonate aussi joyeuse et idyllique par un rondo est idéal. Un rondo : des couplets et un refrain. Une forme populaire et chorégraphique, une fête de village. Beethoven ne déroge pas à la règle qu'il s'impose depuis le début. Le piano n'est pas l'accompagnateur du violon. Non, les instruments se disputent gaiement la possession des motifs musicaux. Légèreté et allégresse concluent cette sonate féérique.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie de ces sonates pour violon et piano est généreuse, soit en intégrale de 3 CD soit en albums isolés comportant la 5ème "le printemps" et la 9ème "à Kreutzer". Voici trois must :
En 1957, le violoniste belge Arthur Grumiaux et la pianiste roumaine Clara Haskil gravent l'un des sommets de leur collaboration pour Philips avec une intégrale des sonates. La brillance du son de Grumiaux et le chant très articulé de son jeu se marient à merveille avec le touché gracieux et espiègle de Clara. Pour l'éternité (DECCA – 6/6).
En 1974 paraît un album avec les deux sonates les plus célèbres, au violon Itzhak Perlman, au piano Vladimir Ashkenazy. Pour les critiques officiels : The référence. À relativiser comme toujours, mais plutôt vrai du fait de l'engagement des jeunes artistes (à l'époque) pour ces deux œuvres (DECCA – 6/6)
Parution plus récente en 2008, dans un luxueux coffret, l'interprétation charmeuse captée dans une superbe stéréo d'Isabelle Faust et Alexandre Melnikov est une concurrente évidente face à Maria Joäo Pires et Augustin Dumay, CDs mal réédités en ce moment. (Harmonia Mundi – 6/6).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire